Malcolm de Chazal, l’homme des genèses

De la recherche des origines à la découverte de l’avenir perdu ?

Collection critique littéraire

Christophe Chabbert

Malcolm de Chazal, l’homme des genèses

De la recherche des origines à la découverte de l’avenir perdu ?

Editions de l’Harmattan

malcolm3_qiigDu même auteur

Arthur Rimbaud, œuvres poétiques, collection « Parcours de lecture », Paris, Editions Bertrand-Lacoste, 2000.

Arthur Rimbaud, œuvres poétques, collection « classiques », Paris, Editions Bertrand-Lacoste, 2000.

Petrusmok de Malcolm de Chazal : radioscopie d’un « roman mythique », Paris, Editions de l’Harmattan, 2001.

A mes deux fils, Gauthier et Quentin et à la mémoire de René Agnel

«Les thèmes swedenborgiens n’ont rien à voir avec mon œuvre. Je défie quiconque de faire des rapprochements entre ces deux approches spirituelles vers l’invisible ». (Malcolm de Chazal, Correspondances avec Jean Paulhan).

Préface

Par Jean-Louis Joubert

Professeur à l’Université de Paris XIII

On raconte que le bon Jean de La Fontaine, ayant lu avec fascination une prière attribuée à Baruch, disciple du prophète Jérémie, non reprise dans les éditions canoniques de la Bible, interpellait tous ceux qu’il rencontrait en leur demandant « Avez-vous lu Baruch ? ». La locution est passée en proverbe pour signaler une découverte éblouissante, qui tient l’esprit entièrement occupé d’elle. Il y a quelques années, ceux qui avaient découvert l’œuvre hors normes d’un poète du bout du monde, Malcolm de Chazal, se reconnaissaient eux aussi en échangeant la question rituelle : « Avez-vous lu Chazal ? ». Ainsi s’était formée une sorte de confrérie secrète, informelle, virtuelle, d’autant plus insaisissable que les textes de Chazal, depuis longtemps épuisés, n’étaient guère accessibles que sur les rayons de quelques rares bibliothèques et par la grâce de citations dans des anthologies.

Depuis la mort du poète, en 1981, les choses ont bien changé. Gallimard a réédité son recueil majeur d’aphorismes, Sens plastique, dans une collection de grande diffusion (« L’Imaginaire », 1985). Quelques nouveaux lecteurs, émerveillés par leur découverte du poète, ont entrepris de republier des textes édités à l’île Maurice du vivant de l’auteur, en tirages de quelques petites centaines d’exemplaires, ou bien de mettre au jour des inédits (notamment une correspondance avec Jean Paulhan).

Mais comme disaient les surréalistes (à moins que ce ne soit Gaston Leroux ?), « le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat ». Il suffit d’inviter n’importe quel lecteur de bonne volonté à tenter l’aventure. L’œuvre de Chazal reste aussi stupéfiante et troublante qu’au premier jour, lorsque Jean Paulhan, André Breton et quelques autres recevaient par la poste, adressé de l’île Maurice (qui n’était pas encore un paradis tropical pour altesses, stars ou présidents de la république, mais une colonie britannique où l’on continuait à parler et écrire le français), le gros paquet d’un volume de Pensées et sens plastique. Dès la première lecture, ce fut l’éblouissement, et le gros mot lâché : un génie insulaire venait de se révéler, comme un météore tombé du ciel austral.

André Breton découvrait un surréaliste sans initiation, Jean Paulhan un ésotériste sans tradition. L’étonnement tenait à la révélation d’un esprit, d’une poétique qui paraissaient auto-engendrés dans l’isolement d’une île lointaine. La réception de Malcolm de Chazal a sans doute souffert à la longue d’avoir bénéficié de si prestigieux intercesseurs. On l’a lu, comme les introducteurs qu’il s’était lui-même choisis, sans tenir compte de son environnement culturel, des conditions de la gestation de ses textes. On a fait confiance à Paulhan et Breton quand ils voyaient en Chazal un phénomène de génération spontanée, une sorte de commencement absolu (mais peut-être cette lecture répondait-elle aux vœux secrets du poète mauricien) .

Dans l’île natale de l’écrivain, l’aveuglement n’a pas été moins grand. On a fait confiance aux jugements des prestigieux lecteurs français, on s’est persuadé que Chazal avait du génie, mais un génie à usage externe. Car on est resté perplexe devant le personnage public soigneusement cultivé à plaisir (et non sans talent) par l’auteur de Sens plastique, celui d’un prophète mégalomane, trop grand pour sa petite île, érigeant la paranoïa au niveau d’une méthode universelle de lecture du monde.

Bon exemple de ce double malentendu : le sort fait à son « roman mythique », Petrusmok, publié pour la première fois en 1951, repris en 1979 par un libraire-éditeur mauricien, sous le label « La Table Ovale », du nom du premier cénacle littéraire mauricien, actif au début du XIXe siècle. La première édition n’a suscité pratiquement aucun écho. Jean Paulhan s’était dépris de Malcolm de Chazal. Les surréalistes se sont méfiés d’un ouvrage qui se présentait comme une nouvelle révélation religieuse (une page placée après la table des matières soulignait : « Ce livre a trois auteurs : Dieu, la Montagne et l’Éditeur »). Les Mauriciens n’ont guère lu l’ouvrage. La réédition a sûrement touché un public un peu plus large. Quelques exemplaires ont été diffusés en France. Mais le tirage (à coup sûr modeste) tarde à s’épuiser. Il faut dire que le livre demande un bel appétit et une forme olympique de lecteur de fond. Mais ceux qui vont jusqu’au bout sont sans doute récompensés de leur persévérance.

Le grand mérite du travail de Christophe Chabbert est justement d’avoir pris Malcolm de Chazal au sérieux, et de l’avoir vraiment lu, « littéralement et dans tous les sens ». Si Chazal présente son Petrusmok comme un mythe, il faut se demander quelle vérité peut nous dire l’histoire ébouriffante qu’il y raconte. Christophe Chabbert a donc entrepris de dégager la structure du récit et de rassembler le corps de doctrine chazalien pour en tester la cohérence. Il montre avec beaucoup de sagacité que cette construction théologique amalgame des sources nombreuses : textes johanniques du Nouveau Testament, tradition de la gnose, de la Rose-Croix, de Swedenborg. Contrairement à ce que Chazal avait tenté de faire croire à Paulhan, il n’était pas du tout ignorant de l’ésotérisme. Au contraire, il appartenait à une famille qui avait introduit à l’île Maurice une église (peut-être dirions-nous aujourd’hui une secte) se réclamant de Swedenborg. Christophe Chabbert démêle avec patience et perspicacité l’entrelacs de ces influences, que Chazal n’a probablement pas tenté d’unifier.

Mais si Chazal n’était qu’un illuminé mythomane, comment expliquer la fascination qu’il a pu exercer ? Pour André Breton, il était d’abord et surtout un poète. De fait, Chazal a poussé à la limite certaines intuitions dont il avait trouvé la confirmation dans l’enseignement de Swedenborg. Et particulièrement l’affirmation du jeu des correspondances et de l’universelle analogie. Les romantiques allemands, Baudelaire, la mouvance symboliste avaient érigée la correspondance en principe essentiel de leur poétique. Chazal, avec l’énergie de celui qui est possédé d’une idée fixe, en fait le ressort d’une vision totalisante du monde, où chaque élément entre en contact avec une multitude d’autres, dans une sorte de ballet cosmique des sensations.

Dans sa curiosité pour les idées répandues dans les cercles ésotéristes, Chazal ne pouvait pas ne pas rencontrer un thème qui a connu un succès considérable dans les dernières années du XIXe siècle et les premières décennies du XXe : celui du continent englouti de la Lémurie, symétrique pour l’océan Indien du mythe de l’Atlantide. Franz Kafka, dans son Journal de l’année 1911, rapporte qu’il était aller écouter avec grand intérêt une conférence sur la Lémurie par le célèbre théosophe Rudolf Steiner. Mais Chazal a rencontré le thème de la Lémurie dans un contexte tout différent. Dans le microcosme littéraire mauricien, alors animé par le poète Robert-Edward Hart, il a pu lire les deux gros volumes que les héritiers du « savant » réunionnais Jules Hermann avaient publiés après sa mort sous le titre : Les Révélations du Grand Océan. Jules Hermann y racontait la découverte prodigieuse qu’il avait faite en examinant les falaises dominant la ville de Saint-Denis de la Réunion : ces falaises étaient sculptées, très anciennement, par des êtres nécessairement gigantesques. D’illumination en illumination, il en était arrivé à conclure que ces géants, ancêtres des habitants actuels des îles de l’océan Indien, avaient habité un continent maintenant englouti, dont les îles restent les seuls vestiges. Pour vérifier « scientifiquement » sa découverte, Jules Hermann s’était livré à une minutieuse enquête d’étymologie sur les noms de lieux de la France, pour montrer qu’ils avaient tous une origine malgache, ce qui démontrait que les îles de l’océan Indien étaient le berceau de l’humanité, le lieu où avait d’abord bourgeonné l’espèce humaine qui s’était ensuite dispersée à travers le monde.

Même si Chazal, dans son imprégnation ésotérique, avait déjà connaissance du thème lémurien, la lecture de Jules Hermann a sans doute provoqué comme une étincelle. Chazal y a découvert une version insulaire du mythe. Il l’a repris à son compte, amplifié dans Petrusmok jusqu’à en faire la révélation de la « religion profonde véritable » qui est « gestes reliés des actes vivants », c’est-à-dire « correspondances – de tous les sens fusés dans l’unité ». Mais cette religion est d’abord incarnée dans un lieu, la « montagne-temple » de l’île Maurice, sorte de nombril austral du monde. L’histoire lémurienne de Chazal est d’abord destinée à des lecteurs mauriciens, de la même façon que le mythe de l’Atlantide forgé par Platon était d’abord destiné (Pierre Vidal-Naquet l’a montré) à faire réfléchir les Athéniens à leur modèle politique. Que veut donc montrer Chazal aux insulaires de l’Océan Indien ? Le travail de Christophe Chabbert suggère quelques pistes. Il est en particulier remarquable de constater le succès du mythe lémurien auprès des poètes mauriciens et réunionnais (de Jean-Claude d’Avoine, Jean-Georges Prosper à Boris Gamaleya). Ils ont tous chazalisé en se proposant à leur tour de construire une cosmogonie insulaire ou une antéhistoire (puisque l’histoire des Mascareignes ne commence pas avant le XVIIe siècle). Le mythe lémurien invite à rêver sur une généalogie fabuleuse (être le descendant de géants primordiaux !).

Il n’y a que le mythe qui permette de répondre aux insondables questions sur l’origine. Les Français du Moyen Âge et de la Renaissance, tout chrétiens qu’ils se proclamassent, allaient chercher dans la vieille mythologie païenne des ancêtres qui leur assuraient une ascendance prestigieuse et légitimaient leur prétention à recueillir l’héritage de l’Antiquité. Ainsi de ce personnage chanté par Jean Lemaire de Belges et Ronsard : ce Francus, fils de Priam, le roi de Troie, venu en traversant l’Europe fonder la race des Francs, comme Énée avait débarqué sur les rives latines pour y fonder ce qui deviendrait Rome.

Malcolm de Chazal offre aux insulaires de l’océan Indien une belle histoire qui leur fera dominer leur sentiment d’exil et les rendra, littéralement, fils de leur île.

Il faut relire Malcolm de Chazal. Merci à Christophe Chabbert de nous en faciliter l’accès.

Prologue

Il y a des heures de cours qui vous marquent pour toute une vie. Lorsque j’ai rencontré l’œuvre de Malcolm de Chazal, au hasard d’un séminaire de DEA animé par Jean-Louis Joubert à l’Université Paris XIII, au printemps de 1996, j’étais loin de me douter qu’elle serait la compagne envahissante de plusieurs années de ma vie. Intrigué tout d’abord par ce poète extraordinaire et fasciné par le mythe étrange de la Lémurie dont il avait été question ce soir-là, j’entrai en « Chazalie », de la même manière que Raymond Abellio, par le très original Petrusmok, comme on entre en religion.

Et c’est avec ce livre que la problématique de ma thèse de doctorat a vu le jour, incertaine et peu assurée dans un premier temps. Il faut bien avouer que je ne savais pas grand chose, au départ, de cette fable haute en couleurs : n’étant pas Mauricien, n’ayant aucune attache particulière me reliant aux îles de l’Océan indien, c’est avec l’œil profane du néophyte que je me proposais de commencer mes travaux. Malcolm de Chazal ne devait être, dans un premier temps, qu’une pièce maîtresse d’un corpus littéraire assez vaste, comprenant les textes d’un certain nombre de poètes ayant écrit sur le thème des origines de l’univers : Claudel, Hart, Césaire ou Parcheminier,

[1] par exemple. Ce n’est qu’au bout de quelques semaines que je me rendis compte que cet assemblage textuel était trop artificiel pour qu’une étude puisse déboucher sur des conclusions intéressantes. Et, fasciné par Petrusmok, je décidai de réduire le champ de mes investigations à l’oeuvre de Chazal.

Ce qui n’était tout d’abord qu’une intuition non formulée acquit rapidement la force de la vérité : Malcolm de Chazal était le poète des origines. Cette quête l’avait occupé toute sa vie. Son œuvre en est encore le témoin le plus fidèle. Durant de nombreuses semaines, j’avais en effet considéré la Lémurie chazalienne comme une fin en soi, c’est-à-dire, comme une cosmogonie complète, ordonnée et achevée. Cependant, il fallait bien reconnaître que Chazal restait très évasif sur la Création à proprement parler, alors qu’il se révélait d’une grande prolixité lorsqu’il s’agissait de dépeindre la vie des habitants de Petrusmok et les circonstances de leur Chute. Dès lors, en lisant l’ensemble de ses œuvres, je me suis rapidement aperçu que la cosmogonie courait sur plusieurs ouvrages et que Petrusmok n’était qu’une sorte d’étape, qu’une espèce de laboratoire dans lequel les germes du thème des origines, déjà présents dans les Pensées, s’étaient développés et avaient permis à l’auteur d’avancer dans sa réflexion personnelle. En effet, même si ses différents ouvrages de Pensées portent en eux les signes avant-coureurs de sa fascination pour la cosmogonie, c’est avec Petrusmok que Chazal se révèle à lui-même et qu’il accepte d’écrire librement ce qui le préoccupe depuis de nombreuses années : Si Sens Plastique fut une révélation, le mythe lémurien lui prête une voix nouvelle. En conséquence, la philosophie chazalienne, débarrassée des exigences de l’orthodoxie surréaliste, ne cessera de s’épancher à longueur de volumes : l’Absolu, Pentateuque, Préambule à l’Absolu, les Deux infinis, les Dieux ou les consciences-univers, l’Espace ou Satan, le Sens de l’Absolu, l’Evangile de l’eau, le Roi du Monde, pour ne citer que ces quelques ouvrages,. ne vont cesser de tenter d’expliquer et de cerner la Création de notre univers né de la Chute.

L’œuvre de Chazal pose cependant un problème au critique littéraire : Est-elle littéraire ? théologique ? philosophique ? Elle est probablement tout cela à la fois. Les thèmes traités par Malcolm de Chazal ne se contentent pas seulement d’aborder les problèmes littéraires du siècle dernier. Le mystique mauricien, tout au long de son œuvre, a essayé de proposer une réponse à la question métaphysique universelle. Et, l’Humanité dans son ensemble est concernée par cette démarche puisque, du peintre préhistorique laissant sa trace sur les murs des grottes obscures, aux astrophysiciens de notre début de vingt-et-unième siècle, tous cherchent la réponse aux mêmes questions : qui sommes-nous ? d’où venons-nous ? l’existence a-t-elle un sens ? quelle est notre place dans l’univers ? Chazal, par ailleurs, n’est pas un littérateur mû par le souci esthétique de la création. La valeur littéraire de son œuvre passe pour lui assurément au second plan. Ce qui lui importe avant tout, c’est la teneur même de son message. Il envisage l’écriture comme un combat vital, pour lui même bien sûr, mais aussi pour l’humanité tout entière si par bonheur elle se ressaisissait en écoutant ses exhortations. Il est donc presque impossible de dissocier chez lui la matière philosophique, et par moment, franchement mystique, de la forme purement littéraire. Telle est sans doute la raison pour laquelle cet essai consacré à son œuvre amène au jour bon nombre de problèmes et d’enjeux existentiels qui vont jusqu’à relever des domaines de la religion ou de la métaphysique.

Dès lors, où Chazal nous entraîne-t-il ? en ces temps de fin de millénaire où les éclipses éveillent encore la crainte de certains de nos concitoyens, notre aspiration à la connaissance et à l’Absolu est sans limite. Les angoisses manifestées à travers le monde à l’approche de l’an 2000 montrent que ces questions sont plus que jamais d’actualité : les sectes, les nouvelles religiosités, les fanatismes de toute sorte sont animés par cette frayeur qui hante l’homme depuis les heures les plus reculées de l’humanité. Malcolm de Chazal, dans sa quête des origines, centre sa réflexion sur la cosmogonie et l’anthropologie. La mythologie et la théologie sont aussi largement prises en compte, ce qui amène la confrontation avec des questions bien actuelles : le recours au syncrétisme et au métissage culturel qui se retrouvent à propos du phénomène du « retour du religieux », du succès des sectes et celui des diverses variétés de mouvements de type « New Age » par exemple. L’œuvre chazalienne permet également une confrontation avec les questions qui se posent en relation avec la liberté d’interprétation des écritures saintes ou des traditions religieuses : leur intangibilité, tenue généralement pour manifeste, est en effet loin d’être respectée par Malcolm de Chazal, non seulement dans leur formulation, mais aussi pour ce qui est de certains de leurs contenus.

Ainsi donc, la nature de l’oeuvre chazalienne est incertaine. Elle le devient plus encore avec Petrusmok, cet objet littéraire curieux et inclassable. Face à lui, le chercheur ne peut pas oublier sa nature fictionnelle et son fonctionnement particulier qui est celui des paraboles : Son sous-titre augmente plus encore l’ambiguïté. Petrusmok est un « roman mythique ». Il est donc une fiction à double titre: tout d’abord parce que Chazal le désigne comme un roman, ensuite parce qu’il porte dans sa dénomination l’adjectif «mythique» qui renvoie, sans ambages, au domaine de l’imaginaire et de l’allégorie. Par ailleurs, le choix de présenter l’ouvrage en empruntant les codes du journal intime, daté, aux localisations géographiques précises, contribue à le rendre plus déroutant encore. Ce problème posé par Petrusmok est amplifié par le reste de l’œuvre chazalienne qui se présente sous la forme d’essais philosophiques et théologiques, de correspondances ou de poésies, reprenant la question des origines sur un registre beaucoup plus sérieux. Comment construire une réflexion scientifique et sérieuse en se fondant sur des affirmations dont on est toujours tenté de croire qu’elles sont suspectes ? Pour résoudre ce problème, j’ai choisi de ne valider des hypothèses que lorsqu’elles sont corroborées par des réflexions contenues dans des ouvrages dans lesquels la situation d’énonciation ne souffre aucune ambiguïté. Conséquemment, c’est avec rigueur que j’ai entrepris de passer l’oeuvre chazalienne au crible de la réflexion scientifique ou théologique. Cette méthode me semblait être une réponse honnête que l’on pouvait adresser à un auteur qui a souffert toute sa vie du mépris de ses concitoyens et dont l’œuvre a subi, depuis sa mort, bien des commentaires dérangeants, qu’ils soient favorables ou franchement hostiles. Mes travaux ne se donnaient pas d’autre objectif que d’appréhender cette œuvre sans états d’âme et sans a priori, sans rien savoir de ce qu’ils allaient éclairer ou assombrir.

Il me paraissait essentiel de débuter mon étude en analysant les influences qui ont présidé à la rédaction de Petrusmok, puisque c’est cet ouvrage qui marque véritablement l’acte de naissance de sa quête des origines. A partir de cette date, Malcolm passe en effet du non-dit au formulé, de l’inconscience à la conscience de vouloir réaliser une étude à grande échelle de la naissance de l’Univers. C’est pourquoi, il me semblait important d’étudier dans une première grande partie, les influences littéraires de l’auteur, en ce qui concerne le mythe lémurien, ainsi que l’interprétation personnelle qu’il en fait dans Petrusmok en répondant à plusieurs questions qui me paraissent fondamentales : qui est à l’origine de cette rêverie poétique ? comment Malcolm de Chazal l’interprète-t-il, et quelles méthodes d’investigations met-il en œuvre pour exhumer ce passé oublié de l’humanité ?

Ensuite, il me semblait logique de dépasser le cadre étriqué de Petrusmok pour fonder une étude plus générale des influences théologiques et philosophiques qui ont permis à Chazal d’élaborer son système. Il était essentiel en effet de s’intéresser plus particulièrement à la structure théologique et philosophique de la cosmogonie chazalienne elle-même, dans sa déconcertante ampleur, en essayant de comprendre les enjeux et le rôle des acteurs de son système : la nature du Créateur, son rôle et la manière d’accéder à lui, dans une relation personnelle et passionnée. Il me paraissait intéressant également de clarifier dans cette seconde partie la position de Chazal concernant certaines réflexions liées de près ou de loin à des doctrines dualistes qui avaient cours dans la tradition chrétienne hétérodoxe des premiers siècles de notre ère et qui se reflètent notamment dans certaines de ses assertions gnostiques.

Enfin, ce fut l’étude de son système cosmogonique à proprement parler qu’il convenait de mener dans une troisième et dernière partie en essayant d’ordonner le foisonnement des idées du poète : Ce travail fut complété par une étude détaillée de quelques symboles cosmogoniques tirés de Petrusmok (le prophétisme et la révélation, la place de Petrusmok dans la cosmogonie générale, l’allégorie proposée par la géographie des montagnes lémuriennes ainsi que celle véhiculée par les géants rouges) afin de vérifier, d’une manière dialectique, si l’analyse du système cosmogonique d’ensemble était véritablement solide. Il me semblait particulièrement intéressant de replacer Petrusmok dans l’économie d’ensemble de l’œuvre pour s’assurer que tout ce qui avait été dit dans les deux premières parties résistait à l’épreuve implacable de l’exemple et de l’expérimentation, fût elle littéraire.

Ainsi, à partir d’un mythe souvent entaché par le discrédit que lui ont conféré les dérives ésotériques, c’est une histoire onirique et mystique de la création de l’univers que cet essai va tenter de proposer en se fondant sur la lecture passionnée d’une œuvre plurielle conduisant les lecteurs que nous sommes aux portes de l’Absolu, un Absolu fascinant, angoissant et magique.

Première partie

Aux origines de la cosmogonie chazalienne : l’ombre du continent lémurien

« Pourquoi n’y a-t-il jamais eu d’êtres légendaires dans l’hémisphère austral ? Cette idée m’a hanté. Ce sont les montagnes de l’île Maurice qui m’ont répondu ». (Malcolm de Chazal, Petrusmok).

I

Malcolm de Chazal : formation et influences

« Que les fins de journées d’automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu’à la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n’exclut pas l’intensité ; et il n’est pas de pointe plus acérée que celle de l’infini ». (Charles Baudelaire, Le spleen de Paris).

I. Les débuts littéraires

Malcolm de Chazal naît à Vacoas en 1902, dans une famille d’origine française installée à l’île Maurice depuis le milieu du dix-huitième siècle. A l’âge de seize ans, il part en Louisiane pour y entreprendre des études techniques qui déboucheront sur un diplôme d’ingénieur sucrier. Cette période d’apprentissage, il la vivra comme une épreuve dont il évoquera le souvenir dans Sens Unique en 1974 : « Pendant cinq ans, écrit-il, je fis à l’université de Bâton Rouge, en Louisiane, ce que j’appellerai mon supplice de la fausse connaissance ». De retour à Maurice, il exerce un temps son métier, puis « pour être libre », il quitte son travail et prend un poste de fonctionnaire au service du téléphone. Quelques temps plus tard, profitant de sa nouvelle liberté, il se met à écrire. De 1935 à 1941, il publie en effet, sous le pseudonyme de Médec, quatre ouvrages d’économie politique qui inaugureront une carrière marquée par une rare prolixité. Se tournant vers des préoccupations beaucoup moins économiques, il publie de 1940 à 1945 sept volumes de pensées, édités à Maurice par Thomy Esclapon, qui renferment une somme étonnante d’aphorismes divers, incisifs et souvent pleins d’humour :

– « l’odorat est le périscope de la chair »

– « Dieu peut tout, sauf se suicider »

– « Le génie est le hors-concours de la folie »

– « On trouve toujours un sage pour remplacer un autre sage. Seuls les fous sont irremplaçables ».

D’où lui vient une telle inspiration ? Chazal confesse qu’il reçut une révélation foudroyante, peu après qu’il eut commencé à consigner ses Pensées par écrit, dans le jardin botanique de Curepipe, où il avait pris l’habitude de se promener : « Un jour, écrit-il, par une après-midi très pure, je marchais quand, face à un bosquet d’azalées, je vis pour la première fois une fleur d’azalée me regarder. C’était la fée. « Sens-plastique » était né. La plume à la main, en marchant, j’ai écrit tout « Sens-plastique » aisément, car tout m’était dicté ». [2]

Cependant, ces sept volumes de pensées, issus directement de la « Bouche d’ombre », provoquèrent « un grand éclat de rire dans tout le pays ». Des voix s’élevèrent des quatre coins de l’île pour fustiger « l’oeuvre d’un fou ». Dès lors, Chazal se sentira incompris à jamais chez lui, dans cette île Maurice qui cultive indifféremment « la canne à sucre et les préjugés » [3], comme en témoigne la préface de Pentateuque, où la polémique va bon train :

« En 1947, paraissait à l’île Maurice, Sens Plastique. A part quelques esprits excellents, nul ne comprit le livre. […] En 1950, j’éditai, à l’île Maurice, Petrusmok, qui introduit le mythe vivant d’à partir de la pierre. Nouveau silence, nouvelle incompréhension.

Voici ce Pentateuque […]. Si cet ouvrage n’a pas d’échos, ce sera signe que l’esprit terrestre a touché à sa fin, et n’est plus capable de résonner. Il faudra alors écrire le mot mort, et attendre les Nouveaux Temps ».

D’autres textes se font l’écho de l’étrange relation qui lie Malcolm de Chazal au peuple mauricien. De ce point de vue, sa Correspondance avec Jean Paulhan est riche d’enseignements. Elle témoigne sans ambiguïté du climat de tension qui règne à l’île Maurice, à l’égard d’une œuvre complexe, incomprise et souvent brocardée : « A l’île Maurice, confesse le poète, je suis calomnié, vilipendé, accusé et flétri à chaque seconde. Ma personnalité déborde trop sans doute le cadre du pays. Je suis attaqué surtout par les blancs. Une des calomnies est que je suis un impuissant sexuel, farce absurde, mais qui devient sinistre quand on sait que le sexe chez le génie est lié à l’érection spirituelle du cerveau, de manière plus intensive que chez n’importe quel autre au monde.[…] Il faut que le monde sache que je suis outragé en mon pays. […] L’attaque spirituelle a pris une autre forme à l’île Maurice : je suis traité dans la presse locale d’Antéchrist. Cela ne m’émeut guère et même me flatte. Mais le but visé est de m’isoler encore plus dans cette île de bigots. Mon caractère est étudié dans ses moindres recoins afin d’y découvrir des failles. La moindre chose anodine est dressée en épingle et placardée dans les journaux ». [4]

Victime authentique de la vindicte populaire ou paranoïaque génial exploitant au plus juste les réactions d’une foule excédée par les facéties d’un original, Malcolm de Chazal semble s’accommoder de son statut de réprouvé. Son œuvre complexe n’en est que plus rehaussée par l’éclat que seuls possèdent les monuments littéraires qui ne trouvent chez leurs contemporains que la réprobation et le mépris.

II. La gloire parisienne

Brocardé à l’île Maurice, Chazal décide, en 1945, d’envoyer aux artistes français et européens, cent cinquante exemplaires de la moitié du gros ouvrage qu’il vient de faire paraître à l’île Maurice, Sens plastique II, car ils lui paraissent bien mieux disposés que ses compatriotes à recevoir sa révélation poétique. Quelques uns de ces intellectuels daignent lire le livre. Une vague de frénésie et d’enthousiasme s’empare alors du groupe surréaliste. André Breton lui consacre un article, La lampe dans l’horloge, qui sera repris quelques années plus tard dans La clé des champs, et dans lequel il affirme qu’il « n’a vu pour sa part surgir et s’imposer comme tout à fait réel et doué des prolongements voulus qu’un seul message de l’ordre de celui qu’il réclamait. Il tient en un volume intitulé « Sens plastique II » […] ». Toujours dans le même ouvrage, il prétend ne rien avoir « entendu de si fort depuis Lautréamont ». Mais le chef de file du Surréalisme n’est pas le seul à s’enthousiasmer ainsi. Jean Paulhan, Aimé Patri, Francis Ponge tout d’abord, Camille Bourniquel et Georges Bataille ensuite, reconnaissent en Chazal un météore poétique dont « le livre a chu en France […] comme un os, comme une pierre venue d’une autre planète ». [5] Jean Paulhan, subjugué, réussit à convaincre Gaston Gallimard de publier le livre, et c’est loin des sarcasmes de son île que Malcolm connaît la consécration.

Ce fut surtout le caractère neuf de Sens plastique qui envoûta les intellectuels parisiens, percevant sous l’écriture chazalienne, la trace du génie : « […] voilà que les images qui d’abord me paraissaient pittoresques, soudain se montrent à moi renversées, par l’effet, par l’effet d’un art qui mérite, je pense, le nom de génie, ce nom et aucun autre, confie André Breton dans La lampe dans l’horloge, par exemple ».

Une fois publié, le livre ne tarde pas à trouver un public soulevé par la même frénésie que celle qui avait transporté ses premiers lecteurs. Une deuxième publication chez Gallimard, La vie filtrée, en 1949, exploite pour un temps le phénomène de mode Chazal. Mais, après une courte flambée, Sens plastique connut le silence avant de sombrer dans l’oubli.

Comme le « Premier Sens plastique », le second recèle environ deux mille « pensées » qui varient en longueur d’une ligne à une page complète. Breton y retrouve avec délice, l’esprit originel du Surréalisme, ce « point suprême où les contradictoires cessent de se contredire ». Ce qu’il apprécie par dessus tout, c’est la propension de Chazal au rapprochement de pôles poétiques éloignés afin de donner à l’image une force nouvelle implacablement dévastatrice :

« Brouillard : la nature fait la barbe au soleil. Sitôt passé le brouillard, le soleil paraîtra glabre comme un sou neuf, ayant perdu dans le floconnement soyeux du brouillard qui s’éloigne les derniers vestiges de ses rayons hirsutes ». [6]

La révélation du jardin botanique de Curepipe a sans doute permis à Malcolm de Chazal de formaliser ce qui était resté chez lui à l’état inconscient depuis son enfance : très tôt en effet, s’éveille en lui le sentiment qu’il participe, de concert avec les représentants de la nature qui l’entoure, à une sorte d’unité ontologique. L’eau, les fleurs, les animaux, le sable et les pierres des chemins, il les perçoit non pas comme des choses, mais comme « des amis ». « Du bois servant à la cuisine, confesse-t-il par exemple dans Sens Unique, le bois de filao, je détachais des écorces et des brindilles que je portais à la mer. Et là, au pied du filao s’élançant dans le ciel, je déposais cette offrande : « voici, disais-je en moi-même au filao qui était devant moi et qui devait m’écouter, je te ramène ton petit copain ». Sa quête, à partir de la révélation de Curepipe, fut celle de la recherche acharnée de l’enfant chez l’homme. Et, c’est cette recherche primordiale qui apparaît de prime abord au lecteur, dès les premières lignes de Sens plastique. La vision qu’il propose du monde est celle d’un enfant. Certains aphorismes laissent transparaître une naïveté, une candeur que l’on ne retrouve que dans les productions artistiques des plus jeunes. Avec Sens-plastique, c’est un monde nu qui est livré au lecteur. Le poète, en délivrant une parole épurée et parfois brute de matière verbale, brosse des tableaux marqués par une grande pureté. Le lecteur, ainsi conduit pas à pas dans cet univers de dépouillement, perd page après page, les écailles qui recouvraient ses yeux d’adulte. Car c’est à l’enfant qui sommeille en chacun de nous que Malcolm de Chazal s’adresse. Et, ceux qui refusent d’entrer dans son jeu, trouveront sans doute sa poésie bien naïve :

Les pétales sont le tympan de la plante. Bruits au lointain font vibrer les pétales en sismographe.

Les arêtes des montagnes sont les épines dorsales du vent.

Ou bien,

Le gris est le cendrier du soleil.

Sa poésie se fonde sur l’exploitation systématique des sens érigés en outil de captation et de création. Même s’il s’en défend,[7] l’on rencontre pour la première fois ici, l’ombre d’Arthur Rimbaud sur son écriture, ombre qui ne cessera de le hanter tout au long de son œuvre.

Les sens sont sans doute la clef de son système. Pour lui, « tout descend dans la mémoire par les pentes inclinées des sens, et remonte ensuite dans le cerveau par le monte charge de l’imagination » (Sens plastique). Et, c’est par le recours à la vue, à l’odorat, au toucher, à l’ouïe et même au goût que le poète parvient, quoiqu’il puisse dire, par une sorte de nouveau « dérèglement raisonné de tous les sens », à faire émerger de l’invisible un sixième sens, le fameux sens-plastique qui permet d’entrer en communion étroite avec la nature et le monde. « Le goûter, écrit-il, est une maison d’une seule pièce – la bouche. L’ouïe a le boudoir de l’oreille ; les yeux ont le salon de la cornée ; l’odorat a le long hall du nez. Mais, le plus mal loti est le toucher qui, lui, vit sur le terrain nu de la peau, comme un vagabond dans la rue ». Ainsi, l’utilisation de ses sens dans l’ouverture des « portes de la perception » le pousse parfois à une certaine sensualité que les commentateurs comme André Breton, Jean-Louis Joubert ou Bernard Lecherbonnier préfèrent désigner par le terme de « volupté ». Et, ils ont sans doute raison car le poète lui-même utilise volontiers ce vocabulaire :

La volupté est un accouchement mutuel entre deux tombeaux charnels dans le cimetière désertique de l’esprit.

ou

La volupté est païenne au départ, et sacrée vers la fin. Le spasme tient de l’autre monde.

Chez Malcolm de Chazal en effet, le sacré est toujours à portée de la main. Cette tendance déjà marquée dans Sens-plastique s’accentuera au fil de son œuvre. Certains aphorismes cependant, « surréalistes » malgré tout, portent indiscutablement une voix aux accents chrétiens : « La volupté, affirme le poète, c’est la lutte de Jacob avec l’Ange, c’est l’image de l’âme terrassant le corps, symbole de la primauté de l’Esprit sur la matière. La volupté est avant tout notre propre âme étreignant notre propre corps pantelant. C’est l’inceste dans son essence, le narcissisme charnel dans sa plénitude, image sur un autre plan de l’amour de Dieu pour sa Création ».

Et, cette volupté mystique s’accompagne toujours d’une utilisation « plastique » de la couleur. Chazal est fasciné par la peinture, au point qu’il s’y adonnera lui-même à la fin de sa vie avec passion. Cette couleur, il la considère sans doute comme les anciens : celui qui possède la couleur est un sorcier capable de faire naître des mondes stupéfiants. Malcolm de Chazal retrouve ainsi l’étymologie du mot « pharmakôn », désignant à la fois les couleurs du peintre ou le philtre du sorcier. L’appréhension des couleurs repose chez lui sur cette polyphonie que les poètes utiliseront si souvent. Sens-plastique est traversé de part en part par ces évocations colorées, mystérieuses, dans lesquelles on est toujours tenté de soupçonner, derrière la parure innocente dont elles sont revêtues, la présence de leur nature ésotérique et magique :

Les couleurs ne sont que des bouées lumineuses au sein de l’océan de clarté – l’œil étant, du soleil, l’unique horizon.

Toutes les couleurs nagent dans le bleu. Rose écarlate sur robe bleue navigue dans le tissu, comme un bateau sur l’eau.

Ou bien,

Le bleu s’enrhume dans le bleu-vert, et éternue dans le gris.

Cette fascination pour la couleur, on la retrouve souvent au détour de l’œuvre de Chazal, accompagnée presque toujours de ses deux attributs principaux que sont la volupté et la naïveté. Dans Petrusmok par exemple, Malcolm de Chazal fait le récit de visions qu’il aurait vraiment vécues, et qu’il consigne dans un journal intime. Voici le résumé de ce qu’il écrit par exemple ce 12 juillet 1950 : La scène se passe à Souillac, une petite station balnéaire, au sud de l’Ile Maurice. Le fait que Petrusmok commence ici ne semble pas être un acte fortuit. Il faut y voir sans doute un hommage au poète Robert-Edward Hart qui vivait à Souillac dans une maison de corail près de l’océan et auquel Malcolm de Chazal vouait une grande admiration.

Ce 11 juillet 1950, Chazal, en compagnie d’une amie, Edmée Le Breton, arrive à Souillac pour passer la journée sur les plages. Soudain, alors qu’il est étendu sur la grève, il se voit échapper au temps : tout disparaît autour de lui et le sentiment de ne plus être à l’île Maurice le gagne bientôt. En transe, c’est l’île des origines qu’il contemple maintenant, le fameux continent lémurien, jadis disparu : « Les montagnes formaient d’immenses promontoires où la lumière s’engouffrait. […] A leur pieds, un troupeau d’hommes y vivait. Leur couleur était rouge ».

Chazal se rend compte très rapidement qu’il assiste à un office religieux. En effet, les hommes qu’il observe adorent les montagnes, « le plus haut lieu du symbole ». Mais, tout à coup, la transe le quitte : une mouche est venue rompre la féerie. Mais, il reprend un nouveau souffle et repart vers les rivages lémuriens.

Cette fois-ci, il se transporte « en esprit » jusqu’au Morne, au sud-ouest de l’île. Là, il voit des femmes-marguerites « qui dans une danse rythmée, mimaient les floraisons ». Tout un peuple, assis, regarde leur étrange chorégraphie. Il s’agit encore d’un culte au Très-Haut. Cependant, le charme est à nouveau rompu à cause d’un chien venu lécher les pieds du visionnaire. Après l’avoir chassé, il se sent à nouveau happé par l’envoûtante Petrusmok.

C’est vers la région de Grand-Port que son esprit vogue maintenant. Chazal aperçoit un groupe de « rouges » duquel un être de feu se détache pour lui tendre un œillet. En regardant le cœur de la fleur, il voit « toutes les cathédrales de verdure, toutes les nefs des forêts, tout le corps insufflé des montagnes, les balancements des eaux et les ondulations de la lumière, et tous les gestes du prisme par correspondances ». En fait, il parvient, en fixant l’œillet, à percevoir ce qui l’entoure avec l’œil de « l’homme universel qui est dans tout ». Après cette impressionnante vision, Malcolm revient à la réalité

Sensualité, couleurs et naïveté, présentes dans toute l’œuvre chazalienne, se résolvent dans Sens-plastique dans une parole à la structure réglée. Malcolm de Chazal cultive en effet une poétique de l’incantation qui procède de l’utilisation d’une stylistique souvent répétitive : le poète recourt très souvent au présent de l’indicatif par exemple et à l’utilisation presque exclusive de la forme affirmative. Ainsi, la structure de ses aphorismes est souvent la même : un groupe nominal sujet précède un verbe, souvent d’état, introduisant un groupe nominal attributif. La parole poétique ainsi délivrée, simple et dépouillée, ressemble à la parole oraculaire des prophéties. Et, l’on peut sans doute croire Chazal lorsqu’il affirme dans Sens unique avoir reçu une puissante révélation. Comme Rimbaud, Chazal semble « régle[r] la forme et le mouvement de chaque consonne ». Et ce qu’il trouve dans l’exercice de cette esthétique ressemble sans doute au fameux « rythme instinctif » rimbaldien, celui-là même qui lui permit d’écrire « des silences » et de « noter l’inexprimable ». Malcolm de Chazal, dans Sens-plastique « fixe [en effet] des vertiges » en redonnant aux mots leur « valeur émotionnelle » comme l’envisageait André Breton dans Le merveilleux contre le mystère. C’est sans doute cette poétique, née du symbolisme directement qui a le plus frappé le groupe surréaliste.

Chazal, à cette époque, est, peut-être sans le savoir en réalité, un vrai surréaliste malgré l’outrance de certaines de ses affirmations. Bernard Lecherbonnier, dans son essai Surréalisme et francophonie [8], reconnaît en effet que certaines déclarations du poète ont tendance à brouiller les pistes, tant sa mégalomanie le pousse, lui et son œuvre, à l’extrême périphérie du mouvement : « le Surréalisme a autant à voir avec mon œuvre qu’un balbutiement inarticulé se compare à un langage clair et sonore » écrit Chazal à Jean Paulhan dans une lettre datée du 2 septembre 1947. Il est en effet persuadé qu’il a atteint une sorte de point de non retour, un stade mythique de dépassement sans appel du Surréalisme. Il est en outre convaincu que son écriture « porte au monde autre chose » de plus puissant, de plus fort et de plus irrésistible, « une autre chose » qu’il ne peut définir mais qui est bien présente, à l’affût sous le verbe.

III. Chazal et le monde de l’occulte

Ce qui se cache ainsi sous les replis de l’écriture, ressemble à bien des égards à la puissance sourde de la Parole, maîtrisée et domptée mais qui est prête à délivrer sa puissance, à tout moment. Cette force obscure, Breton la repère très vite sous la parure de ténèbres de la parole chazalienne, dans laquelle se font sentir, des relents de pensée swedenborgienne : « je suis persuadé que Malcolm de Chazal cède là à une ivresse divinatoire sans lendemain, aussi éloignée que possible de celle que put atteindre Nietzsche au temps d’Ecce Homo » martèle Breton [9] tandis que Paulhan identifie cette capacité à faire surgir des images si fortes à l’art des correspondances de la religion égyptienne, de la théosophie, de la Kabbale et de l’occultisme. [10]

Cette tendance déjà marquée pour la chose mystique s’accentue perceptiblement à partir du début des années 1950. Chazal semble en effet de plus en plus préoccupé par des questions d’ordre métaphysique et religieux. C’est avec beaucoup d’alacrité qu’il fustige la raison, par exemple, accusée d’être « le cancer de la pensée moderne que la révolution a déifiée, et dont Descartes et Voltaire sont les incarnations types ». [11] Quant à la philosophie, il considère qu’elle « ne nous apprend rien de l’absolu des choses ». Selon lui, elle divise, à l’instar de la raison, au lieu de proposer une démarche, diamétralement opposée, de fusion des éléments, indispensable à la réalisation de l’Unité, une Unité qui a cessé d’exister à la création de l’univers. [12]

Une lourde histoire familiale marquée par le mysticisme

C’est également à cette époque que Malcolm de Chazal s’intéresse de près à ses origines et qu’il tente de les retrouver.[13] Selon toute vraisemblance, ce fut un article d’Aimé Patri, « Je reçois un grand message poétique de l’île Maurice », publié dans la revue Combat du 23 août 1947, qui éveilla la curiosité du poète en mentionnant l’existence du procès-verbal d’initiation Rose-Croix d’un certain Chazal. L’occultiste René Guénon attisa plus encore la curiosité du poète au sujet de son passé familial, quelques semaines plus tard. Très intéressé par l’alchimie et les sociétés secrètes, Guénon écrivit à Chazal peu de temps après (peut-être avait-il eu lui aussi connaissance de l’article de Patri ?) pour lui demander des renseignements complémentaires sur un de ses aïeuls, le comte François de Chazal de la Genesté, connu dans le milieu occultiste pour avoir « été le disciple du comte de Saint Germain ». Il faut sans doute croire qu’à l’époque où il est en contact avec le groupe surréaliste, Chazal ignore les fables dont son ancêtre est le héros mythique. Certains commentateurs pensent (et j’ai fait moi-même un temps partie de ceux-là) que le poète connaissait, dès l’époque de ses relations avec les surréalistes, l’existence de François de Chazal et la notoriété dont il jouissait dans les cercles ésotériques. Aussi, considèrent-ils que le poète cherche à dissimuler son histoire familiale, notamment à Jean Paulhan et André Breton, de peur peut-être, qu’elle compromette la brillante carrière littéraire que lui annonçaient les intellectuels français de l’après-guerre. On peut sans doute accorder à Chazal le bénéfice du doute sur cette question. Il aurait pu en effet omettre de révéler à Paulhan la teneur de la lettre de Guénon. S’il la mentionne, c’est au contraire pour montrer qu’il ne sait rien des agissements de son aïeul. Aussi, il s’étonne qu’à Paris on puisse le suspecter d’appartenir à certains milieux ésotériques : La correspondance de Guénon a du éveiller chez lui une grande curiosité. La découverte fortuite de cet ancêtre initié fut probablement une étape importante dans l’évolution de son écriture. A partir de ce moment, il fait des recherches, glane çà et là des bribes d’informations et tente, à partir de ces matériaux disparates, de reconstituer la trame de l’histoire de sa famille. Qu’écrit-il en effet à Paulhan le 15 octobre 1947 ? « Monsieur René Guénon qui est établi au Caire depuis vingt ans, et qui « s’occupe uniquement de questions d’ordre ésotérique et initiatique », m’écrit entre autre chose ceci : (cela rejoint de manière chronologique étonnante ce que vous m’écriviez au sujet de ce qu’on m’oppose en ce moment à Paris dans certains milieux : Martinisme, Rose-Croix, etc.)

Texte de M. Guénon

« Je me permettrai, puisque l’occasion s’en présente, de vous poser une question : j’ai très souvent entendu parler de votre famille, et entre autres choses, j’ai entendu dire autrefois que le marquis de Chazal, qui alla s’établir à l’île Maurice, vers la fin du XVIII ème siècle, aurait été disciple du comte de Saint Germain et même dépositaire de son secret. Ses descendants actuels en ont-ils conservé quelque souvenir ? Si ce n’est pas trop indiscret, je serais très intéressé de savoir ce qu’il en est ».

« Je ne connaît rien de cette affaire, reprend Chazal. Notre livre de famille ne mentionne rien à ce sujet. Je n’en ai jamais entendu parler par les miens ». Et, en effet, il dit vrai quand il affirme que le livre de famille ne dit rien à ce sujet : René Le Juge de Segrais, le rédacteur de l’ouvrage en question (Histoire généalogique de la famille de Chazal, Paris, Champion, 1927) ne relate rien qui puisse laisser penser que François de Chazal fut un initié. Malcolm est donc sincère quand il écrit à Paulhan qu’il est étonné par les rumeurs qui circulent sur son compte. Il en est même d’une certaine manière blessé de voir que son inspiration puisse être mise en relation avec une expérience déjà connue et cartographiée :

« Je descends d’une famille française originaire du Forez en Auvergne, qui est établie à Maurice depuis cent soixante-quinze ans, et qui est par ce fait même une des plus anciennes du pays. Elle a donné surtout à l’île des propriétaires sucriers et des hommes de loi. Rien de très saillant dans cette lignée ». […] « Pour revenir à votre lettre au sujet des allusions à l’initiation, au Martinisme, aux Rose-Croix, l’étrange serait de trouver des carrefours que j’aurais croisés au cours de mon évolution, et que d’autres auraient déjà pressentis ou foulés avant moi – avant que je n’eusse pris ma route solitaire dans des directions neuves, sur des terrains vierges de tout esprit humain ». [14] D’où peuvent bien provenir ces relents de pensées occultes? de la famille dans laquelle il a grandi en premier lieu. Chazal reconnaît volontiers avoir appartenu, comme toute sa famille, à la secte swedenborgienne, qu’il affirme avoir quittée depuis 1927 pour ne plus avoir de rapports avec elle. Si sa bonne foi en ce qui concerne le passé de François de Chazal peut être reconnue, en revanche, son obstination à cacher à ses interlocuteurs parisiens ses relations avec le christianisme réformateur de la Nouvelle Jérusalem, [15] doit être soulignée. Peut-on être un surréaliste chrétien ? c’est la question que pose au lecteur l’œuvre de Chazal. Et, il faut reconnaître qu’elle n’est pas plus absurde que celle qui consiste à se demander si on peut être un surréaliste stalinien. (Antonin Artaud dénoncera le rapprochement du groupe surréaliste et du parti communiste dans A la grande nuit ou le grand bluff surréaliste par exemple). Si Chazal ne voit aucun inconvénient, pour sa part, à adopter cette position chrétienne, André Breton n’est sans doute pas près à la tolérer, lui qui en a excommunié d’autres pour des motifs moins graves ! C’est pourquoi, Chazal s’empresse de minimiser son implication dans la secte novijérusalémite dans sa correspondance notamment : « Voici ma position exacte sur le terrain « théologie », écrit-il à Paulhan. J’ai appartenu, comme toute ma famille, à la secte swedenborgienne. Depuis 1927, je ne pratique aucune forme de religion. Je suis chrétien dans le sens évangélique, à la mode des « premiers temps ». Sur le plan du cœur, c’est ma seule idéologie cependant ». Malcolm de Chazal dit peut être vrai quand il affirme ne plus appartenir à la secte de la Nouvelle Jérusalem. Cependant, il est sans doute resté très proche du christianisme comme le montre toute son œuvre postérieure à La vie filtrée. Mais, il n’est pas seulement « un chrétien à la mode des premiers temps » comme il le prétend dans sa correspondance. Après 1950, son œuvre ressemble à une réécriture des textes bibliques. Jésus le Nazoréen, ainsi que le définit Jean l’évangéliste, le fascine, le hante, l’habite, au point que ses textes portent les « stigmates » des écrits johanniques : nombreux intertextes du quatrième évangile, motifs du Logos et de Melchisédeq et sympathies gnostiques sont aisément repérables lors d’une lecture attentive. Je reviendrai dans le détail dans la deuxième partie de cet essai, sur les influences mythico-bibliques qui apparaissent dans son œuvre à partir de Petrusmok, date à laquelle le groupe surréaliste, excédé par ses délires épistolaires, se détache de lui. Cette liberté de parole retrouvée lui permettra de parler de Dieu et du Christ sans détour.

Arrêtons nous un instant sur la secte de la Nouvelle Jérusalem à laquelle nous savons que Chazal a appartenu. A l’origine de ce groupe religieux, l’on rencontre un certain George Herbert Poole, un professeur de langues qui avait trouvé dans les thèses de Swedenborg l’expression de ses attentes théologiques et mystiques. Installé à Adélaïde en Australie depuis 1840, il obtint une nomination en 1846 au collège royal de Curepipe. Si l’on en croit Jean-François Mayer, [16] Poole « fut ainsi le premier à introduire les doctrines novi-jérusalémites à l’île Maurice »[17]. A son retour en Australie en 1850, son œuvre prosélitique s’étant montrée particulièrement efficace, l’on pouvait compter quelques admirateurs fraîchement convertis aux doctrines du maître spirituel suédois. Parmi cette poignée de fidèles, Louis-Emile Michel, un petit peintre obscur, entreprit d’écrire à Jean-François-Etienne Le Boys des Guays, le traducteur français de Swedenborg, pour lui commander des ouvrages. Il semble en outre, que ce soit Michel qui initia l’arrière grand-oncle de Malcolm de Chazal, Edmond, aux enseignements de la Nouvelle Eglise, en lui prêtant un certain nombre d’ouvrages expédiés de France par Le Boys des Guays.

Edmond de Chazal était « un riche planteur qui menait une vie patriarcale, entouré de ses douze enfants et qui employait sur ses vastes propriétés un millier de travailleurs indiens. Edmond de Chazal accepta avec conviction les nouvelles doctrines et se fit un devoir de les propager ». Vers le milieu des années 1850, imitant d’une certaine manière l’homme qui l’avait initié, Edmond se mit en rapport avec Le Boys des Guays pour obtenir de lui un appui précieux. Ce fut le début d’une étroite collaboration entre les deux hommes : le Mauricien offrit son argent, le Français sa connaissance des écrits swedenborgiens [18]. A partir de 1858, tout s’enchaîna très vite. Chazal établit chez lui « un culte de famille », puis fonda le 11 janvier 1859, avec l’aide de quelques amis, une Société de la Nouvelle Jérusalem de Maurice. Il commença à publier par ailleurs, un mensuel, L’écho de la Nouvelle Jérusalem, par lequel il œuvra à la promotion de ses idées religieuses [19].

« L’activité intense de la Nouvelle Eglise à Maurice, affirme Jean-François Mayer, surtout après la création de l’Echo, entraîna bien des critiques de la part des clergés catholique romain et anglican » Faisant front aux attaques avec une certaine habileté, par la rédaction et la publication notamment, de nombreuses mises au point théologiques, [20] Edmond de Chazal ne détestait pas polémiquer avec une Eglise officielle qu’il rendait responsable de tous les maux de la terre : [21]

« C’est une triste histoire que celle de ma lutte avec l’Eglise catholique en cette colonie, pour avoir le libre exercice du culte de Dieu d’après ma conscience. […] J’avais plus de quarante-cinq ans lorsque j’ai commencé à sentir que la Religion est chose indispensable pour l’homme. J’étais père de famille et planteur sucrier, c’est-à-dire que j’avais charge d’âmes, ayant à gouverner une population assez considérable de travailleurs et d’ouvriers. […] c’est à cette heure que vint à mes mains, par Providence Divine évidemment, la Doctrine du Seigneur d’après le sens interne révélé de la Parole et dont l’exposé était dans les ouvrages de Swedenborg. Faut-il vous dire que mon choix fut bientôt fait ; et que l’étude de ces ouvrages fut dès ce moment mon occupation constante ? […] Je vis enfin la cause de toutes les erreurs théologiques, dogmatiques et doctrinales qui ont envahi le monde, la cause même de toutes nos souffrances morales et sociales. J’avais enfin une croyance religieuse vraie ».

Ces controverses dogmatiques n’entravèrent pas le développement de la jeune secte. En 1863, elle comptait près de soixante-quinze membres, enfants baptisés compris. « Les participants aux divers cultes familiaux se retrouvaient une fois par mois pour un culte commun à Port-Louis » [22].

A la mort du Pasteur Edmond de Chazal le 12 février 1879, la Nouvelle Eglise, contrairement aux spéculations de ses adversaires, continua de s’épanouir lentement. Elle compte encore de nos jours, quelques fervents adeptes. Cette pérennité est due sans doute, à l’énergie déployée par les enfants du défunt révérend Chazal, qui, si l’on en croit Jean-François Mayer, seraient à l’origine de l’établissement de la Nouvelle Eglise à Lausanne :

« Nous ne dirons pas que les doctrines de la Nouvelle Eglise aient été importées à Lausanne de l’île Maurice, mais peu s’en faut, car notre histoire est intimement liée à de nombreux amis du beau petit pays, sans lesquels il est possible que nous n’eussions pas encore de société organisée dans notre ville ». [23]

L’auteur de ces quelques lignes publiées dans le mensuel Messager (une sorte de réplique de l’Echo mauricien), est bien placé pour témoigner de l’importance du rôle de la famille Chazal dans la fondation de la Nouvelle Eglise de Lausanne : en effet, il n’est autre que le gendre de Pierre de Chazal, neveu d’Edmond et grand-père de Malcolm ; son mariage avec Raymonde de Chazal le 11 septembre 1912, fut le premier service religieux présidé à Lausanne par un ministre de la secte swedenborgienne. Pierre, s’installa en Suisse en 1914 et contribua activement à structurer la jeune église naissante [24].

Rose-Croix, Alchimie

Cependant, la Nouvelle Jérusalem n’est pas la seule ascendance mystique de l’inspiration de Malcolm de Chazal. Effectivement, un peu à la manière d’un romantique, le poète se rappelle avec fierté, depuis que René Guénon le lui a révélé, qu’il est aussi le descendant de François de Chazal de la Genesté, un initié notoire lié lui aussi aux idées du théosophe suédois. L’Histoire a retenu de lui qu’il était un Rose-Croix originaire du Forez, venu s’installer à Maurice en 1763 en compagnie de son frère Antoine-Régis de Chazal de Chamarel. Passionné par l’occultisme et l’alchimie, il était le disciple de Swedenborg et entretenait des relations d’amitié avec le mystérieux Comte de Saint Germain. Erik Sablé rapporte que le docteur Sigismund Backström évoque sa mémoire dans ses Anecdotes of the Comte de Chazal. Il reconnaît en lui un authentique initié et il fait dans son ouvrage la description de « ses multiples actes de charité. Un jour, alors qu’il avait été invité à pénétrer dans son laboratoire, il fut le témoin d’une fantastique transmutation alchimique ». Toujours selon Backström, Chazal « possédait un don de voyance exceptionnel puisque durant toute la période révolutionnaire, il semblait suivre les événements à distance »…depuis l’île Maurice.[25]

Il est étonnant de rencontrer une étrange intertextualité dans les textes qui évoquent François de Chazal, parmi ceux que j’ai pu avoir en ma possession. Et, leur filiation est intéressante car elle éclaire l’itinéraire littéraire de Malcolm : Aimé Patri, le premier, mentionne donc dans un article de la revue Combat l’existence d’un procès-verbal d’initiation rosicrucien ancien, dans lequel l’on peut rencontrer le nom de Chazal. Puis, René Guénon, ensuite, attire l’attention du poète en lui fournissant des renseignement plus précis sur les agissements de son ancêtre. Chazal alors tente de se documenter mais ne trouve rien de convaincant dans les archives familiales. Alors il se tourne vers les Annales de la franc-maçonnerie anglaise, dit-il, dans lesquelles il retrouve la trace de François. Ce qu’il dit exhumer de cet ouvrage est pour le moins extraordinaire et prompt à éveiller en lui tous les fantasmes :

« François de Chazal de la Genesté, mon ancêtre (1731-1796), que René Guénon déclare avoir été l’ami du comte de Saint Germain et dépositaire de ses secrets, vint avec son frère François-Régis de Chazal de Chamarel, s’établir à l’île Maurice en 1763. La Genesté habitait près ce Pieter-Both que je décris dans ce conte, et avait à Crève-Cœur une demeure. L’homme était Rose-Croix et initié. Tout le monde ignore ici même son affiliation spirituelle – y compris ma propre famille. Les annales de la Franc-maçonnerie anglaise que je viens de déterrer (témoignage du Dr. Sigismund Baestrom, qui rencontra Chazal à l’île Maurice et le vit opérer ses miracles et fut initié par lui à la Rose-Croix) déclarent que Chazal obtint le Lapis animalis et faisait de l’or alchimique à volonté. Par l’initiation chazalienne, on retrace les derniers vestiges de la Rose-Croix en Europe et certains détails de sa genèse, (voir Paracelse, le médecin maudit, Dr. René Allendy, un Mauricien, Gallimard, ed.)

Chazal de la Genesté était visionnaire. Sa double vue lui permit de décrire toutes les péripéties de la Révolution française, alors que l’île Maurice était totalement coupée de l’Europe. Comme tout véritable initié, rien de « visible » n’est resté de cet homme – sauf ces quelques détails. Chazal de la Genesté est enterré dans le cimetière des Pamplemousses, dans le quartier même qu’il habita près les lieux où Bernardin de Saint Pierre fit mouvoir ses mythes Paul et Virginie. En raison de son affiliation spirituelle avec le légendaire comte de Saint Germain, par le fait de ses miracles alchimiques, à cause de sa prestance métaphysique, son initiation rosicrucienne, et le haut poste qu’on lui assigne dans la franc-maçonnerie, un mystère baigne la vie de Chazal de la Genesté. Je pousse en ce moment mes recherches vers ce passé, afin de m’expliquer à moi-même, et d’exhumer les cendres magiques de mon île »[26]

Chazal pille sans doute le texte des Annales de la franc-maçonnerie (ne l’ayant pas moi-même compulsé, je ne peux que m’en tenir à des hypothèses ; je suis convaincu cependant, peut être à tort, que Chazal n’a pu avoir accès à ces archives ; pour l’instant toutefois, je continuerai à utiliser ce titre) puisque, chose étonnante, l’on découvre chez Erik Sablé, une troublante intertextualité avec le texte chazalien. Deux hypothèses sont dès lors possibles : Erik Sablé connaît le nom de Malcolm de Chazal et a lu ses œuvres, tout au moins Petrusmok. Il emprunte alors au texte des pages 22 et 23 de nombreuses informations. Ou bien, et c’est l’hypothèse que je retiendrai, Erik Sablé puise ses informations aux mêmes sources que Chazal, dans les fameuses Annales de la franc-maçonnerie anglaise ou ailleurs. Ceci expliquerait donc la parenté étonnante qui existe entre le chapitre « La pierre philosophale » de Petrusmok et son article du Dictionnaire des Rose-Croix.

Ces Archives de la franc-maçonnerie anglaise ont-elles une réalité dans la génétique textuelle chazalienne ? Cet ouvrage mystérieux et forcément occulte ne participe-t-il pas lui aussi de ce sentiment de mystification qui entoure l’œuvre et le personnage que Chazal a patiemment constitués ? Chazal « n’exhume » pas, en réalité, ce texte mythique et mystérieux comme il le prétend : le poète se confiant à Bernard Violet [27] indique qu’il cherchait désespérément à cette époque à obtenir des renseignements sur son aïeul. A Londres d’abord, où la première femme d’un de ses frères lui rapporte le souvenir des pratiques hermétiques de François. Puise-t-elle ses renseignements dans des annales maçonniques? Je ne peux le dire. Cependant, les éléments sont bien maigres et sans doute peu enclin à satisfaire la curiosité de Malcolm. Les indices dont il dispose sont de toutes façons des éléments de seconde main. Il se tourne alors vers les archives nationales de Maurice. Mais là encore, son désir ne peut être comblé : Auguste Toussaint qui dirige le service, ne peut rien lui apprendre de plus : de nombreuses pages ont été détruites. Il ne reste plus rien du passage de François de Chazal sur l’île : « nul ne sait même où il fut enterré ». L’intertextualité remarquable qui existe entre les ouvrages relatant la vie de François s’explique donc par la rareté des informations et l’unicité des sources de renseignement.

Cette filiation complexe à reconstituer est sans doute la cause de l’apparition notable du personnage de François de Chazal, dans l’œuvre de Malcolm. Effectivement, son irruption brutale dans le texte de Petrusmok est remarquable. Inconnu du poète jusqu’en 1947 environ, il devient en quelques mois, par son caractère mystérieux, l’objet de toute son attention et bientôt, un motif de fierté. Malcolm ne l’évoque ni dans Sens plastique, ni dans la Vie filtrée. Pour quelle raison ? vraisemblablement parce que Chazal ne le connaît pas au moment où il publie Sens Plastique. Par ailleurs, peut-être de peur d’éveiller la méfiance des surréalistes, il garde le motif de son aïeul pour son usage personnel lors de la publication de La vie filtrée. Par contre, recouvrant sa liberté après sa rupture avec Breton, le fantomatique François de Chazal devient un des héros de la geste petrusmokienne, prophète et sage, matérialisation magique du « pur Esprit ». Toutefois, cet engouement fut aussi soudain que passager. Chazal avoue ouvertement qu’il ne doit rien à son aïeul et que son génie, unique et sans pareil, n’est pas un leg familial…[28]

Laurent Beaufils dans son ouvrage Malcolm de Chazal évoque par ailleurs l’existence d’un document attestant l’appartenance de François de Chazal à l’ordre Rose-Croix auquel le Docteur Backström était lui-même affilié. Il s’agit du diplôme d’admission de François, retrouvé en Angleterre par Waite, « dans la bibliothèque de Frédéric Hockley ». Il est possible qu’Aimé Patri faisait référence au même document dans son article publié dans Combat. N’ayant pas eu accès à ces documents, il me semble intéressant pour le lecteur de citer ici les extraits de cette pièce rarissime tels que Laurent Beaufils les a publiés dans sa biographie : [29]

« Un des membres révérés de la superbe et très docte Association des Chercheurs de la Vérité divine, spirituelle et naturelle, qui s’était séparée depuis plus de deux cent cinquante ans des Francs-maçons, mais qui sont maintenant réunis à nouveau, dans le même esprit, sous la dénomination de Fratres Rosae Crucis, c’est-à-dire des Frères qui croient dans la Grande Réconciliation faite par Jésus-Christ sur la croix, souillée et tachée par Son sang pour le salut des êtres spirituels, m’ayant instruit pour être admis dans leur Ordre comme élève, membre et frère, pour participer à leur art. […] Comme il n’y a pas de différence de sexe dans le monde spirituel, entre les anges bénis, ni entre les âmes immortelles de la race humaine ; comme nous avons eu Sémiramis, reine d’Egypte, la prophétesse Miriam, sœur de Moïse, Pernelle, la femme de Flamel, et dernièrement Léona Constancia, abbesse de Clermont, admise comme patricienne dans notre association et promue en 1735 au degré de maîtresse, femmes que nous croyons avoir toutes été en possession du Grand Œuvre et par conséquent été Sorores Rosae crucis ; de plus, puisque la rédemption de l’homme a été révélée par une femme, la Vierge Marie, nous n’hésiterons pas à accepter comme élève de l’Ordre la femme qui en est digne. […] J’ai l’intention, avec la grâce de Dieu, d’entreprendre personnellement notre Grand œuvre dès que les circonstances me le permettront ».

Ce document étonnant atteste sans ambiguïté les activités alchimiques de François de Chazal. Il permet par ailleurs de recouper une information donnée par Erik Sablé : la fraternité Rose-Croix dont François était sociétaire admettait non seulement les femmes mais leur donnait en outre un rôle important. Il semble donc que les hypothétiques Annales de la franc-maçonnerie anglaise ne soient en réalité que des fragments de ce procès-verbal d’initiation rosicrucien…

D’autres sources doivent être également disponibles car ce document n’explique en rien l’intertextualité précédemment relevée. L’ouvrage du docteur Allendy, mentionné par Chazal dans Petrusmok, Paracelse ou le médecin maudit, est probablement une piste à suivre. Cependant, sur ce sujet, je ne puis en dire davantage. Toutes les questions que j’ai soulevées restent pour l’heure en suspens.

La découverte de la figure de François de Chazal s’accompagne d’une autre exhumation importante et tout aussi mythique : celle du continent lémurien, une légende étrange qui circule à travers les cinq continents et qui tendrait à faire des Mascareignes les derniers vestiges d’un continent englouti…

C’est avec la Lémurie, théâtre de tous les amalgames (ésotérisme, archéologie, géologie, prophétisme, apocalyptique, épopée…) que Chazal amorce un virage décisif pour la suite de son œuvre. Avec Petrusmok, le « roman mythique » dans lequel il évoque cette terre perdue, il entreprend toute une réflexion métaphysique sur les origines de l’univers, réflexion qui ne cessera de hanter ses textes jusqu’à la fin de sa vie.

II

Malcolm de Chazal et le continent lémurien

« On pourrait imaginer une histoire de l’espace et du temps. Elle couvrirait l’ensemble des aventures d’un univers qui débouche sur les hommes – avant de passer à autre chose. Des débuts d’une modestie qui touche à l’insignifiance, à la façon d’un empire qui n’est encore qu’une famille de bergers ou de soldats, à la façon d’un livre qui n’en serait qu’à la première page. Et puis l’espace s’accroît au même rythme que le temps. Des distances apparaissent et un passé surgit ». (Jean d’Ormesson, Le rapport Gabriel).

I. La légende « officielle » :

1. Jules Hermann

Selon la « légende officielle », Jules Hermann, un homme politique réunionnais d’une grande érudition, [30] serait à l’origine de l’invention du mythe de la Lémurie, dans la littérature d’expression française de l’Océan indien.

Il faut bien reconnaître que cet homme est un singulier personnage dont le nom subit parfois de légères modifications orthographiques : Jean-Louis Joubert évoque la mémoire d’Hermann[31], Jean-Georges Prosper [32], celle d’Herman. Quant à Chazal, il célèbre, en même temps, dans Petrusmok le souvenir d’Herman et d’Hermann et dans Sens Unique celui d’Hermans. Quoi qu’il en soit, tous s’accordent sur son prénom, Jules…

Cette diversité peut s’expliquer par le fait qu’il était difficile jusqu’à maintenant de se procurer l’ouvrage du Réunionnais. Effectivement, les deux tomes des Révélations du Grand Océan n’avaient pas été réédités depuis 1927 [33]. Aussi, les hommes qui se sont penchés sur la genèse du mythe lémurien dans la littérature mauricienne, ont-ils retrouvé la trace de Jules Hermann par une sorte de tradition orale, ayant modifié peu à peu l’orthographe exacte de son nom. Le titre de son ouvrage, transformé par ce bouche à oreille, reste, lui aussi incertain : il peut devenir tour à tour les «mystères », les «secrets » ou encore les Révélations du Grand Océan.

Hermann et la Lémurie

De quoi s’agit-il exactement ? le livre de Jules Hermann retrace la découverte des origines du langage par les transformations géophysiques de la planète. Aux dires du Réunionnais, un vaste continent avait émergé autrefois, au sud de la planète. Il s’agissait du continent lémurien, «en forme de croissant, qui s’étendait de l’Océan indien à la Patagonie, partant du sud de Ceylan, englobant les Mascareignes et Madagascar, passant au-delà le cap de Bonne-Espérance […] ». [34] Cette Lémurie, Jules Hermann la considère comme le continent originel, le berceau oublié de l’humanité.

Depuis la Renaissance, de nombreux scientifiques se penchant sur le problème, élaborent de multiples hypothèses fondées sur des recherches archéologiques. La Lémurie a été en effet l’objet d’une attention particulière de la part des géologues Slater en 1830, Blandford et Haeckel en 1860. Ce continent perdu s’étendant du Dekkan à l’Afrique du sud, Slater lui donne le nom de Lémurie [35] en raison de la présence sur son sol de primates, les Lémuriens, que l’on ne trouve plus qu’à Madagascar. Quant à Haeckel, il estime que l’émergence de ce continent serait intervenue lors de la période permienne [36], il y a quelque deux cent cinquante millions d’années.

Lémurie et géologie

C’est en se fondant sur ces recherches scientifiques tout à fait sérieuses, et plus particulièrement sur celles du géographe Geoffroy Saint-Hilaire, [37] que Jules Hermann fonde ses propres investigations géologiques. Son objectif est de rechercher « la trace de l’enchaînement ontologique, la filiation en botanique et aussi, les vestiges certains du passage d’êtres humains » [38] sur l’immense excavation qui s’est produite pendant les phases du tertiaire au sud des Indes, ainsi que sur les pointes restées immergées de l’ancien continent austral. [39]

Hermann, reprenant la datation évaluée par Haeckel, considère qu’au Permien, « le relief terrestre était le contraire de ce qu’il est aujourd’hui : une grande masse continentale a subsisté tout entière dans le sud, c’est-à-dire là où nous voyons aujourd’hui la croûte terrestre toutes aux eaux de l’Océan ». [40] Ce continent se composait de l’Amérique du sud moins les Andes, [41] de l’Afrique, de la Lémurie, représentée par Madagascar, les Mascareignes « et tout un monde affaissé depuis, qu’on voit sous les eaux » [42], de l’Inde et de l’Insulinde.[43]

Pour prouver l’ancienne continentalité de cette région actuellement inondée et montrer d’une manière irréfutable son occupation par une lointaine humanité, Jules Hermann doit se tourner vers des formes d’investigations bien différentes de celles utilisées par l’anthropologie traditionnelle. Il doit en effet faire appel à la nature, faire parler le sol et l’océan, la pierre et la plante, puisque les plaines anciennement habitées du continent perdu « ne pourront révéler le passé que le jour où les eaux s’épancheront ». Il décide donc de s’en prendre aux témoins restés émergés de la Lémurie et d’en faire parler les particularités saisissantes, en s’appuyant sur tout ce que « cette nature a d’original et de frappant ».

De l’observation à la révélation

Dès lors, que découvre-t-il ? au cours de ses excursions entreprises au cœur du relief réunionnais, il est bien forcé de reconnaître que les montagnes de son île semblent avoir été « travaillées et martelées ». Ne se satisfaisant pas de ses constatations surprenantes, il pousse ses recherches et découvre que le géographe français Elisée Reclus a pu examiner à Ceylan et dans le Dekkan, des sculptures minérales semblables à celles qu’il a observées chez lui, à la Réunion. Reclus est persuadé que les montagnes indiennes ont été « découpées, arrondies et façonnées » par un peuple ancien, soucieux de rendre un culte à une divinité archaïque. Il découvre aussi que les monolithes énormes que ces « humaniens » dégagèrent de la masse montagneuse, sont très souvent constitués par un gneiss semblable à celui de Madagascar. A côté de ce gneiss, il signale par ailleurs la présence de latérite, une terre rouge que l’on rencontre également sur la Grande île. Ce qui est hautement surprenant, c’est que Reclus se demande comment les hommes du passé, responsables de ces affouillements répétés, ont pu exécuter ces grands travaux. Il fait observer en effet que pour « l’exécution de ces immenses édifications, il a fallu un déplacement de force et de pouvoir chez l’homme aussi considérables que pour les grands travaux de l’Egypte ». Cependant, alors que les techniques utilisées dans l’île de Pâque et en Egypte pour édifier de multiples statues géantes, ont été identifiées et décrites par nombre de spécialistes, il n’en va pas de même pour celles que l’on rencontre sur le sol de l’hypothétique Lémurie. Ainsi, tous ceux qui ont pu admirer ces sculptures pétrées se demandent, comme Elisée Reclus, par quels « instruments, par quels procédés, par quels moyens de traction, ces géants d’un passé irretrouvable, ont procédé pour arriver à couper des montagnes d’une seule pièce, et les convertir en dômes, en étages, en murs abrupts, bouleversant ainsi toutes les données de la géologie qui pourraient nous permettre de suivre aujourd’hui, la formation de la roche ».[44]

Conforté dans ses premières impressions par la lecture qu’il entreprend des travaux d’Elisée Reclus, Jules Hermann se laisse peu à peu gagner par l’idée que « toutes les grandes tranchées qui marquent obliquement, du sommet de la montagne jusqu’à sa base, ne sont pas des brisures naturelles provenant des convulsions volcaniques de l’ancien continent. Elles ont été volontairement taillées » par des moyens qui nous sont encore inconnus.

Au cours d’un voyage à Maurice, Jules Hermann constate que le relief de l’île porte, comme la Réunion, les stigmates du passage des antiques Lémuriens. Il a en effet déjà observé des sculptures semblables, sur les hauteurs de Saint Denis, sculptures qui ressemblent à un zodiaque gravé autour de la montagne : [45]

« Je voyageais avec mon compatriote Athénas (alias Marius Leblond). Je lui fis observer combien ces sommets sortaient de l’ordinaire et paraissaient façonnés. Il en fut frappé et reconnut avec moi que rien dans la vue de la ligne faîtière des sommets de Bourbon ne donnait l’idée et l’impression d’un arrangement recherché et voulu ».

En observant son île attentivement, quelques quarante ans plus tard, Chazal découvrira à son tour « des gisants, […] des sphinx esquissés, des initiales clairement entaillées et des hiéroglyphes » [46] profondément incrustés dans la pierre mauricienne.

Ces rêveries « poético-scientifiques », consignées dans Les révélations du Grand Océan, arrivèrent, fortuitement, entre les mains du poète mauricien Robert-Edward Hart, qui les accueillit avec un certain intérêt.

2. Robert-Edward Hart

Toujours selon la « légende officielle », Hart aurait été à l’origine de la propagation du mythe lémurien à Maurice et aurait initié Chazal à ses arcanes, en lui montrant les étranges sculptures minérales dont l’île est parsemée. Chazal rapporte la scène dans son autobiographie Sens Unique, en 1974. Son texte met en avant le rôle fondamental joué par Hart dans la constitution de la Lémurie petrusmokienne. « Je suis à Forest-Side, faubourg de Curepipe, confesse-t-il. Après-midi translucide. Madame S m’avait convié. Le poète Robert-Edward Hart est là. Au lointain les montagnes bleutées du centre de l’île se profilent sur le ciel lavande. [il] me raconte une étrange histoire. Jules Hermans, citoyen de l’île de la Réunion, dans son livre « Les mystères du grand océan », dit qu’il a vu les signes du zodiaque comme taillés dans les montagnes de Saint Denis à la Réunion. Il dit aussi qu’il y a des indications que des signes ont été taillés parallèlement de la main de l’homme dans les montagnes de l’île Maurice. […] Je levai la tête, et là, dans les contreforts et dans les formes de la montagne, je vis cette même présentation de « personnages » jaillis on ne sait d’où et qui me regardaient. Après la fleur qui parle et le langage des étoiles, voici la montagne qui parle, nommant un au-delà de la vie, des réalités comme extra-terrestres ».

Après la lecture de l’oeuvre de Jules Hermann, Hart publie une suite de textes de genres différents, regroupés sous le titre de Cycle Pierre Flandre, dans lesquels il prolonge, d’une manière très nette, le mythe lémurien inventé par le Réunionnais. Il retrouve ainsi, à son tour, la trace de ces géants sculpteurs de montagnes, sur le relief de son pays :

« Quand les boutres des premiers pirates arabes vinrent s’ensabler dans nos criques, l’île qu’ils appelèrent Dinarobine, était déserte de toute présence humaine. Mais cela ne signifie pas que l’île n’avait jamais été peuplée.

Jules Hermann, dans ses audacieuses Révélations du Grand Océan, osa soutenir que certaines de nos montagnes Mascareignes, notamment le Pieter-Both, le Corps-de-Garde et la montagne Saint Denis, furent partiellement ouvrées par des sculpteurs de montagnes, issus de la préhistorique race lémurienne.

Quand j’étais enfant, je ne pouvais pressentir ces vastes spéculations para-scientifiques, qui étaient encore sur les genoux des dieux. Mais par expérience directe, je savais que nos montagnes étaient fées, que parmi les passants de nos villes il y avait des fantômes, et que sur nos rivages venait mourir le chant magique des sirènes […] Dans les hautes herbes du Tranquebar, sur la petite montagne et les autres collines qui font à Port-Louis un diadème royal, j’entendais les Esprits des hauts lieux se chuchoter dans la brise des paroles incompréhensibles pour moi, mais intenses jusqu’à l’anxiété. […] J’écoutais, je regardais, je respirais, muet de surprise, m’initiant à l’apparition du mystère, et si c’est à vingt ans que je devais écrire mes premières strophes, c’est en pleine enfance que, découvrant le royaume de la poésie, j’écoutais chanter le poème de la rafale sur la montagne ».

Ces sculptures laissées par le peuple lémurien, Hart les détaille dans la Montagne fée et annonce les révélations inspirées de Malcolm de Chazal : [47] « Debout entre les Plaines-Wilhems et la Rivière Noire, dominant de loin la mer, et dressée vers le ciel couleur de clématite, la voici, ce matin, bleuâtre et verte, modelée comme un visage humain, estompée de nuages vermeils.

Les yeux nuancés de la rue se reflètent amoureusement sur sa robe toujours changeante et belle toujours. Elle est une montagne fée, jaillie tout droit de la plaine, noble de profil, aux incurvations harmonieuses.

A son versant septentrional, une silhouette d’homme est étendue, qui ressemble à un roi gisant mort sur un lit de parade. […]

Mont d’exaltation et de sérénité alternées ; front de pierre où défilent, avec l’ombre des nuages, tant de pensées éternelles ; autel de géants pour l’offrande aux maîtres invisibles de l’azur, mystérieuse aïeule agenouillée devant le mystère ; vestale, druidesse, vierge solaire tendue vers le soleil…J’essaie avec ferveur de percevoir son rythme, sa musique secrète, son message. Elle a l’air d’être immobile et dormante et morte. Pourtant, elle vit de toutes ses clartés, de toutes ses pénombres. D’ici je crois entendre son appel. O déité protectrice de ma terre et de ma race, inspiratrice qui sait dompter la douleur et discipliner la joie, je t’aime, comme un enseignement de la Nature, comme un divin signe ».

La Lémurie de Hart apporte au mythe hermanien une dimension nouvelle : loin des spéculations scientifiques des géologues, le poète développe ici une poétique de la terre natale tout à fait inédite dans ce contexte littéraire. Son texte témoigne en effet du passage du symbolisme sur son œuvre : l’invisible, le mystère, l’onirisme accentuent plus encore le caractère merveilleux et irréel du continent lémurien.
Le texte s’organise à partir d’un narrateur percevant l’espace en focalisation interne : les éléments constitutifs de cet univers sont ainsi transfigurés sous l’effet de la subjectivité extrême permise par l’utilisation d’un tel point de vue. Le rêve semble ainsi « jeter sur le réel ses ombres gigantesques » : le poète évoque par exemple la voix des « Esprits des hauts lieux se chuchoter dans la brise des paroles incompréhensibles pour [lui] mais intense jusqu’à l’anxiété ». Comme Nerval dans Aurélia, Robert-Edward Hart fait partager à son lecteur l’expérience de « l’épanchement du songe dans la vie réelle ».

Cependant, malgré l’onirisme ambiant, l’espace est structuré d’une manière rigoureuse, par l’utilisation des sens notamment, et en particulier par celle de la vue : en effet, le regard embrasse tout d’abord la Montagne-fée dans son ensemble, par le recours à une sorte de vision panoramique qui donne au relief un aspect extraordinaire : « Debout entre les Plaines-Wilhems et la Rivière Noire, dominant de loin la mer, et dressée vers le ciel couleur de clématite, la voici, ce matin bleuâtre et verte, modelée comme un visage humain, estompée de nuages vermeils ». L’utilisation de la structure présentative « la voici » mise en valeur par le rythme saccadé du texte, par les oppositions verticales « la mer » et « le ciel » et par les verbes « dominer » et « dresser », confère à la montagne une apparence à la fois réaliste et extraordinaire. Réaliste, parce que Hart donne de nombreuses indications géographiques précises ; Extraordinaire, parce que la montagne-fée apparaît au lecteur comme une sorte de ziggourat élevée entre « ciel et mer », comme une tour aux dimensions gigantesques.

Le regard se pose ensuite sur « le versant septentrional » où l’on découvre une humanité indistincte tout d’abord, puis royale. Puis, la gradation se poursuit lentement. Le narrateur distingue mieux à présent la silhouette qu’il avait aperçue de loin : il s’agit d’un corps sans vie. Pour évoquer la mort, le poète utilise le motif de la pétrification qui sera repris par Malcolm de Chazal notamment dans le chapitre de Petrusmok « Tot ou l’histoire d’une pierre ». Mais, le surnaturel fait irruption dans cette description somme toute assez conventionnelle : et, la vie filtre lentement sous le voile mortuaire de pierre déposé sur la montagne. Il est question de « l’ombre des nuages », des « maîtres de l’invisible », d’une « mystérieuse aïeule agenouillée devant le mystère ». Toutes ces évocations surnaturelles donnent à la scène une dimension nouvelle : la silhouette de départ se transforme encore à mesure que le regard du narrateur avance. L’on est ainsi plongé au beau milieu d’une cérémonie mystique qui annonce déjà celles de Petrusmok. Le vocabulaire utilisé par le poète trahit la nature véritable du personnage de pierre qui se dresse là : « autels », « vestale », « offrande », « vierge solaire », « déité protectrice », « divin signe », tous ces termes font référence au domaine du religieux et du sacré, lieux de résolution de nombreuses « illuminations » symbolistes.

L’on est bien loin ici des rêveries pseudo-scientifiques d’un Jules Hermann. Avec Hart, les montagnes de Maurice, derniers vestiges visibles du continent lémurien, acquièrent une dimension nouvelle : elles sont des divinités tutélaires, des dieux païens de la terre natale. Cette poétique de la Lémurie, pétrie de symbolisme, de mystère et de mysticisme, Robert-Edward Hart en est sans doute l’initiateur. Il fut le premier à donner aux montagnes de Maurice un caractère magique et religieux, en se souvenant peut-être que la montagne, dans de nombreuses traditions, est le séjour naturel des divinités.

Ces gisants qui ressemblent à des rois, « étendus morts sur leur lit » de rocaille, d’autres les ont aperçus, ailleurs, sur d’autres montagnes, loin de l’océan Indien. Chazal a entendu leurs voix. Cependant, il ne reconnaît pas explicitement en elles des influences ayant présidé à l’écriture de son mythe lémurien, peut être de peur de dévoiler à la face du monde des fréquentations intellectuelles et religieuses gênantes, pouvant faire ombrage à sa carrière internationale naissante.

II. En marge de la « légende officielle »

1. Artaud et les Tarahumaras

Lors d’un voyage au Mexique en 1936 dans le pays des Tarahumaras, une peuplade indienne considérée par certains rêveurs comme les descendants directs des Atlantes, Antonin Artaud assiste à une cérémonie religieuse, la danse du peyotl. Il rapporte cette expérience exotique et mystique dans Les Tarahumaras.

Si j’entreprends ici l’évocation de la mémoire d’Artaud, c’est que j’ai constaté que ses récits de voyages présentaient de nombreuses ressemblances avec la somme de légendes que l’on peut trouver dans Petrusmok. En effet, un certain nombre de détails, cités par Artaud, laissent transparaître des similitudes étonnantes avec les événements décrits par Chazal. Affirmer cependant que les Tarahumaras pourraient être à l’origine de la rédaction de Petrusmok, serait, à n’en pas douter, une entreprise hasardeuse. Il faut bien reconnaître pourtant que les points de contact existant entre les deux ouvrages sont d’une troublante analogie, jusque dans le détail le plus scrupuleux.

Une redécouverte des origines

En premier lieu, Artaud a la possibilité, dans les Tarahumaras, comme Malcolm de Chazal dans Petrusmok, de retrouver les origines de l’humanité et d’assister, en spectateur privilégié, à la féerie du Commencement : [48]

« […] Les prêtres du peyotl m’ont fait assister au Mythe même du mystère, plonger dans les arcanes mythiques originels, voir la figure des opérations extrêmes par lesquelles L’HOMME PERE, NI HOMME NI FEMME a tout créé ».

Rites des peuples lointains

Ces secrets, Artaud les partage avec Chazal qui, dans Petrusmok, se sent si souvent échapper au temps. En transe, c’est l’île Maurice des origines qu’il retrouve à chaque « voyage », le fameux continent lémurien, aujourd’hui disparu. Comme Artaud, il assiste à plusieurs reprises à des offices religieux primitifs dans lesquels « des femmes-marguerites [49], dans une danse rythmée, miment les floraisons [50] » devant tout un peuple émerveillé. Car la danse, la musique et d’une manière générale toutes les ressources du corps sont l’essence des rites lointains, du Mexique, ou de l’Océan indien. Et que penser des cérémonies d’initiation sexuelle qui, chez les Tarahumaras et les Lémuriens symbolisent la recherche de « l’Unité par la perception de l’Infini » : [51]

« Une cérémonie d’église aura lieu, où la femme sera donnée en épouse à Dieu avant que le mari futur lui ravisse son corps. […] Et un geste orangé fut dans l’air, qui me parut à distance le symbole même de l’Esprit et du Cœur unifiés. […] Tout est Un et l’amour divin, l’amour charnel, l’amour de la connaissance et l’amour de la nature, ne font qu’une seule image, un seul lieu. Ce lieu est la joie. Cette image est volupté ».[52]

Intertextualité

Une même quête de l’Unité, une même fascination pour la transe utilisée comme moyen suprême de connaissance des origines, animent Artaud et Chazal dans leurs ouvrages respectifs. Et c’est avec la même tonalité, le même accent poétique, qu’ils relatent leurs fantastiques visions :

« A un moment, quelque chose comme un vent se leva et les espaces reculèrent. […] Et au fond de ce vide apparut la forme d’une racine échouée, une sorte de J qui aurait eu à son sommet trois branches surmontées d’un E triste et brillant comme un oeil ». [53]

« Une pointe verdoyante, comme une émeraude, est enchâssée dans le bleu des tropiques, que l’éclat change par moments en diamant, et le cercle argenté de l’horizon revient à cette pierre, et la Bague Eternelle est dans le Doigt des Grandes Eaux ». [54]

L’Homme dans la pierre

Mais il y a plus étonnant encore. Artaud, en se promenant au cœur du pays Tarahumara, découvre une géographie extraordinaire : il aperçoit avec stupéfaction [55] « un gisant nu qu’on torture, […] cloué sur une pierre, […] une poitrine de femme avec deux seins parfaitement dessinés, […] une tête d’animal portant dans sa gueule son effigie qu’il dévore, […] une sorte de dent phallique énorme » qui n’est pas sans rappeler les lingams de pierre chazaliens. Artaud est bien forcé de se rendre à l’évidence, comme Hart à la même époque et Chazal quelques années plus tard, que le pays des Tarahumaras fourmille de [56] « formes esquissées, d’initiales clairement entaillées, d’hiéroglyphes et de signes » qui ne semblent « point nés du hasard, comme si les dieux […] avaient voulu signifier leurs pouvoirs dans ces étranges signatures où c’est la figure de l’homme qui est de toute part pourchassée » [57]. Chazal fait le même constat lorsqu’il rentre de promenade à travers l’île Maurice. Il a le sentiment que les montagnes, de la manière dont elles ont été taillées, « parlent de l’homme et de l’univers réunis » [58]. Et si les endroits sur terre ne manquent pas de lieux où la nature « mue par une sorte de caprice intelligent, a sculpté des formes humaines » [59], il est étrange de constater que ceux qui les traversent, « comme frappés d’une paralysie consciente, ferment leurs sens afin de tout ignorer » [60] : comment expliquer que seuls, Hermann, Hart, Artaud, Chazal et quelques autres, se soient aperçus de l’existence de ces fresques minérales, sur les montagnes du monde entier ?

Par ailleurs, que ce soit chez les Tarahumaras ou chez les Lémuriens, il est aisé, en observant attentivement, de lire comme dans un livre ouvert, une histoire de genèse et de chaos, pleine de « corps de dieux, qui [sont] taillés comme des hommes, et de statues humaines tronçonnées » [61]. Plus que l’étonnante apparence des montagnes, c’est la répétition de ces corps taillés qui conduit Artaud et Chazal à penser que toutes ces sculptures minérales ne sont pas naturelles. [62] Elles paraissent en effet obéir à une symbolique mathématique, en se répétant plusieurs fois çà et là, dans leur dissémination géographique. Les formes semblent donner un nombre bien précis : ici, le trois et le quatre, là, le sept et le huit. Ces nombres, étrangement, les Tarahumaras et les Lémuriens les répètent dans leurs rites et dans leurs danses. Aux détours des chemins, Artaud raconte par ailleurs, que l’on peut voir « des arbres brûlés volontairement en forme de croix ou en forme d’êtres » qui souvent sont doubles comme ceux que l’on rencontre sur les versants maudits du Pieter-Both, à l’île Maurice.

Ces signes, profondément incrustés dans la pierre mexicaine et lémurienne, des sectes en ont fait par la suite leurs symboles, si bien que l’on peut être tenté de croire, comme le poète français, que ce « symbolisme dissimule une science ». [63] Il paraît ainsi étrange que le peuple primitif des Tarahumaras ait pu avoir connaissance de cette science occulte, bien avant la naissance de la secte des Rose-Croix, remarque Artaud avec étonnement. La Rose-Croix, voilà semble-t-il, le chaînon manquant, permettant de relier le médium français au visionnaire mauricien, descendant d’un illustre frère initié aux doctrines rosicruciennes…

2. La Lémurie et l’occultisme

C’est au confluent de la poésie et de l’occultisme que l’on peut trouver semble-t-il, une explication à la fascination exercée par la Lémurie chez Malcolm de Chazal, même si certains, à l’image de Laurent Beaufils, peuvent en douter. [64] Jusqu’à présent, l’on s’en était tenu aux confidences de l’auteur, et il faut bien reconnaître que la version qu’il donne de la genèse de Petrusmok dans Sens Unique était plus que satisfaisante. Cependant, en grand mystificateur, Chazal ne saurait manquer une occasion de dissimuler ce qui le préoccupe depuis bien longtemps. Immergé très tôt dans le mysticisme farouche de la secte swedenborgienne de la « Nouvelle Jérusalem », il s’est sans doute aperçu, lorsque Hart lui a fait part de sa lecture des Révélations du Grand Océan, que la Lémurie faisait partie intégrante de la somme de croyances, bien surannées aujourd’hui, que les Rose-Croix s’évertuent encore à conserver jalousement pour leur seuls initiés. (Nous savons que Malcolm avait décidé de mener une enquête sur François de Chazal, laquelle l’aurait conduit à consulter les « Annales de la franc-maçonnerie anglaise »). Les références incessantes à la secte, plus ou moins ouvertes, [65] et la présence bienveillante du « Frère » François de Chazal de la Genesté tout au long de Petrusmok, accréditent la thèse de la filiation directe de la Lémurie chazalienne avec la Lémurie rosicrucienne.

Continents engloutis et ésotérisme

Le mythe des continents engloutis exerce en effet, encore de nos jours, une fascination extrême sur de nombreux groupes occultistes. A l’origine de ces croyances, l’on trouve le Critias et le Timée de Platon, ouvrages dans lesquels le philosophe présente les Atlantes comme un peuple de magiciens aux pouvoirs étendus. Ces êtres merveilleux auraient disparu, emportés dans les flots de l’océan, en même temps que leur continent mythique, lors d’une catastrophe sismique qui n’est pas sans rappeler celle qui submergea jadis le croissant lémurien. Cette légende du royaume des Atlantes resurgit périodiquement dans la littérature. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer précédemment Hermann, Hart et Artaud, qui considérait notamment que les Tarahumaras étaient les descendants directs des Atlantes [66] . D’autres écrivains se sont penchés eux aussi sur le mythe du continent englouti. On pourrait citer à titre d’exemples la description de la Lémurie que donne l’infatigable voyageur Blaise Cendrars dans Le lotissement du ciel ou encore celle du poète Wilfrid Lucas dans son roman La route de lumière, publié en 1927. Mais le domaine littéraire n’est pas le seul à prêter l’oreille à la légende.

Se fondant abusivement sur les travaux très sérieux des géologues du dix-neuvième siècle, plusieurs occultistes célèbres, comme Blavatsky, Steiner et Heindel, se sont tour à tour emparés du mythe du continent lémurien pour s’en servir à élaborer des « hypothèses de travail ». [67] Madame Blavatsky par exemple, reconstitua dans le détail, l’histoire de la civilisation lémurienne dans un ouvrage imposant, La doctrine secrète, qui regroupe en outre, une somme de croyances et de connaissances empruntées à plusieurs traditions religieuses comme le Tantrisme, le Bouddhisme, la Kabbale et la Gnose. A sa mort, son plus fidèle disciple, Walter Scott-Elliot, donna une forme plus aboutie au foisonnement laissé par Blavatsky : Il tenta en effet, de constituer un savant mélange entre les travaux de Darwin et les enseignements de la sagesse cosmique tibétaine, transfigurés par les interprétations de son maître à penser . Il publia ensuite le résultat de cet étonnant syncrétisme dans une brochure, The lost Lémuria, en 1904.

Scott-Elliot, mais aussi le pseudo-Rose-Croix Wishar Cervé, imaginèrent que la Lémurie s’étendait ailleurs, loin des rivages africains, au cœur du Pacifique, un océan demeuré longtemps mystérieux en raison de son étendue et de ses profondeurs abyssales. Selon Wishar Cervé, des vestiges du continent lémurien seraient visibles en Amérique du nord et plus particulièrement dans la vallée de l’Ohio, sur les pentes du mont Shasta. [68] L’origine de telles assertions, soigneusement occultée par le rose-croix, est un article publié dans le Los Angeles Star du 22 mai 1932 à la rubrique des faits divers. Son auteur, le journaliste Edward Lanser, attiré par des feux mystérieux sur les hauteurs de Shasta, avait entendu dire que de drôles de légendes circulaient dans la région. D’aucuns en effet prétendaient, que l’on voyait parfois, des personnages à l’étrange physionomie « sortir des forêts et des épais bouquets d’arbres […] »[69] qui s’enfuyaient en courant pour se cacher quand ils étaient découverts. Parfois même, un de ces êtres descendait jusqu’aux villages alentour pour y échanger du soufre, du sel ou du saindoux contre des pépites d’or provenant sans doute des mines fabuleuses de la montagne. [70] En outre, les gens du pays suspectaient ces hommes d’être responsables des feux que l’on pouvait apercevoir sur la montagne, ces mêmes embrasements nocturnes qui attirèrent l’attention du jeune journaliste en mal de scoop. L’article du Los Angeles Star affirme par ailleurs, qu’un homme a pu observer les mœurs de cette peuplade étrange. Il s’agit d’Edgar Lucin Larkin, un vieil occultiste bien connu, directeur de l’observatoire du mont Lowe, en Californie. Il prétend avoir assisté à leurs rituels séculaires depuis les hauteurs de son poste d’observation, un jour qu’il voulut faire des réglages sur un nouvel appareil. Non seulement, il put décrire leurs temples avec précision, mais il put aussi mettre un nom sur les hommes du mont Shasta : il s’agissait des rescapés du peuple lémurien.

Larkin fut, comme il se doit, l’unique témoin oculaire de cette sombre histoire car ces êtres merveilleux possédaient « le pouvoir magique des maîtres tibétains, qui leur permettait de se fondre à volonté dans l’environnement et de disparaître »… [71]

L’ordre rosicrucien A. M. O. R. C, auquel Cervé appartient, n’est pas le seul à se préoccuper de la question lémurienne. L’association rosicrucienne de Max Heindel (concurrente de l’AMORC), propose en effet tout un enseignement ésotérique ahurissant dans lequel la Lémurie tient une place importante. En effet, selon la doctrine Rose-Croix heindélienne qui se fonde, dénonçons le ici, sur des théories scientifiques largement périmées aujourd’hui [72], notre planète aurait connu plusieurs étapes distinctes durant lesquelles elle se serait constituée lentement. Dès lors, l’on peut dénombrer cinq périodes d’évolution terrestre : l’époque lémurienne, placée en troisième position dans cette étonnante hiérarchie, vient tout de suite après les époques Polaire et Hyperboréenne et se place juste avant les époques Atlantéenne et Aryenne. [73]

Toujours selon Heindel, le continent lémurien aurait émergé à la fin de l’ère primaire à l’emplacement actuel de l’Océan indien. Il reprend ainsi les spéculations les plus répandues aux XIXème siècle concernant la localisation géographique du continent englouti.

Si l’on en croit son ouvrage Cosmogonie des Rose-Croix, les Lémuriens étaient des poètes et des « magiciens de naissance »[74] vivant dans un état psychologique proche de celui du rêve. Leurs têtes, de forme allongée et ovoïdale, supportées par des corps de géants, rappellent étrangement l’aspect du peuple Rouge que nous décrit Chazal dans Petrusmok :

« De près, c’étaient [les Lémuriens] des géants puissants et beaux. […] La maxillaire était ouverte, mais le front était si haut, que le visage avait forme d’olive. […] Point de joues chez ces gens, mais une fusion des chairs dans le grand tout de la face. […] La poésie était la respiration de ce peuple dont le parler était tout en image, métaphores constantes, et dont le plus petit geste était un symbole ». [75]

De toute évidence, le poète s’amuse dans ces lignes. Et, l’on peut même se demander s’il n’a pas eu connaissance de la description pseudo-scientifique grotesque que donne Max Heindel du peuple lémurien, tant la ressemblance est étonnante.

« A sa naissance, il [le Lémurien] avait le sens de l’ouïe et du toucher. La faculté de percevoir la lumière ne lui vint que plus tard. […] Le Lémurien n’avait pas d’yeux. Il avait deux points sensibles qui étaient affectés par la lumière du soleil, alors qu’elle brillait faiblement à travers l’atmosphère ardente de l’antique Lémurie, et ce n’est que vers la fin de l’époque atlantéenne qu’il a développé la faculté de voir, telle que nous l’avons aujourd’hui. […] Son langage consistait en sons semblables à ceux de la Nature. La plainte du vent dans les immenses forêts qui croissaient d’une façon extrêmement luxuriante dans ce climat hypertropical, le murmure du ruisseau, les hurlement de la tempête, car la Lémurie était battue par les tempêtes, le tonnerre des cataractes, les grondements du volcan étaient pour lui comme des voix des Dieux dont il se savait le descendant. Il ignorait tout de la naissance de son corps. Il ne pouvait le voir, mais il percevait la présence de ses semblables – perception tout intérieure à la manière de celle que nous avons en rêve quand nous voyons des personnes et des choses, mais avec cette différence très importante : la perception qu’avait le Lémurien était claire et logique »…[76]

Mais, rien n’est certain car Malcolm de Chazal donne des détails physiques qui n’apparaissent pas dans les délires rosicruciens. Ce qui est sûr, c’est que Chazal prend délibérément dans Petrusmok le contre-pied des canons esthétiques habituels, en faisant preuve d’un certain humour. Dans le chapitre « Leur apparence », le poète considère en effet que les Lémuriens sont doués d’une grande harmonie physique : selon lui, ils avaient « le visage allongé comme une olive, les yeux idéalement rapprochés, les lèvres évasées, le nez fort, les sourcils en forme de feuille, le crâne éventré [lorsqu’ils sont de dos] »…

L’enseignement fantasque des Rose-Croix, et les révélations de Chazal au sujet de la Lémurie, comportent donc de nombreux points de contact étonnants. C’est pourquoi, la piste rosicrucienne m’apparaît comme étant essentielle à la compréhension du mythe petrusmokien. Il me semble en effet que l’auteur ait voulu créer une sorte de Bible ésotérique, accessible aux seuls initiés possédant les clefs des symboles rosicruciens. Omniprésente dans Petrusmok, l’ombre de la Rose-Croix flotte comme un voile opaque sur l’écriture et la recouvre parfois d’un hermétisme peu enclin à livrer ses secrets. Petrusmok ressemble en effet à un manifeste Rose-Croix qui n’apparaît jamais comme tel. L’auteur, feignant de respecter les règles lui interdisant notamment de clamer au monde son appartenance à la confrérie, tente d’égarer son lecteur en lui laissant croire qu’il appartient bien à l’ordre rosicrucien. (Il n’y a jamais appartenu) Disséminés dans toute l’oeuvre, les indices ne manquent pas pour que le lecteur « initié » ou bien documenté puisse reconnaître sans ambiguïté le verbe rosicrucien et en entreprendre une lecture à deux niveaux. Simple mystificateur ou Rose-Croix patenté, Chazal fascine, déconcerte et cherche à perdre son lecteur dans le dédale de sa pensée nimbée d’occultisme :

« Sur cette Rose-Croix je m’incline. Sur cette Rose-Croix est la vérité, pierre mêlée à la lumière. Car son clou d’unité donne toute la vie. […] Seuls les purs entreront. Aux initiés seuls sera livré le mystère… » [77]

En dépit des apparences, Malcolm de Chazal n’a jamais été Rose-Croix. L’on peut sans doute s’accorder avec Laurent Beaufils et surtout avec Jean-Louis Joubert à ce sujet et considérer que le poète « réussit un paradoxe : être un occultiste sans tradition, un initié autodidacte ». [78] : Chazal a dû éprouver un engouement considérable pour la Rose-Croix après la publication de l’article d’Aimé Patri et surtout après les révélations que lui avait faites René Guénon. C’est pourquoi, Petrusmok et les ouvrages des années 1950 portent l’écho d’une grande dramatisation mystique. Rose-Croix, il l’a sans doute été, de « cœur » seulement, pendant quelque temps. Puis, le thème devenant pour lui conventionnel, la symbolique disparaîtra peu à peu comme elle était venue, silencieusement. Cependant, il me semble que les ressorts de l’occultisme ont été pour lui fondamentaux dans l’élaboration de sa poétique personnelle. Aussi, est-il sans doute exagéré de considérer comme Laurent Beaufils que Chazal ne doit rien à personne, comme il le prétend lui-même dans de nombreux ouvrages : « La Rose-Croix, écrit Beaufils, la théosophie et, de manière générale, les ressources de l’ésotérisme ont été à maintes reprises appelées à la rescousse lorsqu’il a fallu trouver quelques repères auxquels harnacher le message de Sens-plastique II. Mais cette locomotive furieuse n’a rien du wagon suiveur ». Mais, si avec Sens-plastique le doute peut être permis (ce dont je doute), avec Petrusmok et les textes qui lui sont postérieurs, les choses deviennent claires : Petrusmok est dépendant de l’ésotérisme, de l’ésotérisme chrétien en particulier, dépendant au point de procéder de sa propre poétique : il est la clef permettant de comprendre les obscurités du texte et la configuration des symboles qui s’y développent. Sans son secours, la polyphonie textuelle s’éteint, c’est la voix même de Chazal qui est entravée, c’est l’esprit de son œuvre qui est dévoyé.

III

Une inspiration sans limite

« Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer ». (Arthur Rimbaud, lettre à Georges Izambard, 13 mai 1871).

I. Inspirations profanes

Après avoir exposé les caractéristiques d’ensemble des origines de la Lémurie chez Malcolm de Chazal, il convient à présent d’étudier les moyens d’investigations qu’il a utilisés pour façonner non seulement sa participation au mythe lémurien, mais aussi, sa perception générale de l’univers.

Ne reniant pas tout à fait la contribution humaine à sa veine mythique et poétique, sous les espèces de Jules Hermann et de Robert-Edward Hart, la source de son inspiration réside cependant presque exclusivement dans un épanchement du monde invisible sur la réalité. L’écriture chazalienne est si profondément marquée par les influences de l’ailleurs insondable qu’il n’est pas rare de lire ici ou là que Malcolm de Chazal marche sur les traces des visionnaires les plus inspirés. Jean Paulhan, André Breton, mais aussi Sarane Alexandrian lui prêtent des pouvoirs prophétiques extraordinaires et le considèrent comme un « prophète de bonheur, n’annonçant pas la fin mais le commencement du monde, et dont la voix semble tomber des nues avec l’éclair et le vent ». [79] Chazal aime d’ailleurs à se définir souvent comme un voyant dôté de pouvoirs extraordinaires. Dans le préambule du Rocher de Sisyphe par exemple, il rappelle à son lecteur « qu’il ne revendique aucune inspiration exceptionnelle, sauf la révélation naturelle que donne l’œil du voyant ».

Destin, inconscient, futur

Cette fascination pour la lecture de l’invisible porte la marque tangible d’une autre réalité : Malcolm de Chazal se situe par moments « dans le Destin », à l’intérieur d’un système de pensée qui annihile la liberté de l’être humain. [80] En effet, à plusieurs reprises dans son œuvre, il évoque « la Providence », « la Destinée » , « la Fatalité » ou « le Destin » en retenant l’idée essentielle pour lui que l’homme est soumis à la volonté de forces supérieures. [81] « Votre lettre du premier septembre, écrit-il à Paulhan, m’a porté une nouvelle preuve de la foi que vous avez en moi, et m’a assuré encore plus que vous êtes l’homme providentiel que le Destin a mis sur ma route pour m’aider à m’accomplir dans le monde ». Pour Chazal, comme pour celui qui croit au Destin, l’homme ne se contente pas d’adorer la puissance à l’oeuvre dans les phénomènes du monde supérieur. « Il y voit aussi un modèle céleste, une source de puissance. Entre le monde supérieur et celui des humains règne une parenté d’essence » [82] dont l’ancienne énigme du soleil que le sphinx soumet à Œdipe est un exemple manifeste :

« Quand il se lève le matin

Il a quatre pieds.

Arrive l’heure de midi,

Deux pieds lui sont donnés.

Lorsque la nuit tombe,

Il se tient sur trois pieds. etc. »

Cette « source de puissance » qu’évoque Van der Leeuw, Chazal semble vouloir la posséder. Aussi, comme tous ceux qui croient au destin, interroge-t-il le futur en utilisant des moyens variés. Dans un premier temps, il s’intéresse aux pouvoirs de l’inconscient, très en vogue à l’époque dans le groupe surréaliste. Cependant, il affirme son originalité, convaincu sans doute que sa méthode de perception de l’invisible est capable de dépasser celle qu’utilisent André Breton et ses amis. « Le subconscient, point d’autres routes vers l’invisible, note-t-il dans la préface de Pensées et Sens Plastique, se souvenant peut-être d’un passage d’Une saison en enfer de Rimbaud. [83] Mais le subconscient dans mon cas, ajoute-t-il, je ne le subis pas (comme le font les surréalistes), je l’utilise pleinement en l’asservissant, en le dominant infiniment par surtension du conscient, comme un hypnotiseur sidère son sujet. […] Car le subconscient constitue, dans l’homme, le « Saint des Saints de la Vie ». Le Subconscient est l’Autel de Dieu où le Divin pose ses pas en premier dans le monde fini ». [84] L’inconscient, pour Malcolm de Chazal, est un formidable outil de connaissance, par lequel il ne va cesser de chercher la route qui conduit aux Origines de l’Univers. Il imagine le subconscient sous les traits d’un « dieu intérieur » capable de « forer les ténèbres de l’inconnu ». C’est par ce biais qu’il veut offrir au monde « une vision absolument neuve de l’Univers, une approche totalement nouvelle de l’âme humaine, une conception supra-personnelle de Dieu » [85] lui permettant d’appréhender, malgré la faiblesse de sa condition d’homme, le mystère de la Création.

Chazal, conscient de la puissance qu’il peut retirer de la maîtrise de l’inconscient, met au point une véritable technique de préhension spirituelle des êtres vivants qui lui permettra d’entrer en communication avec eux. A l’origine de son système de pensée, l’on trouve la grande idée que la nature, parce qu’elle faisait partie de l’Un primordial au même titre que l’être humain, a conservé malgré la rupture de la création une ressemblance avec l’homme : « Sans le passe-partout qu’est l’homme, point d’entrée possible nulle part au-delà de l’écorce des choses, explique le poète dans sa préface de Pensées et Sens Plastique. Ce nouveau procédé de perception, la « Triple-vue », il l’expérimente pour la première fois dans Sens Plastique. Le processus comprend trois phases distinctes. « D’abord, [Chazal] voit l’objet (prenons ici une fleur comme exemple). [Il] voit la fleur telle que tout le monde la voit : c’est la vue réelle. Puis vient l’intégration du moi, par dédoublement, au monde de la fleur (double-vue par narcissisme à rebours), mode par lequel la fleur « nous voit » en retour, ce qui n’est au fond qu’une apparence, parce que ce sont véritablement les deux parties de notre moi double qui s’autovoient, à ce moment à travers la fleur. Enfin, en troisième et dernière phase, un nouveau procédé de vision entre en jeu qui couronne le tout, et dont voici le fonctionnement : grâce au regard qui est maintenant devenu regard hypnotique sur l’objet qu’il fixe, la fleur est aspirée en nous et s’incarne au domaine de notre subconscient. […] Durant cette troisième phase du procédé d’observation par la Triple-vue, la fleur a cessé d’être vue par l’œil physique, bien qu’elle lui fasse vis-à-vis, et est uniquement perçue par les yeux de l’esprit, car tout s’est mû à ce stade en vue spirituelle et en vie intérieure. Tout ce processus de Triple-vue se résume en dernière analyse à une auto-vision de soi, à travers la fleur [en vertu de la reconnaissance dans l’objet de la forme humaine par le sujet], dans les salles intimes de l’esprit, dans le « Saint des Saints » de la pensée ». [86] Par cette découverte de la Triple-vue, Chazal a véritablement conscience d’avoir découvert « l’état de vision originel de l’homme » [87] qu’il possédait alors dans la plénitude de l’Un, bien avant le péché, bien avant la Chute. L’explication de la fascination de Chazal pour la Vision de l’invisible réside dans cette envie irrépressible de comprendre les secrets de l’univers primordial unifié.

Astrologie

Mais sa quête ne saurait prendre fin avec la redécouverte de la vision originelle. Chazal veut en savoir davantage, sur sa planète et sur celles qui gravitent autour de notre soleil. Après la Triple-vue, c’est sans doute l’astrologie qui retient le plus son attention. Il va s’exercer en effet à lire l’avenir en utilisant le livre étoilé du ciel comme support privilégié de divination. Cette croyance au Destin que manifeste Chazal s’exprime d’une manière très nette dans sa foi en l’astrologie : Puisque tout est déjà écrit, puisqu’il est promis, quoiqu’il fasse, à subir une vie qu’il ne maîtrise pas puisqu’elle est déjà écrite avant même sa naissance, il va s’évertuer à lire l’avenir pour savoir ce qui va lui arriver ou comprendre ce qu’il est en train de vivre. [88] Très tôt, il réalise que les astres ont une influence sur lui. Il confesse notamment dans Sens Unique un épisode étrange de sa vie, épisode dans lequel, il comprend le rôle décisif que les étoiles du ciel jouent dans sa vie :

« 1951. Je suis à Pointe d’Esny. […] Par une nuit si épaisse des tropiques qu’elle tourne au bleu d’encre, je marche sur le chemin ensablé parmi les cocotiers. […] J’avais vu jusqu’à ce jour-là les étoiles éparses, comme un tapis de diamants. Cette nuit-là je vis autre chose. Les étoiles se concertaient, s’associaient, pour venir à moi par un bouquet de visages. Les étoiles parlaient en groupe. J’écrivis ce même soir des poèmes cosmiques ». [89]

Chazal écrit donc ce soir-là sous la dictée des étoiles. Mais les textes qu’il produit portent le germe caché de l’interdit transgressé. Aussi, après être sorti de sa torpeur première, le poète se ravise et immole les mots volés aux étoiles en les jetant dans un brasier purificateur :

« Ces poèmes ont été détruits par le feu. C’est moi qui les détruisis. J’ai brûlé ainsi une armoire pleine de manuscrits à la Cambuse sur la côte Sud-Est : […] Poèmes cosmiques donnant les cieux allégoriques, au-delà du zodiaque et du signe du Verseau. La lecture des étoiles allait me mener à la lecture des montagnes ». [90]

Si Chazal brûle ses textes cosmiques, c’est qu’il a sans doute conscience d’avoir eu accès à des arcanes du monde supérieur, au modèle céleste auquel G. Van der Leeuw fait référence dans son ouvrage La religion dans son essence et ses manifestations. « Le ciel est un panorama mythique, avant d’être un ciel physique, écrit en effet Malcolm de Chazal dans La clef du cosmos. La voûte étoilée est vase moral d’abord par ses mythes, purs aspects et représentations de la Pensée divine. La force du cosmos vient de ses analogies. Son aimantation et sa gravitation sont produits de correspondances entre ses mythes étoilés. […] La Connaissance Première est donc liée au déchiffrement de ce grand mythe étoilé ». C’est donc parce que le monde du bas est lié au monde du haut que Chazal va entreprendre de décrypter ce que les symbolistes ont appelé les Correspondances. Cependant, si les deux univers sont liés, le monde céleste qui est le moteur de l’ensemble, ne semble pas être figé. Ainsi, l’homme, qui interroge depuis la nuit des temps le ciel étoilé, « ne considère nullement ce qui se passe [au-dessus de lui] comme conforme à des lois. Il n’est jamais sûr que la lumière solaire reviendra jour après jour. La crainte de subir un arrêt du soleil dans sa course n’a pour lui rien de chimérique ».[91] Rien de ce qui se passe dans le monde éthéré n’est donc achevé : « La vie se développe spontanément dans le ciel tout comme sur la terre ». [92] Cette idée, Chazal la reprend à son compte. Il commence par lire les étoiles, en suivant sans doute une pulsion humaine primitive. Puis, considérant, dans La pierre philosophale notamment, que la lecture des astres étaient à ses yeux trop limitative, il élabore un nouveau système de divination dont le principe est calqué sur celui de l’astrologie : la Divination des montagnes.

La Divination des montagnes

Il ne s’agit pas ici de décrypter le message stellaire, mais de lire et d’écouter ce que les montagnes ont à révéler sur leurs origines. Et, c’est en utilisant cette technique très particulière qu’il rédige fiévreusement Petrusmok :

« De la pierre révélée vient Petrusmok auquel j’accolai ma vie de tous les jours. J’ai créé Petrusmok en voyageant parmi les montagnes pendant le jour, et en écrivant la nuit à ma table de travail. Durant cinq mois, j’ai vécu là une vie extraordinaire. La vision alors s’extravasait. Et, possédé, je consignai mes visions intérieures qui s’alliaient à ces visages dans le miens. Cette alchimie m’avait changé le sens des choses. […] Je voyais que dans cette Bible de la pierre on parlait de l’homme et de l’univers réunis ». [93]

Par la traduction du message de la montagne qui révèle ses secrets, Malcolm de Chazal réinvente la divination et l’adapte à l’univers spécifique de l’île Maurice. Mais il dépasse rapidement le côté purement fonctionnel de cette technique divinatoire. La Divination des montagnes s’inscrit dans une perspective plus large. Pour Chazal tout étant lié, la lecture des montagnes terrestres peut trouver une application extraterrestre. Il se tourne ainsi à nouveau vers les étoiles du ciel : « l’étoile n’étant qu’une montagne plus élevée, le même système de prospection [la divination des montagnes] s’applique à la voûte étoilée […]. [94] Le langage des montagnes nous ouvre la voie vers les mythes étoilés, introducteurs aux vérités célestes, par les doigts du Roc de la Matière Transubstanciée et rendue vivante de l’autre côté ».[95] Cette réinterprétation de l’astrologie n’est pas, comme on serait tenté de le penser, la manifestation d’une réflexion personnelle. Ce qui est original, c’est à n’en pas douter le choix de la montagne comme terrain de prospection divinatoire. Cependant, l’idée que le monde spirituel se reflète sur le monde terrestre est ancienne. Il semblerait selon toute vraisemblance que ce soit le mystique suédois Swedenborg, grand théoricien des correspondances, qui soit en grande partie responsable du système de pensée chazalien.

Swedenborg et les correspondances

Swedenborg, même si Chazal s’en défend [96] , occupe une grande place dans la construction littéraire et philosophique du poète mauricien. J’ai rappelé dans le premier chapitre que le traducteur français de l’oeuvre swedenborgienne, Jean-François Etienne Le Boys des Guays, avait été en contact étroit avec l’arrière grand-oncle de Malcolm, Edmond de Chazal. On retrouve en outre cet homme associé à la fondation de l’Eglise de la Nouvelle Jérusalem de l’île Maurice, au milieu du dix-neuvième siècle.

Bernard Lecherbonnier, dans son ouvrage Surréalisme et francophonie, remarque par ailleurs, que l’écriture chazalienne est toute pétrie de l’influence de Swedenborg. Il va même jusqu’à reprocher au poète ses emprunts aux Arcanes célestes. S’étant le premier penché, à ma connaissance, sur les rapports liant Chazal à Swedenborg, Lecherbonnier établit une comparaison méthodique des deux hommes. Il compare tout d’abord leurs parcours personnels respectifs : Les deux hommes ont en commun le fait d’avoir entrepris des études scientifiques, d’avoir vécu en célibataires, d’avoir été toute leur vie épris d’absolu, d’avoir été rejetés ou persécutés par leurs contemporains parce qu’ils étaient persuadés d’avoir été choisis par Dieu pour recevoir une révélation. Ensuite, Lecherbonnier analyse leurs œuvres en les comparant également. Là encore, il met en évidence un certain nombre de ressemblances frappantes : Tous les deux utilisent un même ton péremptoire qui donne à leurs textes la force de la révélation prophétique. Ils sont aussi très préoccupés par la question de la pluralité des mondes habités. Certains ouvrages des deux hommes ne sont que des versions résumées ou répétées de livres qu’ils ont déjà écrits : « Le traité du Ciel et de l’enfer, celui des Correspondances sont entièrement extraits d’Arcana coelestia. Il en est de même de toute l’oeuvre chazalienne postérieure à Sens Plastique », conclut Lecherbonnier. [97]

Mais il est possible de pousser la comparaison plus loin. Les deux hommes utilisent une même technique divinatoire pour avoir accès aux secrets du monde supérieur. Chez eux, le rêve, éveillé ou traditionnel, devient un support privilégié de connaissance de l’avenir. [98] Ils l’utilisent de deux manières différentes : à l’état de veille et à l’état endormi. La première méthode consiste à se plonger dans un état intermédiaire, entre veille et sommeil. Durant la transe, l’extatique a conscience qu’il est bien en éveil et présent dans le monde sensible. « Dans cet état, j’ai clairement vu et entendu des esprits et des anges, affirme Swedenborg dans le Livre des rêves. Je les ai touchés, chose étrange, mais comme si mon corps n’y avait pas vraiment eu sa part. […] Tout était réponse à mes pensées, mais de telle manière qu’en toutes choses il y avait une telle vie et une telle splendeur que je ne peux le décrire le moins du monde, car tout était céleste, clair pour moi à ce moment-là, mais impossible ensuite d’en rien exposer. En un mot, c’était dans le ciel, et j’entendais des paroles que nulle langue humaine ne saurait exprimer avec cette vie, cette splendeur qui en découlait et ce délice profond. En outre, j’étais éveillé comme dans un extase céleste, chose qui est également indescriptible ». [99] Chazal, quant à lui, dit volontiers avoir utilisé cette technique avec prodigalité. Presque toutes les transes qui le terrassent dans Petrusmok, par exemple, procèdent de l’état de veille, comme le montre cette expérience étrange qu’il a vécue le 28 novembre 1950, au campement Stein :

« En demi-sommeil, j’ouvre soudain les yeux à droite de mon lit. Un être est là, noir de suie, rocailleux, ténébreux ». [100]

La seconde méthode, la vision à l’état endormi, est plus utilisée par Swedenborg que par Chazal. En effet, c’est en utilisant le rêve à plusieurs reprises que le visionnaire suédois mène à bien ses investigations dans l’univers suprasensible. Son Livre des rêves fourmille d’expériences extatiques se déroulant au cours du sommeil. Cependant, si Chazal a utilisé cette technique [101] , il lui a préféré, en de nombreuses circonstances, celle qui consiste à percevoir l’invisible dans des moments de veille, en pleine conscience. Quoi qu’il en soit, ces deux techniques donnent lieu à des perceptions précises de l’invisible. Swedenborg et Chazal aiment à donner des détails et à émailler leurs descriptions d’éléments précis. [102] Ce souci incessant porté au détail donne à leurs visions la force de la vérité, d’autant plus que leurs extases se veulent avant tout le résultat d’une démarche scientifique.[103] « Les visions de Swedenborg sont subordonnées à l’utilisation d’une méthode exacte, affirme Marie-Madeleine Davy dans son Encyclopédie des mystiques. [104] Le spirituel n’est point l’abstrait. Selon sa théorie des influx, l’homme peut jouir d’une conscience élargie. L’influx qui provient du monde spirituel est la lumière de chaque homme naturel. Cet influx assure la cohérence, fait l’unité entre tous les éléments du ciel […] ». Toute l’oeuvre prophétique de Chazal résonne de ces mêmes accents : Le poète mauricien rappelle, dès qu’il en a la possibilité, que ses investigations « petra-mystiques et suprasensibles » relèvent d’une véritable « science de dépassement » du réel. [105] Cependant, quelles soient le produit d’une démarche scientifique ou seulement le résultat de rêveries dépourvues de rationalité, les visions des deux hommes sont systématiquement interprétées grâce à la théorie des Correspondances qui affirme que « toutes les choses manifestées dans l’espace et le temps sont les symboles de situations spirituelles qui en sont la cause, si bien que le monde visible n’est que la représentation du monde spirituel ». [106] A l’origine de ce système de pensée, l’on trouve l’ancienne idée stoïcienne suivant laquelle l’Univers dans son ensemble est gouverné par une Ame du Monde. Les âmes particulières des êtres humains, des animaux, des plantes ou des astres étant des émanations consubstantielles de cette Ame suprême, sont liées entre elles par un lien fraternel étroit. Cette théorie des correspondances donne naissance à un nouvel imaginaire, à une « nouvelle poétique de l’Univers où chaque fragment du Tout correspond et entre en contact avec les autres parties du même ensemble ». [107] Le corps humain n’échappe pas à cette règle. L’homme est un microcosme qui reflète fidèlement le macrocosme dont il est coparticipant : l’Univers. Le Cosmos pour Swedenborg peut en effet se représenter comme un « Très Grand Homme », « dont les trois cieux forment la tête, le corps et les pieds »[108] :

« Il n’y a pas même dans le corps la plus petite particule à laquelle ne corresponde quelque spirituel et quelque céleste, ou, ce qui est la même chose, à laquelle ne correspondent des sociétés du ciel ; car ces sociétés sont disposées selon tous les genres et toutes les espèces de spirituels et de célestes dans un tel ordre, qu’elles présentent ensemble la ressemblance d’un homme, et cela quant à toutes et à chacune de ses parties, tant intérieures qu’extérieures : de là vient que tout le Ciel est ainsi appelé le Très Grand Homme ». [109]

Chazal adhère volontiers à cette théorie du Très Grand Homme ainsi qu’un curieux passage de Petrusmok semble le montrer. Dans cet extrait, le poète réduit l’univers à sa personne en devenant lui-même le Très Grand Homme. Ainsi, l’île Maurice correspond d’une manière étroite avec son corps devenu pour un temps, le reflet ultime et symbolique de sa terre natale dans l’Absolu :

« Mon crâne est le Pouce : vois mon nez qui désigne, doigt qui heurte les cieux.

Je m’étends et je mords les terres, de mes bras qui embrassent et serrent le sol, de la Montagne des Signaux aux derniers versants de Flacq.

Mon grand corps s’étend et monte, et mon ventre poli est le Haut-Plateau, où mon ombilic, comme une cerise, fleurit dans le Trou-aux-cerfs.

Contemple le Piton du milieu, et tu y verras mon sexe. Les plis de chair de mes cuisses jettent un genou à Nouvelle France et un autre à Chamarel. […] Et je rentre le genou et je ramène mes talons. L’île se resserre, et le crâne de mon corps, Pouce éclairé, est alors très proche du Trou-aux-cerfs. Ainsi font les hivers chez nous : ils recroquevillent la carte de mon pays. Mais en été, je m’étends, l’île s’élargit: tel est le pendulum de la Joie et du Désespoir où j’ai vécu toute ma vie.

Je suis le génie de ces Lieux. […] Quand je crée, je suis un dieu […]. Que je cesse d’œuvrer, et le Trou-aux-cerfs n’est plus qu’un rectum purulent, et Curepipe une fiole pourrie où couvent des immondices. […] Je suis le Squelette de cette Ile, parce que je suis son armature spirituelle. Le Corps Spirituel s’intègre au Corps Physique. Je suis Moule montagneux du pays que j’ai fait. L’île Maurice est mon île Maurice […] ». [110]

Malcolm de Chazal reprend donc à son compte la théorie de Swedenborg des correspondances et celle du Très Grand Homme des alchimistes, principes philosophiques qui ne cesseront d’apparaître en filigrane tout au long de son œuvre. [111]

Par ailleurs, d’autres préoccupations swedenborgiennes sont présentes dans les textes chazaliens : Comme son modèle, Chazal côtoie le monde des morts. Il se plaît à décrire notamment le séjour des âmes défuntes, à l’image de Swedenborg qui prétendait s’y être longuement promené. Dans Petrusmok, par exemple, Malcolm imagine des rencontres répétées avec son aïeul, le Rose-Croix François de Chazal de la Genesté. De même, il n’est pas rare qu’il se trouve en présence de spectres, chez lui, ou dans les cavernes de son île :

« Et un spectre jaillit dans ma pensée. Et en hypnose je le vis qui ouvrait une porte : des roches grincèrent, un caveau livrait son secret ».[112]

Mais ce qui rapproche le plus les deux hommes, c’est sans doute leur conviction d’avoir été choisi par Dieu pour mener à bien une mission : Chazal est persuadé qu’il doit réveiller l’humanité pour qu’elle comprenne qu’elle se vautre dans l’erreur et dans la nuit de la division. Quant à Swedenborg, si sa mission est différente, il a conscience d’être l’instrument par lequel Dieu affirme sa volonté : « Le Seigneur se révéla à moi, son serviteur, en l’an 1743, et m’ouvrit les yeux sur le monde spirituel, écrit Swedenborg dans le Livre des rêves. Il me prêta alors et jusqu’à ce jour [Swedenborg écrit ceci en 1745] le pouvoir de communiquer avec les esprits et les anges. Dès lors, je fis publier les divers arcanes qui m’ont été manifestés et révélés ». Swedenborg, si l’on en croit cette déclaration serait comparable aux prophètes bibliques en marchant dans leurs pas. Il en va de même pour Malcolm de Chazal qui a souvent été rapproché de ces hommes inspirés. Dès lors, est-il réellement un prophète de type biblique, comme on l’a souvent pensé dans le passé ou bien est-il simplement un voyant « ordinaire », s’abreuvant à des points d’eaux troubles, à l’image de ceux dont les occultistes puisent leurs ivresses divinatoires hautement magiques ?

II. Inspirations sacrées

Malcolm de Chazal et le prophétisme dans l’Ancien Testament

Comme dans l’Ancien et le Nouveau Testament, la parole chazalienne est étroitement associée à l’idée que le Créateur utilise la voix humaine pour annoncer ses commandements à la terre entière. Dans la Bible en effet, Dieu parle aux hommes par l’intermédiaire d’êtres élus, capables de recevoir son enseignement dans le dessein de guider le genre humain. [113] Cette mission, Chazal est persuadé qu’elle lui a été confiée par le Seigneur. « Notez bien, affirme-t-il dans Ma révolution, que je ne crée rien : je ne fais que rappeler dans les mots ce que mon œil de visionnaire a capté, je ne fais que rapporter des visions perçues. Simple greffier, je n’interprète pas : je décris. Je ne suis qu’un cinématographe de l’invisible ». Cette image du « greffier », Chazal la reprendra quelques années plus tard dans un autre ouvrage, Préambule à l’Absolu, dans lequel il prétend œuvrer à la diffusion du message de l’Absolu, c’est à dire du Seigneur :

« L’homme qui signe ces lignes n’est que le greffier du message absolu. Il ne s’arroge aucune excellence, sauf celle d’avoir été un greffier passable. Si la transcription a été bien faite, son rôle s’est accompli.

L’auteur ici a rendu compte. A d’autres à rendre compte, à leur tour, d’un Témoignage Unique, qui n’appartient à personne. Car la vérité est en soi, et c’est la lumière ».

A plusieurs reprises, Chazal assure que pendant ses transes, il « croule dans le sommeil de Dieu » [114] ou bien lit, comme dans un livre ouvert devant ses yeux, « dans le cœur de Jésus » [115] : « Je suis disciple du Très-Haut et c’est de là que je tiens ma force » [116] avance-t-il en prenant le ton péremptoire dont il est coutumier, comme pour mieux donner à ses paroles la puissance que lui confère le caractère sacré de sa mission. [117]

Il est ainsi convaincu que sa « révolution ne cherche qu’à induire les gens à mieux écouter les célestes symphonies de la nature (l’eau, l’oiseau, le vent, la cigale, les crissements divins et voluptueux du feuillage) avec une oreille neuve, dépolluée du son des voix humaines, cette pourriture spirituelle qui empeste de ses relents les parfums des sons de la nature, et vicie l’ouïe ». [118] Oui, Chazal est bien disposé à prêter sa voix à l’Eternel pour qu’il puisse faire entendre la sienne sur toute la surface de la Terre. C’est en cela que le poète mauricien peut être considéré comme un véritable prophète de type biblique. Dès les plus anciennes heures de la création, YHWH s’est adressé en effet à des hommes choisis, ayant pour tâche de transmettre sa Parole, car cette Parole divine n’est pas un bien ésotérique réservé à un petit cercle d’initiés : l’expérience unique de la Parole de Dieu s’adresse et doit être révélée au plus grand nombre. Cet aspect de la révélation n’est pas pleinement vérifié chez Malcolm de Chazal. Il ne semble pas vraiment partager cette aspiration universelle du don de la connaissance, lui préférant une approche beaucoup plus sélective et restrictive de l’expérience prophétique. Cette propension au sectarisme, voire à une forme moderne de gnose [119] , n’est pas compatible avec le prophétisme originel et littéral de la Bible. Pourtant, Chazal se rapproche souvent des visionnaires qui n’ont eu de cesse de propager la Parole de Dieu. « Partout, dans l’ancien Orient, explique Xavier Léon-Dufour, il existait des hommes qui, exerçant la magie, [étaient] jugés aptes à recevoir de la divinité un message » [120]. Malcolm, par ses dons médiumniques, pourrait donc facilement entrer dans le cercle fermé de ces êtres utilisés par Dieu en raison de leur extrême sensibilité. [121]

Ce n’est sans doute pas un hasard si Camille de Rauville a souvent rapproché Malcolm de Chazal de la figure de Moïse, [122] peut être dans le soucis de montrer qu’il appartenait, lui aussi, et à sa manière, à la caste des prophètes.

Plus tard, « à la fin de l’époque des Juges, poursuit Léon-Dufour, surgissent des « bandes de fils de prophètes » [123] évoquées par le livre de Samuel [124]. Avec eux le mot « nabî » (« appelés » ?) entre dans l’usage. [125] Mais à côté de lui subsistent les anciens titres « voyant » (I S 9,9) ou « visionnaire » (Am 7, 12), « homme de Dieu » (I S 9, 7 s), titre principal d’Elie et surtout d’Elisée (2 R 4, 9) ».[126] Malcolm de Chazal n’hésite d’ailleurs pas à utiliser ce vocabulaire d’une manière souvent outrancière, sans mesurer véritablement les implications sémantiques qu’il renferme. En fait, explique Léon-Dufour, « ce terme « nabî » désigne aussi bien les prophètes inspirés par YHWH que les hommes qui font commerce de la divination sans recevoir leurs perceptions du Très-Haut. C’est le cas par exemple des « mages de Baal » [127] ou encore d’autres sorciers qui considèrent leur voyance comme une source de profit. Les différentes acceptions de ce terme « nabî » montrent « donc que le prophétisme a des aspects très variés ». [128] Les natures prophétiques sont donc polyformes et à ce titre, le poète, par essence inspiré, fait partie intégrante de ce panthéon de visionnaires.

« L’ancien Orient avait recours à de vieilles techniques pour tenter de percer les secrets des cieux, explique par ailleurs Monloubou. [129] L’observation des présages, la lecture des songes et l’astrologie, pour ne citer que ces pratiques, étaient couramment utilisées par les mages. L’Ancien Testament conserve le souvenir de ces diverses techniques sous une forme épurée dans laquelle le polythéisme et la magie sont écartés. En effet, la sorcellerie est vivement condamnée par les textes bibliques qui n’ont de cesse de montrer la supériorité de YHWH, dans l’Ancien Testament, et du Christ, dans le Nouveau, sur les forces obscures des ténèbres. Ainsi, la Loi interdit-elle la magie sous peine de mort et l’auteur de Sagesse 12, 3-7 rappelle que les pratiques occultes sont défendues par l’Eternel » :

« […] Il en fut ainsi pour les anciens habitants de la terre sainte que tu avais pris en haine à cause de leurs pratiques détestables : œuvre de magie, rites impies, meurtres cruels d‘enfants, festins de chair et de sang humains où l’on mange jusqu’aux entrailles; Ces véritables initiés surpris en pleine orgie, ces parents meurtriers d’être sans défense, tu avais voulu les faire périr par la main de nos pères, afin qu’elle reçut une digne colonie d’enfants de Dieu, cette terre qui t’est chère entre toutes […] ».

Malcolm de Chazal, de la même manière, fustige « les grands sorciers de la Seconde Lémurie, qui dans l’Utérus de la Terre, préparent leurs philtres et leurs médications » [130] Il s’en prend aussi violemment à la voyance dans Sens Unique, laquelle est selon lui « un processus de forçation par lequel l’Au-delà est violé ». Quelques années plus tôt en 1951, dans le Rocher de Sisyphe, un ouvrage présenté comme un codicille de Petrusmok, Malcolm de Chazal tentait de faire le point sur le problème de la magie envisagée dans la perspective de l’histoire et de l’évolution de l’Humanité. Très critique à son égard, il s’en prenait violemment à elle en expliquant que sa pratique chez les Atlantes avait conduit à la chute de leur civilisation. Reprenant son ancienne théorie des « deux lunes », imaginée par le cerveau prolifique du nazi Hoerbiger [131] et dont la démonstration ne manque pas de me laisser sceptique, [132] Chazal tente de donner au mythe antique de l’Atlantide un épilogue à la forme pseudo-scientifique : [133]

« Qu’est-ce que la magie noire ? C’est une ponction, par violation, faite dans le monde spirituel, en vue d’arracher des forces à l’invisible. Par là, un trou, une entaille, une déchirure est faite dans la trame du spirituel, et si la ponction est assez grande, des forces spirituelles énormes tombent en cataractes dans ce monde-ci, amenant la destruction, et engloutissant les violateurs. […] C’est ce qui dut se produire pour l’Atlantide. Des forces vertigineuses furent dégagées par magie noire, qui devenant bientôt incontrôlables, déversèrent leurs flux dans le vase du physique, et dépassant toutes limites, devinrent cosmiques, bousculant la carte du ciel, entraînant la planète morte de la lune hors de son orbite solaire ».

Faut-il voir dans cette citation une des innombrables contradictions du poète qui se laisse trop souvent charmer par les sirènes de l’occultisme, malgré ce qu’il prétend ici ? En dépit de ses spéculations sur le compte de la fin de l’Atlantide, Chazal semble adhérer dans nombre de ses textes aux prohibitions vétérotestamentaires : y sont condamnées notamment, les pratiques théurgiques, qui consistent à « violer Dieu par incantations » et à « profaner [son nom] par magie »[134] , « les sacrifices d’enfants, les rites consistant à boire du sang humain » etc. [135] Cependant, en raison de la faiblesse de l’humanité, YHWH utilise les pratiques divinatoires pour délivrer son message aux hommes. De ce fait les prêtres ont recours fréquemment à la divination. Joseph par exemple se livre, dans Genèse 44, 2-7, à la Lécanomancie, pratique consistant à placer une goutte d’huile sur un récipient rempli d’eau et à observer les formes que prend la flaque graisseuse pour les interpréter. Par ailleurs, les chapitres 40 et 41 du livre de la Genèse nous apprennent que ce même Joseph est doué pour l’interprétation des songes, discipline dans laquelle Malcolm de Chazal se sent tout à fait à l’aise :

« Je commençai à m’endormir, le lundi 14 juillet. Etais-je dans un profond sommeil, dans un rêve entre deux eaux, ou en un état cataleptique de l’esprit, résultat de mes longues méditations de la journée, je ne puis le dire. Mais tout à coup, j’entendis en plein centre de moi-même un coup de tonnerre effroyable qui mit mon âme en grande panique. […] J’eus la sensation que cette Foudre, en nulle circonstance ne pouvait venir du dehors, ni que cette bombe atomique de l’âme, je l’eusse subie en hallucination. Elle était en plein centre de mon être, venant d’un Autre Lieu. Après une minute de panique intense, où je m’attendais à tout moment à voir surgir la Révélation, je me calmai et m’endormis l’esprit serein.

Mystère de la Révélation Sonore qui m’avait fait bondir de mon lit, m’aurais-tu par hasard débouché le cerveau telle une oreille à qui on ôte un tampon de cire – puisque maintenant je vois plus clair en moi-même, et que je suis plus lucide aux surréalités ? »

Mais Chazal présente aussi des affinités avec les prophètes qui n’utilisent plus ces techniques divinatoires. Ceux qui se sont détournés de ces formes de magie reçoivent une inspiration ineffable directe de Dieu. Ces prophètes sont envahis par la puissance divine au point qu’ils se sentent totalement possédés. Ezéchiel par exemple, confie sa stupeur face à la puissance divine envahissant tout son être :

« Alors l’Esprit me souleva et m’emporta ; j’allai, amer et l’esprit irrité ; la main du Seigneur était sur moi, très dure ». [136]

Cette impression d’accaparement de l’être par une force supérieure et invisible, Ezéchiel la partage avec Chazal : [137]

« Je fermai les yeux et ne voulus point voir. Pourquoi ? une force m’avait remis dans le sommeil. Il y avait là un diktat. J’ai dû obéir ».

De même, l’autorité qui le pousse à gravir les pentes de Dauguet sur le Pieter-Both [138] présente-t-elle de nombreuses ressemblances avec celle qui domine la volonté des prophètes bibliques.

Malcolm de Chazal et le prophétisme dans le Nouveau Testament

On ne peut pas évoquer le prophétisme dans le Nouveau Testament en relation avec l’œuvre de Malcolm de Chazal, sans mentionner le personnage de Jean-Baptiste. Cet homme est sans nul doute, au témoignage de Jésus, « plus qu’un prophète ». [139] A la manière des prophètes qui l’ont précédé, le Baptiste est un être d’exception qui est choisi par Dieu pour accomplir son ministère :

« […] Il sera grand devant le Seigneur. […] Il sera rempli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère. Il ramènera beaucoup de fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; et il marchera par devant sous le regard de Dieu, avec l’esprit et la puissance d’Elie, pour ramener le cœur des pères vers leurs enfants et conduire les rebelles à penser comme les justes, afin de former pour le Seigneur un peuple préparé ».

« Jean-[Baptiste], avant même de naître d’une mère jusque-là stérile, est consacré à Dieu et rempli de l’Esprit-Saint ».[140] Il est prédestiné à sa mission, comme l’ont été avant lui d’autres personnages bibliques, choisis par YHWH pour accomplir un ministère. Vivant dans le désert une vie austère et reculée, portant le vêtement humble du prophète Elie [141], il est entouré de disciples qui reçoivent son enseignement ascétique fondé sur le jeûne et la prière. Mais avant tout, Jean-Baptiste est un prêcheur qui exhorte les hommes à se convertir en pratiquant un bain rituel de purification. Cependant, les Pharisiens ne le considèrent pas d’un bon œil, persuadés qu’il parle sous l’emprise d’esprits malins[142]. Témoin de la Parole de Dieu, il dénonce aussi le péché des hommes, comme l’adultère du roi Hérode par exemple, révélation qui lui coûta la vie.

Or, si Camille de Rauville a rapproché Malcolm de Chazal de la figure mosaïque, on peut remarquer en outre qu’il partage avec Jean-Baptiste un certain nombre de points communs. Comme lui, il est la voix qui résonne dans le désert, l’annonciateur d’un message que personne ne comprend :

« En 1947, paraissait à l’île Maurice, Sens plastique. A part quelques esprits excellents, nul ne comprit le livre. […] En 1950, j’éditai à l’île Maurice, Petrusmok, qui introduit le mythe vivant d’à partir de la pierre. Nouveau silence, nouvelle incompréhension ». [143]

Il proclame par ailleurs à qui veut l’entendre, qu’il prête sa voix au Messie, à celui qui est venu et qui reviendra sur la terre lors de la fin eschatologique. Comme Jean-Baptiste, il se place en retrait, en faisant preuve d’une soudaine modestie [144], peu en rapport avec le personnage qu’il s’est constitué au fil des années : « je n’ai reçu que la révélation partielle, intermédiaire par la pierre, déclare-t-il dans Petrusmok. Je ne suis qu’un voyant mitigé. D’autres plus grands que moi seront les voyants totaux dans la pierre, interprétateurs suprêmes de l’oracle pétré. Je ne suis que précurseur, Saint Jean-Baptiste de cette église éternelle. Tout est inscrit, d’autres liront ». [145]

Précurseur du Messie, Jean-Baptiste, comme Malcolm de Chazal, incarne la figure du prophète qui se dessine depuis la Création: choisi pour être au service du Christ, le porteur de la Parole est voué immanquablement au martyre et à la souffrance, marque tangible de son appartenance à la caste des vrais prophètes. Ce destin tourmenté, Chazal le partage avec ses modèles bibliques, parce qu’il se considère et veut être reconnu par tous comme un prophète authentique. En effet, il passe à l’île Maurice pour un excentrique, pour une sorte de « fou littéraire » dont les œuvres et les réactions sont souvent incomprises. Cette tension, qui peut se lire dans le comportement des Mauriciens à son égard dans la vie quotidienne, est perçue par Chazal comme le témoignage d’une incompréhension confinant parfois même à l’expression d’une « haine » tenace et sourde :

« L’autobus roule. Il est huit heures et demie. Je pars pour mon travail sur les routes asphaltées du centre de l’île. L’essieu grogne, les coussins parlent, les gens hurlent à mon oreille avec leurs gestes psychiques d’opposition. Tout me hait en ce pays, même ces coussins durs qui ont vu d’autres séants plus renommés que le mien. […]

Mes yeux se ferment, l’autobus coule dans le passé, avec son fourgon de voyageurs. Bien au-delà de ce joujou d’acier, mon âme est projetée. Je coule dans l’infini de ces monts, qui me sont devenus substance de l’âme.

Et toute cette tourbe qui me hait à l’arrière, barrée par ce grand corps, sera gênée par cette hypnose, et inconsciemment verra la route faussée vers le bonheur. Que puis-je, ô mon pays, si ma présence fait si mal aux gens et crée en eux une fêlure ? Je ne me suis pas fait moi-même : tel que je suis, Dieu m’a fait. Incriminez donc Dieu, Mauriciens, si je vous dépasse tous ». [146]

Cependant, la comparaison avec la figure de Jean-Baptiste s’arrête là. Si, comme les prophètes, Chazal annonce la Parole en se livrant à la vindicte populaire, le Baptiste se différencie de lui et de tous les autres car il a su reconnaître le premier, le Messie et le désigner à la foule qui n’avait pas prêté attention à sa présence. En fait, comme le proclament les évangélistes Luc et Matthieu [147], il porte la voix de tous les prophètes qui, par son intermédiaire, témoignent d’une manière vivante de l’avènement de Jésus-Christ. Précurseur venant mettre fin au temps de l’ancienne Alliance, il succède à Malachie, le dernier des prophètes, en réalisant la dernière de ses prédictions :

« Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères pour que je ne vienne pas détruire votre pays ».

Prédictions et réalisations

Les prophéties délivrées dans l’Ancien Testament peuvent presque systématiquement être mises en relation avec une réalisation qui s’opère dans le Nouveau Testament. Les rédacteurs ont en effet porté un soin particulier à la construction de leurs ouvrages, notamment en matière de continuité : Jésus-Christ s’inscrit dans une Histoire commencée par la genèse du monde. Il est en outre le Messie dont les prophètes ne cessent de prédire la venue. Le prophétisme est donc subordonné au résultat qu’il entraîne : est prophète, celui dont la parole agit en se réalisant dans l’Histoire. Malcolm de Chazal, que les commentateurs n’ont pas manqué de rapprocher de la figure du prophète avec parfois une certaine outrance, se signale parfois par des prédictions qui trouvent une certaine réalisation : ses considérations sur l’indépendance de l’île Maurice sont sans doute un bon exemple. Cependant, il faut bien reconnaître que l’on n’avait pas besoin d’être un visionnaire extrêmement performant pour prédire la fin de la domination anglaise à courte échéance. Ailleurs, dans un cadre résolument littéraire, Chazal s’amuse à montrer aux lecteurs qu’il est, comme on l’écrit si souvent, un vrai prophète. Dans Petrusmok par exemple, sa prédiction « la plaine du miracle au bas du Pieter-Both, vers le nord rendra ses morts » trouve un accomplissement concret et attesté : « Le mont s’ouvre et déverse ses morts ». [148]

Cependant, en ce domaine, il faut sans doute rester prudent. De nombreux poètes exaltés comme Chazal sont souvent assimilés à tort à des prophètes de tout premier ordre. Les idolâtres de Malcolm de Chazal ont écrit leur admiration pour le « prophète » comme Breton, qui rencontrait le génie à tous les coins de rue et qui, dans ses articles, faisait part à ses lecteurs de ses découvertes. De ce point de vue, l’attitude des commentateurs ressemble à celle des idolâtres d’Arthur Rimbaud. L’on a vu en effet en lui, comme chez Chazal « un prophète sur qui l’esprit est tombé ». [149] Pourtant, en ce qui concerne le registre de la prédiction, ni Rimbaud ni Chazal ne se signalent pas par leurs dons médiumniques. Certains ont pourtant essayé de trouver quelques occurrences heureuses pour étayer leur argumentation : Au sujet de la figure prophétique de Rimbaud, Etiemble rapporte par exemple que Paterne Berrichon et Raymond Clauzel voyaient dans Le bateau ivre « une prophétie du destin rimbaldien ». J’ai par ailleurs écrit dernièrement [150] qu’ « Une Saison en enfer a été elle aussi l’objet de l’attention farouche des commentateurs. On y a repéré des prédictions tout d’abord sur la vie personnelle du poète. Un passage de « Mauvais sang » en particulier a suscité a posteriori un certain émoi : « L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. […] Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux […] ». L’on a vu dans cet extrait une prophétie révélant le départ de Rimbaud pour le Harar et son retour tragique à Marseille où il subira une amputation de la jambe…Delahaye par ailleurs cite dans son ouvrage Rimbaud le texte d’une correspondance dans laquelle semble se dessiner le spectre de la guerre 14-18 : (Delahaye Ernest. Rimbaud, cité par Etiemble, in Le mythe de Rimbaud, pp. 291 à 292) :

« Oui le peuple allemand paiera cher sa victoire. Les imbéciles ! derrière leurs aigres trompettes et leurs plats tambours, ils s’en retournent dans leur pays manger des saucisses, et ils croient que c’est fini. Mais attend un peu ! les voilà maintenant militarisés à outrance, et pour longtemps, et sous des maîtres bouffis d’orgueil, qui ne les lâcheront pas. Ils vont avaler toutes les saletés de la gloire. Obligés de se maintenir en face de l’Europe envieuse et inquiète, qui leur préparera des coups de Jarnac, ils en ont pour cinquante ans à être cravachés… Je vois d’ici l’administration de fer et de folie qui va encaserner la société allemande, la pensée allemande…et tout cela pour être écrasés à la fin par une coalition! … »

D’autres « prophéties » de ce genre peuvent sans doute être relevées encore. Mais tout cela n’est pas très convaincant : il est toujours facile de prêter à un texte les intentions qu’il n’a pas et il faut sans doute croire que toutes ces occurrences relèvent plus du mythe que de la réalité. De même a-t-on à tort cherché en Rimbaud ou en Chazal des initiés, familiers des doctrines ésotériques de la Kabbale ou de l’Illuminisme. Mais, comme Etiemble l’avait fait pour Rimbaud, l’on peut affirmer que rien ne nous autorise à écrire que Malcolm de Chazal fut un véritable prophète qui plus est, initié. Par contre, l’on peut s’accorder à reconnaître en lui un aède romantique qui s’emploie à décrypter les choses du monde idéal. Cette attitude me paraît plus sérieuse et sans doute plus en conformité avec la réalité.

Chazal possède cependant quelques caractéristiques propres aux prophètes bibliques. Néanmoins, nous avons vu que la comparaison avec Moïse ou Jean-Baptiste devait être entreprise avec discernement. C’est surtout le caractère ésotérique [151] des visions de Chazal qui posent le plus problème. En effet, son enseignement ne s’adresse pas à la multitude, mais à une petite minorité de « purs » et d’« initiés », auxquels son message est destiné. [152] De ce fait, même si par ailleurs, ses attitudes ainsi que les modalités par lesquelles il révèle, ressemblent à celles des prophètes bibliques, l’origine et la teneur de son message n’en demeurent pas moins suspectes.

III. La poésie : un chemin de redécouverte de l’inspiration sacrée par le profane

La parole prophétique, dont je viens d’exposer les grandes orientations, ainsi que son traitement particulier par Malcolm de Chazal, conduit ma réflexion sur la révélation du monde caché par la parole, vers les rivages de la poésie. Dans la mesure même où ces deux formes de paroles ont l’une et l’autre des points d’attache, à la fois avec la Verbe divin et avec la parole humaine, il me semble important de garder à l’esprit ce qui les différencie. [153]

Du point de vue biblique tout particulièrement, mais aussi dans d’autres traditions à caractère sacré, la parole prophétique est expressément liée à la parole divine. Elle se présente comme une parole directement inspirée et parfois même dictée par Dieu. En conséquence, elle est essentiellement discours de révélation et de commandement. Telle est la caractéristique fondamentale de la parole prophétique. « Cela ne veut pas dire cependant que des prophètes ne puissent se révéler en même temps comme de grands poètes, explique le pasteur René Agnel.[154] La parole poétique, elle aussi, peut être considérée comme sous inspiration, et ceci tout particulièrement encore dans la Bible hébraïque. Cependant, dans la Bible, on la découvre aussi dotée d’une autonomie relative. Le poète, qu’il s’agisse de tel ou tel compositeur de psaume, ou d’un de ceux dont on peut relever des contributions dans le Cantique des cantiques ou dans les discours de Job, ne craint pas de faire montre d’une grande liberté d’expression. Certes, tous ces auteurs puisent dans des fonds qui sont le produit d’œuvres collectives. Mais il n’en reste pas moins les marques manifestes de leur travail personnel d’invention.

Par rapport à la parole du prophète, la parole du poète apparaît donc plus proche de l’expérience et de la sensibilité humaines. Et elle s’affirme comme ayant sa démarche particulière, en prenant ses risques. Tout comme la pensée philosophique et scientifique par rapport à la théologie, la parole poétique à acquis son indépendance ».[155] Cette indépendance, relevée par René Agnel, Malcolm de Chazal semble la revendiquer avec force. Certes, il ne fait pas de doute que le poète est pour lui « un fils de Dieu, [qu’] il est [en outre] l’élu, le désigné, le nommé, le messager ». [156] Pourtant, même s’il demeure « le juste messager du ciel et de la terre » [157], Chazal prend ses distances avec le sacré, dans une sorte de quête de la liberté individuelle. Dans un grand délire mégalomaniaque, le poète se pare de pouvoirs extraordinaires qui font de lui l’égal de Dieu : « le poète peut tout, même l’impossible, déclare-t-il sans ambages dans Le Mauricien du 30 juin 1958. […] Le poète peut tout parce qu’il est à l’image de Dieu ». Cette conception de la poésie peut s’expliquer sans doute par son histoire et la fonction qu’elle exerçait aux heures les plus reculées de l’humanité.

Poésie et mémoire

Selon une hypothèse fort répandue, la poésie des origines ne serait apparue que parce qu’elle aurait été nécessaire à la vie quotidienne en permettant de « faire durer la parole ». [158] Elle était utilisée comme un outil mnémotechnique mais pouvait aussi recevoir d’autres assignations qui revêtaient parfois des formes curieuses comme le Hayn-teny malgache ou les chants amoebées latins. Ces deux conceptions poétiques très proches et en même temps très éloignées culturellement se présentaient comme des sortes de joutes verbales servant à régler les différends de la vie quotidienne. En effet, Virgile, imagine dans les Bucoliques des rencontres de pâtres se défiant dans des tournois d’improvisations poétiques, comme cela se pratiquait réellement en Sicile : un des concurrents abordait un thème de son choix ; son adversaire cherchait à faire mieux que lui en respectant le nombre de vers imposé par le premier. Quant au Hayn-teny de Madagascar, il fonctionnait un peu de la même manière : deux concurrents se faisaient face au milieu d’une assemblée disposée en cercle. Les deux hommes scandaient chacun à leur tour quelques vers qui devenaient de plus en plus longs en fonction de l’avancée de la dispute. Les échanges verbaux étaient ponctués par les manifestations d’encouragement ou d’hostilité de l’auditoire. Le premier des concurrents qui se trouvait déstabilisé par les propos de son adversaire en succombant au silence perdait la partie.[159]

Poésie et magie

Outil ludique ou plus sérieusement moyen permettant de conserver la mémoire, la poésie s’est sans doute mise à exister au départ parce qu’elle était utile à l’homme. Puis, peu à peu, cette utilité toute relative a changé de visage. L’être humain a retenu de cette forme artistique primitive son aspect magique lui permettant de se protéger des contingences de l’existence. La poésie écrite, à l’aube du vingt-et-unième siècle, a perdu semble-t-il toute la dimension occulte qu’elle connaissait autrefois et qui était présente dans chaque geste de la vie quotidienne. C’est à ce genre aujourd’hui oublié que Malcolm de Chazal paraît faire référence dans son œuvre mystique. En effet, l’oralité est trop présente, le « Verbe » trop magnifié, pour que ces références au pouvoir extraordinaire de la parole ne soient que d’heureuses coïncidences. Malcolm de Chazal, en replongeant dans ce passé oublié, exhume ses ascendances familiales les plus obscures, comme l’alchimiste François de Chazal de la Genesté par exemple. Retrouver ses origines les plus anciennes en se souvenant du versant obscur de la parole, de l’autre visage de la poésie, c’est détenir une force surhumaine, une puissance sans limite, que le très romantique Malcolm de Chazal rêve de posséder. Voilà pourquoi il se considère « à l’image de Dieu », capable de tout, même de l’impossible, car il est persuadé qu’il détient quelque chose de l’instrument suprême de Dieu par lequel la Bible prétend qu’il a tout créé [160] et par lequel s’exprime son autorité et sa force. Mais Chazal ne retient de cette parole toute puissante, dans son acception poétique, que sa dimension magique, en occultant pratiquement sa capacité à éclairer la création, en passant sous silence son dynamisme exceptionnel et sa prétention de créer une histoire avec les hommes et pour les hommes en se mêlant à leur vie et à leur destin tant personnel que collectif. Chazal est donc sans doute un occultiste invétéré. Déjà en début de chapitre, j’avais mis l’accent sur le caractère ésotérique de sa forme de prophétisme. C’est précisément cet ésotérisme que l’on retrouve dans ses conceptions poétiques : la poésie est pour lui un instrument d’influences, un déploiement de magie et de sorcellerie accessible à un petit nombre d’initiés. Malcolm de Chazal ne se considère donc pas « à l’image de Dieu » comme l’ensemble de l’humanité. Pour lui, « être à l’image de Dieu », c’est posséder une puissance formidable en détenant quelque chose de la parole divine, qui ne s’exprime et ne se délivre pleinement que dans l’oralité. Cette oralité de la parole poétique est au cœur de notre problème et Chazal ne fait que retrouver secrètement ce que l’humanité avait imaginé alors qu’elle était encore toute pétrie du sommeil glébeux dans lequel son créateur l’avait plongée.

La parole est donc puissante et c’est parce que le poète la détient qu’il possède des pouvoirs surnaturels. En fait, retrouver le caractère oral de la poésie écrite comme le fait Malcolm de Chazal, c’est en quelque sorte redécouvrir sa puissance extraordinaire et se rappeler sa filiation avec la magie. « Par la rigidité de ses contraintes mnémotechniques, la poésie est particulièrement apte à conserver l’intégrité des formules magiques, dont aucune syllabe ne saurait être modifiée » rappelle Jean-Louis Joubert dans son ouvrage intitulé La poésie. Et le mythe d’Orphée, à l’origine de nombreuses rêveries poétiques, donne une illustration de ce merveilleux pouvoir. Or, « Orphée revit en chaque poète. Et tout poème tient sa puissance de séduction des pouvoirs du héros qui séduisit les dieux mêmes ». [161]

Inventer une langue nouvelle

Ainsi, en remontant aux origines magiques de la poésie, il est plus facile de comprendre les dérives que Chazal lui fait subir vers l’hermétisme. En effet, puisqu’elle possède un lien de parenté indéniable avec les forces obscures des ténèbres, le poète doit se protéger du regard naïf des profanes. C’est pourquoi, certains de ses textes se drapent dans le voile de l’obscurité. Chez Malcolm de Chazal, comme chez Arthur Rimbaud, cet hermétisme protecteur est souvent le résultat de la création d’un véritable langage nouveau, dont André Breton donne, dans le merveilleux contre le mystère, une définition tout à fait intéressante. Selon lui, « le nouveau langage tend à se distinguer le plus possible du langage courant, le meilleur moyen qu’il a d’y parvenir étant de faire un sort exubérant à la valeur émotionnelle des mots. Cette vie émotionnelle des mots, très loin de n’être que fonction de leur sens, les dispose à ne se plaire les uns autres et à ne rayonner au-delà du sens que groupés selon des affinités secrètes, qui leur laissent toutes sortes de nouveaux moyens de se combiner ». Rimbaud, dès le printemps 1871 théorise la poétique qu’il veut faire émerger de son expérience littéraire. Comme un romantique, il conçoit le poète comme le dépositaire légitime des aspirations du mythique Prométhée :

« Le poète est un voleur de feu. […] il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ; du reste toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! […] Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant ».

C’est ce langage que Malcolm de Chazal tente de saisir, notamment au détour de certaines pages de Sens Magique. [162] Cette langue nouvelle qui est à l’oeuvre dans Sens magique, mais aussi dans l’ensemble de son œuvre, d’une manière plus ponctuelle, Malcolm de Chazal la commente abondamment dans sa correspondance avec Jean Paulhan :

« Je dois vous dire d’abord qu’on doit faire abstraction des torsions que je fais à la langue, si l’on veut aller au fond même de ma pensée. J’avais des buts à atteindre, les mots m’ont gêné, je les ai froissés, distendus et écrasés sous mes pas. Je suis allé au-delà de la syntaxe dans le Sens-plastique. On pourrait presque dire que je crée une langue nouvelle ». [163]

Cependant, Chazal doute que les autres, hormis Rimbaud, Baudelaire et Nerval peut-être, puissent partager avec lui cette aptitude à inventer une langue. Ne déclare-t-il pas à serge Brindeau qu’il « faudrait brûler » les œuvres de certains littérateurs ? C’est pourquoi il considère ses semblables avec dédain, car il les accuse de ne pas utiliser le pouvoir que leur confère la parole au maximum de ses possibilités. En fait, il semble persuadé d’être le seul sur terre à appartenir à la caste des vrais poètes : « nul poète n’a trouvé un chemin, déclare-t-il dans Petrusmok[164]. Pauvres poètes qui en sont encore à leurs abstractions, de sentimentalité, de subjectivisme sans objet, d’une masturbation de mots, loin de toute essence du verbe ! Même pas un alchimiste parmi eux ! Et la science des correspondances leur est totalement fermée, dans le sens verbal d’action. Et le mythe, ô le mythe, personne ne s’en est encore approché. Rien que la juxtaposition, point de soudure, point d’incarnation d’image. L’écart est si grand entre l’alchimiste et le poète, que le monde de l’occultisme et le monde de la poésie sont comme deux îlots distants. Or l’alchimie et la pierre philosophale ne sont que des étapes vers quelque chose de plus immense : le Très Grand Œuvre. C’est le poète qui le réalisera, cet œuvre ».

En conséquence, à la lumière de cette déclaration péremptoire de Malcolm de Chazal, il est facile de comprendre que le but qu’il cherche à atteindre, est de réunifier et de rétablir l’essence originellement magique de la poésie. C’est pourquoi, la poésie chazalienne rend compte d’une réalité qui ne cesse de confondre poésie et sorcellerie. L’écriture chazalienne de Sens Magique ou de La bouche ne s’endort jamais [165] ressemble souvent à la parole sibylline d’un oracle antique non seulement par l’aspect qu’elle prend mais aussi par le caractère étrange de ses intonations occultes. Comme Yves Bonnefoy le remarquait chez Rimbaud, notamment dans la dernière page d’Une saison en enfer, l’on a par moment l’impression que Malcolm de Chazal, « comme s’il hésitait à tout écrire, […] se « propose parfois [des] message[s] de sibylle ». [166] :

« Le bleu

But

Dans la tasse

Du jaune.

Le lait

Etait le blanc.

La tasse

Vidée de son blanc

Il n’y eut plus

Qu’une tasse

Que le bleu laiteux

Avala. [167]

N’en déplaise à l’ego sur-dimensionné de Malcolm de Chazal, bien des poètes avaient ressenti avant lui cette inclination de l’écriture poétique vers la pensée ésotérique.

Voyances poétiques

Pour accéder à la connaissance du « monde invisible » dont Nerval se voulait le plus fidèle des interprètes, le poète va utiliser les pouvoirs que les dieux lui ont conférés. Même si cette image mythique de l’artiste peut prêter à sourire, force est de constater que dans la plupart des traditions humaines, il existe un être élu, détenteur de la puissance occulte. Qu’il soit prêtre, prophète, poète ou magicien, il fait figure d’intercesseur entre le monde des hommes et celui des éthers célestes.

Et les moyens dont le poète dispose sont fort variés. Malcolm de Chazal n’hésite sans doute pas à les utiliser pour percevoir l’avenir. Nietzsche dans son ouvrage La naissance de la tragédie [168] a mis en évidence deux sources d’inspiration poétiques fondamentales correspondant aux deux divinités de l’art de la Grèce antique, Apollon et Dionysos. Cette formidable opposition nous donne, d’une manière allégorique, les clefs pour comprendre le rôle joué par le poète dans les cultures du monde entier et dans l’oeuvre de Malcolm de Chazal. Apollon et Dionysos représentent deux univers esthétiques antithétiques donnant lieu à deux sortes de voyances poétiques. La première, l’apollinienne, tire son essence du rêve. Lucrèce, l’évoque notamment dans son De rerum natura en affirmant que « c’est en songe que pour la première fois les figures superbes des dieux se présentèrent à l’homme ». Apollon, le dieu de toutes les formes plastiques est aussi le « dieu prophétique ». [169] La racine de son nom le désigne comme la divinité de lumière. C’est pourquoi, la tradition fait du poète l’un de ses héritiers.

A côté de cette première forme de voyance poétique qui prend ses sources dans des expériences naturellement familières à l’humanité, Nietzsche en discerne une seconde de nature différente. Elle prend naissance dans l’ivresse dont le dieu Dionysos est symboliquement à l’origine. Cette seconde forme de voyance poétique implique une certaine volonté de l’artiste de chercher à sonder les contrées secrètes du monde sensible. Elle nécessite donc un certain « travail » et une préméditation des expériences recherchées. Arthur Rimbaud, par exemple, s’est surtout lancé dans cette voie dionysiaque. La vision nécessite donc d’abord une volonté puis une technique à laquelle le poète devra s’exercer pour en tirer un plus large profit. Pour Rimbaud, il s’agissait d’arriver à l’inconnu par « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie, […] [le poète] épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, – et le suprême savant ! – car il arrive à l’inconnu, et, quand affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! ». [170] Malcolm de Chazal ressemble beaucoup à Rimbaud dans son appréhension du genre poétique et dans le rôle qu’il entend faire jouer au poète dans la société. C’est pourquoi, chez l’un comme chez l’autre, le poète est en prise directe avec la tradition immémoriale qui fait de lui un être inspiré. Pour eux, il est l’alter ego du prêtre ou du sorcier des religions primitives.

Il n’existe cependant pas à ma connaissance d’exemple montrant Chazal ayant recours à des moyens hallucinatoires artificiels. [171] Si la transe est chez lui une pratique courante (du moins c’est ce qu’il veut nous faire croire dans Petrusmok notamment), elle est sans doute le résultat d’une ivresse naturelle, beaucoup plus noble et gratifiante que celle qui terrasse les autres poètes ayant « voulu atteindre l’indicible par des mots, et [qui] ont échoué ». [172] C’est que Malcolm de Chazal se place au-dessus de tous les poètes, à quelques rares exceptions près. Il n’accepte qu’une seule et unique concurrence poétique véritablement supérieure à la sienne, celle de Jésus. « Christ en tant que poète, vit la face de Dieu, au-delà des yeux mortels, par perception ». [173] Il considère que seul le Fils de Dieu peut avoir accès à l’indicible comme lui et ce n’est pas un hasard si dans Petrusmok, le chantre persécuté par les Mauriciens apparaît sous les traits du Messie [174] :

Le poète crucifié

Il est né dans une humble demeure, parmi des champs de pierre (ô lapidation ! ô destin !) Au bas du Mont des Oliviers, il vécut toute sa vie. Il fit voir tout jeune encore des aptitudes à la révolte. A l’âge d’homme, on vit en lui un féroce opposant de l’Actuel. Et on le lapida.

[…] Du Mont des Oliviers, il recommença sa campagne. Il avait fait du Jardin Botanique de Curepipe son centre de ralliement.

Et parmi les oiseaux et les fleurs et les arbres, dans la voix du ruisseau, dans les yeux de la rosée, il trouva une nouvelle doctrine.

Un matin d’avril il fut arrêté. […] Près du Bazar Central, on étouffa le Monstre, dans une cagoule, sur une estrade.

L’homme qu’on crut mort, fut jeté alors dans le Caveau d’une Banque, qu’on ferma à triples verrous.

Trois jours s’écoulèrent. Puis un beau matin, on vit que le Pouce avait pris un autre ton, une autre patine, un autre air. Les passants se questionnaient.

Et maintenant il se chuchote que l’Esprit est monté là ».

Nous voilà donc avertis de l’état d’esprit dans lequel se trouve Chazal. De son statut de poète, il puise en grande partie son inspiration prophétique et magique, toujours volontiers tournée vers l’obscurité ésotérique des origines. Même s’il fustige l’inanité de ceux qui ont emprunté les chemins de la poésie, il suit les mêmes voies que ses illustres prédécesseurs. Chazal, comme tous les poètes, est « un homme qui déterre la racine vivante des mythes. Sa pensée qui procède par sympathie symbolique est forcément agitée de turbulences à l’image du chaos qu’elle épouse. Car le chaos est le lieu des genèses ». [175] Et si le mythe est doué d’une forte puissance germinale, parce qu’il est issu d’une parole puissante qui a pour support un récit se situant dans le temps primordial, Malcolm de Chazal l’utilise d’une manière effrénée, soit pour percevoir ce qui est caché, soit pour amener à l’existence ce qui n’est pas encore. C’est sans doute « pour créer la syntaxe de l’énergie [que] l’esprit s’enfonce en plein désordre [afin de] sympathiser avec la force vitale » [176] et Chazal, pourvu de ses attributs poétiques, s’érige tout au long de son œuvre, en « fossoyeurs de tombes mortes [armé] d’une pelle et d’un panier de symboles ».[177]

Conclusion de la première partie

La Lémurie chazalienne est donc le produit d’influences variées : En premier lieu, il faut sans doute reconnaître à Jules Hermann et à Robert-Edward Hart leur influence déterminante sur Malcolm de Chazal car on peut penser légitimement qu’ils sont tous les deux à l’origine de l’invention du mythe lémurien dans la littérature de l’Océan indien. Un anthropologue malgache avec lequel j’ai entretenu une correspondance, le Père Adolphe Razafintsalama, affirme en effet qu’il n’existe nulle part dans les livres autorisés, qu’il s’agisse de l’Histoire de Madagascar, ou des contes et mythes recueillis au cours du XIXème siècle, de traces du mythe de la Lémurie. La Lémurie, selon toute vraisemblance ne serait donc qu’une invention poétique se fondant cependant sur des découvertes géologiques et tectoniques tout à fait sérieuses.

Hermann et Hart ne sont néanmoins pas les seuls à pouvoir revendiquer une contribution à l’inspiration de Malcolm de Chazal. L’apport de l’ésotérisme est en effet lui aussi déterminant, même si certains essayistes la refusent avec vigueur. [178] En effet, tout un courant de pensée occulte a fait de la Lémurie un continent fantasmatique dans lequel il pouvait situer géographiquement des lieux mythiques et symboliques comme le Paradis terrestre par exemple. Chazal, prédisposé par sa famille à fréquenter les milieux ésotériques, a semble-t-il trouvé chez eux la toile de fond nécessaire à la théâtralisation extrême de ses fantasmes lémuriens. Petrusmok se différencie des textes de Hart et de Hermann justement par l’image de testament prophétique qu’il veut se donner. Petrusmok n’est ni l’oeuvre d’un rêveur comme celle de Hart, ni celle d’un pseudo-scientifique comme celle de Hermann. Elle est l’oeuvre d’un poète et d’un prophète qui ne se revendique que de Dieu même s’il fonde sa relation avec la divinité sur des bases ésotériques éloignées des aspirations exotériques testamentaires. Là est sans doute l’originalité de cette œuvre complexe.

Influences ne veut pas dire plagiat. Retrouver les sources possibles de ce thème des origines et relever les ressemblances avec tel ou tel courant de pensée littéraire ou philosophique, c’est sans doute comprendre, ou tout au moins, éclairer le système chazalien. Mais ces points de contact entre les différents univers que j’ai été conduits à confronter ne doivent pas masquer de leur présence la formidable puissance de création de Malcolm de Chazal. S’il s’inspire des autres, comme le ferait n’importe quel artiste, c’est pour mieux créer, en s’efforçant d’approcher au plus près la Vérité qu’il perçoit, en visionnaire, derrière les choses. Dans cette perspective, je pense qu’il est dès lors possible de comprendre la position fort curieuse de Laurent Beaufils que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer précédemment: [179]

« La Rose-Croix, la théosophie et, de manière générale, les ressources de l’ésotérisme ont été à maintes reprises appelées à la rescousse lorsqu’il a fallu trouver des repères auxquels harnacher le message de Sens Plastique II. Mais cette locomotive furieuse n’a rien du wagon suiveur. […] Curieux occultiste d’ailleurs que Chazal, qui ne cache rien, ni sa méthode, ni ses idées, ni ses écrits, et qui surtout n’a pas le moindre sens de la confrérie, ni de la tradition »

Beaufils semble ici tempérer l’importance des influences ésotériques subies par l’œuvre chazalienne, influences qui paraissent aujourd’hui indéniables : tous les spécialistes s’accordent entre-eux pour l’affirmer que ce soient Camille de Rauville [180] , Jean-Louis Joubert [181] ou Bernard Lecherbonnier, lequel rappelle dans son ouvrage Surréalisme et francophonie, les réactions des éminents Breton, Paulhan et Bataille, surpris et suspicieux quant aux fréquentations intellectuelles de Chazal. Enfin, signalons la position très nette de Vincent Noël prise dans un article publié dans un ouvrage récent qui corrobore parfaitement le résultat de mes propres recherches : « […] Beaucoup de critiques, écrit-il, ont tenté de rapprocher ses pensées à celles de Swedenborg, à la théosophie et à l’occultisme. J’estime qu’il n’est pas raisonnable de mettre de côté les parallèles qui existent entre ces philosophies et la pensée de Chazal. […] Mais nier les racines swedenborgiennes de Malcolm de Chazal, ce serait comme dire que le Christ n’était pas juif ». [182] Or, si Laurent Beaufils dénonce la réalité de ces influences ésotériques, c’est sans doute pour mieux mettre en évidence l’originalité de l’œuvre chazalienne : en refusant « d’harnacher » Chazal à quelque chapelle que ce soit, il entend montrer à ses lecteurs la profonde nouveauté du message que le poète nous adresse depuis les antipodes dans lesquelles il se réalise. Cette étonnante originalité, je ne me permettrai pas ici de la réfuter, bien au contraire, et si j’ai exploré, dans cette première partie, quelques courants de pensée ayant pu être à l’origine du message chazalien, c’est pour mieux en comprendre les rouages et en appréhender la grande originalité.

Quant à Petrusmok, il n’est sans doute qu’un préambule, qu’une écriture mythique et fictionnelle d’un moment de l’histoire de l’univers [183] qui préfigure l’ensemble de son œuvre. C’est cet ouvrage qui jette les bases d’une cosmogonie d’ensemble, immensément plus vaste que celle qui ne s’intéresse qu’aux contours d’une petite île perdue au milieu de l’océan. Petrusmok est une porte, une ouverture béante sur la question métaphysique des origines, et Chazal, en l’ouvrant, n’imaginait sans doute pas qu’une seule vie et qu’une seule œuvre, fût-elle monumentale, suffirait à y répondre.

Table des matières

Préface……………………………………………………………………………………………… 9

Prologue………………………………………………………………………………………… 15

Première partie : Aux origines de la cosmogonie chazalienne : l’ombre du continent lémurien 21

I Malcolm de Chazal : formation et influences…………….. 23

I. Les débuts littéraires………………………………………………………………. 23

II. La gloire parisienne………………………………………………………………. 26

III. Chazal et le monde de l’occulte…………………………………………… 32

Une lourde histoire familiale marquée par le mysticisme – 33 – Rose-Croix, Alchimie – 40 –

II Malcolm de Chazal et le continent lémurien…………….. 47

I. La légende « officielle » :……………………………………………………….. 47

1. Jules Hermann………………………………………………………………………… 47

Hermann et la Lémurie – 48 – Lémurie et géologie – 49 – De l’observation à la révélation – 51 –

2. Robert-Edward Hart………………………………………………………………… 53

II. En marge de la « légende officielle »……………………………………. 57

1. Artaud et les Tarahumaras………………………………………………………… 57

Une redécouverte des origines – 57 – Rites des peuples lointains – 58 – Intertextualité – 58 – L’Homme dans la pierre – 59 –

2. La Lémurie et l’occultisme………………………………………………………… 61

Continents engloutis et ésotérisme – 62 –

III Une inspiration sans limite……………………………………………….. 69

I. Inspirations profanes……………………………………………………………… 69

Destin, inconscient, futur -70 – Astrologie – 73 – La Divination des montagnes – 75 – Swedenborg et les correspondances – 76 –

II. Inspirations sacrées………………………………………………………………. 83

Malcolm de Chazal et le prophétisme dans l’Ancien Testament – 83 – Malcolm de Chazal et le prophétisme dans le Nouveau Testament – 89

Prédictions et réalisations – 92 –

III. La poésie : un chemin de redécouverte de l’inspiration sacrée par le profane 95

Poésie et mémoire – 97 – Poésie et magie – 98 – Inventer une langue nouvelle – 99 – Voyances poétiques – 102 –

Conclusion de la première partie…………………………………. 107[1] Frédéric Parcheminier, le seul des auteurs cités à ne pas être connu par le grand public, est un poète français né à Neuilly-sur-Seine en 1940. Il débute sa carrière dès l’âge de cinq ans, remarqué très tôt par un ami de son père qui voit en lui un futur très grand de la poésie du Xxème siècle. Il entreprend de brillantes études de philosophie et se fait remarquer par ses professeurs Jacques Derrida et Mickaël Dufresne, lequel deviendra son directeur de thèse. Gallimard s’intéresse de près à sa poésie : Raymond Queneau, le directeur de la NRF, lui propose une publication et Pierre Emmanuel est pressenti pour en rédiger la préface. Cependant, à l’âge de 25 ans, il sombre dans la folie avant que son premier recueil, Le carreau de cinq lieues, vît le jour. Il le publiera en 1992, avec près de trente ans de retard aux éditions Samuel Tastet. Un mémoire de Maîtrise (L’espace et le temps dans l’œuvre de Frédéric Parcheminier, Université Paris XIII)et une monographie de DEA, rédigés par moi-même sous la direction de Monsieur Jean-Louis Joubert (Le langage poétique dans l’œuvre de Frédéric Parcheminier, Université Paris XIII) tentent de réhabiliter la mémoire de ce poète injustement méconnu.

[2] CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, pp. 6 et 7.

[3] CHAZAL, Malcolm de. Préface de Petrusmok, Port-Louis, La table ovale, 1979.

[4] CHAZAL, Malcolm de. Correspondances avec Jean Paulhan, pp. 79 et 80.

[5] PAULHAN, Jean. Préface de Sens plastique (reprise de l’article du Figaro littéraire du 11 octobre 1947), Paris, Gallimard, 1985.

[6] CHAZAL, Malcolm de. Sens plastique, p. 67.

[7] Cf VIOLET, Bernard. L’ombre d’une île, Malcolm de Chazal, p. 35.

« Rimbaud, lui, a été arrêté par les mots. C’est son drame. Il s’est enfui parce qu’il savait bien que par les mots, il n’arriverait pas à une essence des choses. Puis à côté de cela, la grosse erreur de Rimbaud, c’est sa vie, sa pédérastie, son alcoolisme. C’était stupide de croire que l’on peut arriver à la Connaissance par le dérèglement des sens ».

[8] LECHERBONNIER, Bernard. Surréalisme et francophonie, Paris, Publisud, 1992, 409p.

[9] « Un certain nombre d’œuvres longtemps étouffées reviennent et revendiquent, qu’il le sache ou non, par sa voix [celle de Chazal]. On a observé justement que celle qui primait dans le chœur toutes les autres était celle de Swedenborg, que Balzac et Baudelaire avaient entendue » (BRETON, André. La clé des champs, p. 157).

[10] « Les hommes ont tantôt appelé Kabbale ou science secrète, tantôt théosophie ou occultisme, cette sorte de science qui tient […] que le monde entier est vif, […] que le visible n’est que le reflet d’un invisible. […] Malcolm de Chazal est donc un occultiste ». (Préface de Sens plastique, p. 14).

[11] CHAZAL, Malcolm de. « .qu’est-ce que Sens Plastique ?, in La vie derrière les choses, p. 71.

Malcolm de Chazal se révèle par ailleurs très critique au sujet de la science : « Le labeur de Sisyphe est un labeur de Témoignage Testamentique, ouvrant le sens intérieur de la Genèse et annonçant une Apocalypse de Religion Panthéistique, Symbolique et Vivante, que la magie noire de la science a rendu nécessaire, et que les Saint Thomas par toute la Terre réclament à grands cris. […] La pierre est le témoin d’un Nouvel Age, témoin d’une Vérité Eternelle, dans un monde où la science a perforé la matière, et cherche une vérité d’accaparement au sein de l’insaisissable Mythe du Vivant. La Révélation de la Pierre est nécessaire aux temps actuels, afin d’endiguer le flot du matérialisme scientifique et humain ». (CHAZAL, Malcolm de. Le rocher de Sisyphe, p. 11 et 12).

[12] La grande idée de Chazal consiste à considérer l’être humain comme le responsable de la division de l’Un primordial. Cette désunion désastreuse a, selon lui, créé notre univers sensible en perpétuelle expansion.

[13] La genèse de la découverte de François de Chazal de la Genesté est racontée en détail par le poète dans ses entretiens avec Bernard Violet. (pp. 23 et ss).

[14] CHAZAL, Malcolm de. Correspondances avec Jean Paulhan, pp. 22-56.

[15] Emmanuel Swedenborg était un théosophe suédois né à Stockholm en 1688 et mort à Londres en 1772. A la suite de visions extraordinaires qu’il aurait eues en 1743 et dont il fait le récit dans les Arcanes célestes, il développa une doctrine, dite de la Nouvelle Jérusalem, qui enseigne que tout a un sens spirituel, dont Dieu seul a connaissance.

[16] Jean-François Mayer est l’auteur d’une thèse de doctorat de troisième cycle sur la Nouvelle Eglise de Lausanne et le mouvement swedenborgien en Suisse Romande des origines à 1948, soutenue en 1984 à l’université de Lyon II. (MAYER, Jean-François. La Nouvelle Eglise de Lausanne et le mouvement swedenborgien en Suisse romande des origines à 1948, Zurich, Swedenborg Verlag Zurich, 1984, 305p.).

[17] MAYER, Jean-François. La Nouvelle Eglise de Lausanne et le mouvement swedenborgien en Suisse Romande des origines à 1948, p. 26.

[18] Edmond de Chazal fit don d’importantes sommes à Le Boys des Guays pour financer ses publications.

[19] Mayer note que « les coûts d’impression [étant] extrêmement élevés, Edmond de Chazal n’avait cessé de combler les déficit avec ses propres deniers ». (MAYER, Jean-François. op. cit., p. 26.).

[20] « De l’usage des viandes et du jeûne » (1859), « Discussion sur la Nouvelle Jérusalem » (1860) etc.

[21] CHAZAL, Edmond de. Réponse au révérend père Rebreyand S. J, in La Femme Samaritaine, instructions données à la Pâque du 5 avril 1874, Maurice, imprimerie du commercial Gazette, 1874, p. 3 à 5.

[22] MAYER, Jean-François. op. cit., p. 26.

[23] GALLAND, Maurice. Messager, octobre 1927, p. 284, cité par Jean-François Mayer, op. cit., p. 27.

[24] Pierre de Chazal « entra en contact avec le petit groupe qui se réunissait dans les salons de M. Byse pour étudier Swedenborg et il n’eut de repos qu’il n’ait convaincu chacun de la nécessité d’organiser des cultes et […] une société culturelle distincte ». (Rapport d’activité N.E.L, 1941-1942, cité par Jean-François Mayer op. cit., p. 68).

[25] Erik Sablé relate ces événements dans son Dictionnaire des Rose-Croix (SABLE, Erik, Dictionnaire des Rose-Croix, Paris, Dervy, 1996, p.50 et 51). Quant à Malcolm, il raconte la même chose dans Petrusmok.

[26] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, pp. 22 et 23.

[27] VIOLET, Bernard. L’ombre d’une île, Malcolm de Chazal, p. 23 et 24.

[28] VIOLET, Bernard. L’ombre d’une île, Malcolm de Chazal, p. 25.

[29] BEAUFILS, Laurent. Malcolm de Chazal, pp. 16 et 17.

[30] Jules Hermann (1846 – 1924) fut avocat et notaire. Il fut en outre, maire de Saint Pierre, président du conseil général et président honoraire de l’académie de la Réunion.

[31] JOUBERT, Jean-Louis. Littérature de l’Océan Indien, Paris, Edicef / Aupelf, 1990, p. 145.

[32] PROSPER, Jean-Georges. Histoire de la littérature mauricienne de langue française, Port-Louis, Editions de l’Océan Indien, 1978, p.210.

[33] Seul le tome II des Révélations du Grand Océan est encore disponible à la Bibliothèque Nationale de France. Mais, depuis peu, l’ouvrage d’Hermann est à nouveau disponible puisqu’il vient d’être réédité par les éditions « Grand Océan », à la Réunion.

[34] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 19 et 20.

[35] Blandford lui donne le nom de Gondwana.

[36] Le permien est la dernière période de l’ère primaire. L’histoire de la Lémurie scientifique rejoint celle de la Lémurie chazalienne. En effet, aux dires de Chazal, un « géologue belge, Jean de la Vallée-Poussin, découvrit lors d’un de ses voyages à l’île Maurice, dans des strates à la Rivière La Chaux à Mahébourg et sur les côtes de Flacq sous des masses basaltiques, une formation granitique de l’époque première, dénotant l’origine préhistorique de l’île Maurice ». (CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 24).

[37] Selon Hermann, Geoffroy Saint-Hilaire serait le précurseur des recherches scientifiques sur la Lémurie et aurait inspiré Slater, Blandford et Haeckel.

[38] HERMANN, Jules. Les révélations du Grand Océan, p.6 et 7.

[39] « Geoffroy Saint-Hilaire, le premier, vit [dans les découvertes biologiques faites à Madagascar] l’indice d’un continent disparu, et tous depuis d’accepter l’hypothèse comme justifiée. Quand les théories évolutives de Lamarck avec Darwin, battirent leur plein, Ernest Haeckel y vit le berceau du genre humain et le point de départ de la dispersion des races. « Depuis que la vie humaine existe sur la surface de la Terre, [affirme Geoffroy Saint-Hilaire dans son ouvrage Histoire de la Création (C. Reinwald, Paris, 1874) ], c’est-à-dire depuis tant de millions d’années, la terre et la mer se sont perpétuellement disputés la souveraineté. Des continents et des îles ont été engloutis sous les flots, d’autres en ont surgi… A la place de la mer des Indes était un continent s’étendant le long de l’Asie méridionale, de l’Afrique et de la Malaisie. Ce vaste et ancien continent a été appelé Lémuria par l’anglais s(c)later, d’après les makes qui caractérisent sa faune. Son existence est d’un grand intérêt. C’est là que vraisemblablement fut le berceau du genre humain. C’est là que très probablement l’homme se dégagea de la forme simiesque anthropoïde ». (HERMANN, Jules. Les révélations du Grand Océan, tome II, 1927, p. 21).Il est à noter par ailleurs que le Tarsier, un lémurien de la taille d’un rat, est considéré par les spécialistes comme présentant les caractères anatomiques les plus frappants permettant de le mettre en relation avec le phylum des anthropoïdes.

[40] HERMANN, Jules. Les révélations du Grand Océan, p. 68 et 69.

[41] Les Andes sont postérieures à l’ère primaire.

[42] HERMANN, Jules. Les révélations du Grand Océan, p. 69.

[43] On retrouve la trace de ce continent perdu dans de nombreux manuels scolaires des années 1920. Fallex et Mairey, par exemple, évoquent le souvenir d’un ancien continent austral, le continent de Gondwana, « allant du Brésil à l’Australie par l’Afrique et l’Inde », séparé des terres du nord « par une mer parallèle à l’équateur ». (FALLEX, M et MAIREY, A. Notions générales de géographie physique et de géographie humaine, Paris, Librairie Delagrave, 1923, p.34 et 35).

[44] Un peu plus loin dans son étude, Hermann constate que « le travail effectué par l’homme pour la transformation de la roche s’est fait d’une façon qui ne [lui] fait pas reconnaître le travail moderne par le fer. L’homme de cette région et de cette époque a donc connu en statutaire des moyens de travail bien plus puissants que ceux que nous apporte notre métallurgie actuelle. On dirait qu’il a amolli et façonné le basalte comme le statutaire moderne pétrit sa pâtée de plâtre. Pour les travaux de petites dimension, la pierre était le plus souvent fendue par la percussion, superposée et soudée par un mortier que nous ne voyons pas ». (HERMANN, Jules. op. cit., p. 175).

[45] HERMANN, Jules. Les Révélations du Grand Océan, p. 264.

Loin des rêveries astrologiques hermaniennes, il existe à Madagascar, un massif montagneux extrêmement curieux dont le sommet est difficilement accessible et dont le plateau terminal ne peut être parcouru qu’avec de grandes difficultés, en raison du caractère coupant de la roche qui semble avoir été taillée, de manière à former un tapis acéré de lances pointées vers le ciel.

[46] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 20.

[47]HART, Robert-Edward. « La joie du monde », Le cycle Pierre Flandre, p. 17 et 18.

[48] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras in Œuvres complètes tome IX, Paris, Gallimard, 1971, p. 15.

[49] « Les indiens dansent des danses de fleurs » (ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p.90).

[50] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 5.

[51] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 16.

[52] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 82 et 83.

[53] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 33.

[54] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 29.

[55] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 46.

[56] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 20.

[57] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 45.

[58] CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 13 et 14.

[59] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 45.

[60]ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 45. Jules Hermann constate le même phénomène : « […] Les montagnes de Port-Louis formaient un écran noir sur l’aube qui blanchissait de plus en plus à l’orient. […] Du pic à tête humaine de Pieter-Both jusqu’au cône du Pouce et jusqu’à la courbure du Mont Ory, la ligne faîtière du massif, sur un plan presque horizontal, ressortait d’abord, en formes suivies comme des signes algébriques ou astronomiques, comme des hiéroglyphes d’une écriture indienne. […] Ici, tout semblait travaillé pour produire un effet. […] Il est réellement étonnant que les particularités de la nature mauricienne n’aient pas frappé jusqu’ici les voyageurs ». (HERMANN, Jules. Les révélations du Grand Océan, p. 263 à 276).

[61] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 46.

Ces « statues humaines tronçonnées » ressemblent aux statues géantes de l’île de Pâque et aux statues-ménhirs du deuxième millénaire, que l’on peut rencontrer sur les Monts de Lacaune, en Languedoc.

[62] Jules Hermann a lui aussi le sentiment de se trouver en face de sculptures minérales dont l’origine n’est pas naturelle : «[ces grandes tranchées] ont été volontairement taillées ! Par quels moyens, nous le devinerons un jour, il faut l’espérer. Pour l’heure, contentons-nous de constater qu’elles ont été faites et voulues ». (HERMANN, Jules. Les révélations du Grand Océan, p. 177).

[63] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 48.

[64] BEAUFILS, Laurent. Malcolm de Chazal, Paris, La Différence, 1995, p. 64.

« La Rose-Croix, la théosophie et, de manière générale, les ressources de l’ésotérisme ont été à maintes reprises appelées à la rescousse lorsqu’il a fallu trouver des repères auxquels harnacher le message de Sens-Plastique II. Mais cette locomotive furieuse n’a rien du wagon suiveur. […] Curieux occultiste d’ailleurs que Chazal, qui ne cache rien, ni sa méthode, ni ses idées, ni ses écrits, et qui surtout n’a pas le moindre sens de la confrérie, ni de la tradition ».

[65] Malcolm de Chazal cache beaucoup de choses, dans Petrusmok notamment, un livre qui nécessite une lecture à plusieurs niveaux attentive, tant les références à l’ésotérisme sont nombreuses.

[66] ARTAUD, Antonin. Les Tarahumaras, p. 88.

[67] Ses « hypothèses de travail » font montre d’une propension particulière à la fantaisie.

[68] CERVE, Wishar. La Lémurie, continent perdu du Pacifique, Villeneuve-Saint-Georges, éditions rosicruciennes, 1976. Les révélations de Cervé corroborent sans ambiguïté les observations qu’Antonin Artaud a pu faire dans le pays des Tarahumaras : « [Des édifices de pierre] ont été exhumés dans des parties de l’Amérique centrale, en Californie et dans certaines parties du Névada. […] La découverte de nombreuses sculptures étranges, de curieuses pièces de bois, de spécimens d’étranges poteries ouvragées en perles, et d’outils agricoles typiques seulement de quelques îles de l’Océanie qui sont les vestiges de la Lémurie perdue, livre une preuve concluante du fait que les anciens lémuriens étaient en contact et en communication avec les rivages de l’Amérique du Nord avant l’immersion du continent ». (CERVE, Wishar. La Lémurie, continent perdu du Pacifique, p. 66).

[69] CERVE, Wishar. La Lémurie, continent perdu du Pacifique, p. 148.

[70] Cette anecdote est racontée conjointement par Wishar Cervé et Roy Stemman dans son ouvrage l’Atlantide et les continents perdus. (STEMMAN, Roy. L’Atlantide et les continents perdus, Paris, Le livre de Paris / Hachette, 1980, p. 85).

[71] STEMMAN, Roy. L’Atlantide et les continents disparus, p. 85.

[72] De nombreux ouvrages ésotériques comme La cosmogonie des rose-croix de Heindel ou L’ABC illustré d’occultisme de Papus se fondent sur des théories scientifiques qui avaient cours au milieu du XIXème siècle mais qui aujourd’hui sont largement dépassées. (Elles ont permis en leur temps cependant de faire avancer la science). Il est donc insupportable de lire dans ces ouvrages réédités récemment (1995 et 1991) des développements fantasques et même dangereux (notamment sur la question des races et de leur hiérarchie, théorie battue en brèche par tous les anthropologues sérieux qui considèrent aujourd’hui que les races n’existent pas) qui trouvent leur fondement dans des théories bien antérieures par exemple à la dérive des continents de Wegener (1912).

[73] HEINDEL, Max. Cosmogonie des Rose-Croix, Paris, Saint Michel éditions, 15ème édition, 1991, p. 261 à 303.

[74] HEINDEL, Max. Cosmogonie des Rose-Croix, p. 279.

[75] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 136 et 137.

[76] HEINDEL, Max. Cosmogonie des Rose-Croix, pp. 275-276.

[77] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 191.

[78] JOUBERT, Jean-Louis. Pour une exploration de la Lémurie. Une mythologie littéraire de l’océan indien, tome III, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1976, pp. 52 et 53.

[79] CHAZAL, Malcolm de. (Citation de Sarane Alexandrian), Préface à Ma révolution, p. 45.

[80] D’autres textes sont moins catégoriques : ils laissent la possibilité à l’homme de sortir de sa condition funeste par ses propres forces. Le lecteur pourra se reporter à ce propos au chapitre IV et aux paragraphes qui traitent de la question de l’Eros et de l’Agapè.

[81] « Le Fatum est sur le monde » écrit-il en effet dans Le Rocher de Sisyphe. (CHAZAL, Malcolm de. Le rocher de Sisyphe, p. 71).

[82] LEEUW, G. Van der. La religion dans son essence et ses manifestations, Paris, Payot, 1948, p. 57.

[83] « Par l’esprit, on va à Dieu ». (Arthur Rimbaud, « L’impossible »).

[84] CHAZAL, Malcolm de. Préface de Pensées et Sens Plastique, in La vie derrière les choses, Paris, La Différence, 1985, p. 73.

[85] CHAZAL, Malcolm de. Préface de Pensées et Sens Plastique, in la vie derrière les choses, p. 71.

[86] CHAZAL, Malcolm de. Postface de Sens Plastique, p. 313 et 314.

[87] CHAZAL, Malcolm de. Les Dieux ou les consciences-Univers, Port-Louis, Esclapon Ltd, 1954, p. 40.

[88] « Mais tout est sous influence des astres, influence qui ne se limite pas à notre seul noyau solaire. Et si la forme des plantes et des bêtes se reflète là-haut, l’atome, ce plus infime de la vie, doit refléter les grandes images mythiques solaires là-haut, faites d’autres soleils que de notre globe illuminé ». (CHAZAL, Malcolm de. La clef du cosmos, Toulouse, L’Ether vague, 1994, p. 15).

[89] CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 12.

[90] CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 12.

[91] LEEUW, G. Van der. La religion dans son essence et ses manifestations, p. 55.

[92] Ibid.

[93] CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p 13 à 15.

[94] CHAZAL, Malcolm de. La clef du cosmos, p. 7.

[95] CHAZAL, Malcolm de. La clef du cosmos, p. 36.

[96] Malcolm de Chazal refuse d’admettre que son œuvre ait pu recevoir des influences extérieures, de Swedenborg ou de quiconque : « Non, cher ami, écrit-il à Paulhan, on ne trouvera pas d’influences de base à mon œuvre. J’ai conçu, j’ai reçu ce message, seul en moi-même au-delà des terres d’ici-bas, l’esprit sain, le corps sain, l’âme saine, le cœur sain, j’ai été guidé, je me suis laissé mener ». (CHAZAL, Malcolm de. Correspondance avec Jean Paulhan, p. 56).

[97] LECHERBONNIER, Bernard. Surréalisme et francophonie, p. 334.

Je me permets de nuancer les propos de Bernard Lecherbonnier en ce qui concerne l’oeuvre de Chazal postérieure à Sens Plastique : S’il est vrai que certains ouvrages sont redondants, ils ne le sont pas tous. Petrusmok, par exemple, est d’une grande originalité.

[98] « La méthode de Swedenborg pour obtenir des visions était très particulière. […] Il était coutumier du déliquium, état cataleptique qui le faisait tomber en avant, face contre terre, et perdre parfois connaissance. Il se livrait quotidiennement aux « visions représentatives », les yeux ouverts. […] En développant mystiquement cette vue intérieure, on pénétrait jusqu’à l’invisible. Afin d’accroître ce pouvoir, Swedenborg pratiquait la suspension respiratoire, en fonction de sa théorie des relations entre le cerveau et les poumons. […] Lorsqu’il conversait avec les anges, Swedenborg s’efforçait de rester le plus longtemps possible sans aucun mouvement respiratoire. Ses évanouissements, ses déliquia, comme il disait, venaient justement de ce qu’il retenait parfois son souffle à l’excès ». (ALEXANDRIAN, Sarane. Histoire de la philosophie occulte, p. 291).

[99] SWEDENBORG, Emmanuel. Le livre des rêves, Paris, l’Autre rive, Berg international, 1985, pp. 51 à 52.

[100] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 471.

[101] Chazal utilise cette technique dans Petrusmok : « En me retournant dans mon lit, après un premier sommeil « entre deux eaux », j’ai vu, en passant de gauche à droite sur ma couche, en face de moi, à mi-hauteur de ma chambre, une MAIN (était-ce une main gauche de femme ou d’homme, je ne puis dire, mais elle me sembla plutôt d’un homme, et qui ne se présentait que du poignet, et qui était en geste d’arrêt, paume plate et doigts relevés). Etait-elle là pour dire : « il n’est pas encore temps », à quelque Hasard, à quelque prémonition ? La main avait la paume vers l’occident. Quel est ce signe ? Quel est ce geste d’arrêt, comme un gendarme stoppant la circulation de ma vie ?… » (CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 473).

[102] La précision du détail est particulièrement perceptible dans cet extrait de Petrusmok où Malcolm de Chazal rencontre, en transe, des êtres fantastiques : « Et dans la lueur pourpre de la cave, quand ces êtres parlèrent, ils me parurent grenat, et se grenatisèrent encore plus avec les mots immondes qui leur venaient aux lèvres, si bien qu’ils devinrent bleu-sang vers la fin, sang pourpre, puis bleu-d’abîme et enfin noir comme du jais. Le mal marche toujours ainsi au noir, sa couleur-essence [cette image des mots immondestendant vers le noir, semble avoir été empruntée au symbolisme swedenborgien : Dans le Livre des rêves en effet, Swedenborg évoque une pensée « qui devient d’un rouge de plus en plus rosé, clarté qui signifie qu’en cela réside la grâce de Dieu »], et quand les dernières paroles tombèrent de la bouche de ces êtres, ils ne furent plus vus. Ils avaient été dévorés par l’érèbe. Cloisonnés et fondus dans la roche, ils avaient disparu tout bonnement dans leur berceau et leur paradis ». (CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 96).

[103] Chazal refuse qu’on applique à sa méthode le qualificatif de « scientifique » : « Mon message est antiscientifique, antilogique : c’est de l’extra-pensée pure ». (CHAZAL, Malcolm de. Correspondance avec Jean Paulhan, p. 23). Cependant, si je l’emploie, c’est pour insister sur le caractère réfléchi et non spontané de la transe chazalienne.

[104] DAVY, Marie-Madeleine. Encyclopédie des mystiques, tome II, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1995.

[105] CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 16.

[106] DAVY, Marie-Madeleine. Encyclopédie des mystiques, p. 360.

[107] CORSETTI, Jean-Paul. Histoire de l’ésotérisme et des sciences occultes, Paris, Larousse, 1992, p. 66.

[108] ALEXANDRIAN, Sarane. Histoire de la philosophie occulte, p. 290.

Il est à noter que la théorie du Très Grand Homme est fondamentale pour tous les alchimistes. Il n’est donc pas étonnant de retrouver le thème du Très Grand Homme chez Malcolm de Chazal.

[109]SWEDENBORG, Emmanuel. Traité des représentations et des correspondances, traduction par Le Boys des Guays, Paris, Minot, 1857, cité par Bernard Lecherbonnier in Surréalisme et francophonie.

[110] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 155 à 161.

[111] De nombreux autres textes chazaliens portent la trace de la théorie des correspondances comme cet extrait d’une des lettres adressée par le poète à Jean Paulhan : «La chose la plus étourdissante dans Sens plastique II […] est le symbolisme que j’établis entre toutes les parties du corps humain, les correspondances que je dégage au sein de cet univers, comme je fais les analogies dans la nature et au sein des éléments. En un mot, je dégage du cosmos du corps humain des terres de vérités, comme un Colomb de l’esprit partant à la découverte des terres vierges. L’index n’est plus pour moi un doigt, mais une terre d’infini vastitude de symboles, se raccordant par échanges de symbolismes avec les autres galaxies du corps humain. […] Dans le monde fermé du corps humain, je mets tout l’univers de la Création en Correspondances infinies et tout le ciel du corps en analogies interchangeables, et partant de là enfin, comme d’un tremplin, je cherche à prospecter l’Univers spirituel âmatique, infiniment plus vaste que le cosmos d’ici-bas, comme l’âme transcende le corps ». (CHAZAL, Malcolm de. Correspondance avec Jean Paulhan, p. 20 et 21).

[112] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 94.

[113] « Dieu était parmi les hommes, par des porte-voix, par des tuyaux acoustique de sa pensée ». (CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 214).Cf. MONLOUBOU, L. Les prophètes de l’Ancien Testament, Cahier Evangile n° 43, Paris, Cerf, 1975.

[114] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 143.

[115] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 147.

[116] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 161.

[117] Il me semble important de mentionner ici une déclaration de Malcolm de Chazal, tirée de son autobiographie « intellectuelle » Sens Unique, dans laquelle le caractère sacré de sa mission apparaît sans ambiguïté, que ce soit dans le domaine poétique ou pictural : « J’humanise tout par mon pinceau. Mon poisson, ma fleur, j’en ai fait des expressions personnelles. Dieu ne les a pas créés. Mais si Dieu n’existait pas, tout ce que j’ai créé, toutes ces humanisations n’existeraient pas. Car ce que je fais, c’est Dieu qui le fait en moi. Je suis un inspiré ». (CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 22).

[118] CHAZAL, Malcolm de. Ma révolution, p. 66.

[119] La « gnose chazalienne » sera envisagé et étudié dans le chapitre V : Malcolm de Chazal et la tentation de la gnose.

[120] LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, article prophète, p. 1046.

[121] Une déclaration de Malcolm de Chazal à Camille de Rauville me paraît particulièrement instructive en ce qui concerne les dons médiumniques que le poète est persuadé de posséder : « Ne me demandez pas de révélations sur la gestation de ma pensée et de mon œuvre. J’ai des pouvoirs magiques que je garde secrets, ainsi que la communication avec la Divinité ». (Déclaration du 25 avril 1971 à Camille de Rauville, in Chazal des antipodes, p. 36).

[122] « Nouveau Moïse à qui il s’apparie fortement, son Décalogue est étayé des arcanes et des contreforts de ses visions brutes. (RAUVILLE, Camille de. Chazal des antipodes, p. 33 et 34).

[123] LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, p. 1047.

[124] Samuël 10, 5.

[125] Ce mot paraît venir de Phénicie ou de Syrie. Il désignait primitivement des exaltés dont les messages avaient une forme orale. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du huitième siècle avant notre ère que l’on trouve des prophètes écrivains, à l’inspiration beaucoup plus calme.

[126] LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, p. 1047.

[127] Ibid.

[128] LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, p. 1047.

[129] MONLOUBOU, L. Les prophètes de l’Ancien Testament, p. 12.

Monloubou explique que « les prophètes pouvaient par exemple lire l’avenir en écoutant le bruit d’un feuillage en mouvement (Juges 4, 4 ; Juges 9, 37 ; Genèse 12, 6). D’autres consultaient leur bâton (Os 4, 12), la disposition des flèches dans un carquois vivement agité, les mouvements et l’aspect des entrailles d’une victime fraîchement immolée, le mouvement et la forme des nuages (Nombres 23, 1-6), l’observation des astres et des animaux, la nécromancie (1 S 28, 3-19) etc. ».

[130] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 230.

[131] L’orthographe de son nom subit parfois dans tel ou tel ouvrage de Chazal de légères modifications. L’on peut trouver en effet des évocations de « Hoderer » ou de « Hodeger ».

[132] Hoerbiger imagine que la Terre possédait jadis deux satellites naturels. La seconde lune étant sortie de son orbite tomba sur la planète et sa chute provoqua le cataclysme qui engloutit la Lémurie.

[133] CHAZAL, Malcolm de. Le rocher de Sisyphe, p. 68.

[134] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 245.

[135] Sur ce sujet, le lecteur pourra se rapporter à l’article « Magie » du dictionnaire théologique de Léon-Dufour : LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, p. 692.

[136] Ezéchiel 3, 14.

Dans J 20, 7-9, le prophète Jérémie est lui aussi contraint par le Seigneur à parler : « Tu m’as saisi, tu m’as vaincu », déclare-t-il, impuissant face à la puissance de YHWH.

[137] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 351.

[138] « Et je gravis [Dauguet] […] comme poussé par une force ». (CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 403).

[139] LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, article « Jean-Baptiste », p. 583. Luc 7, 26 : « Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? oui je vous le déclare, et plus qu’un prophète ».

[140] LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, article Jean-Baptiste, p. 583.

[141] Matthieu 3, 4.Cf LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, article Jean-Baptiste, p. 583.

[142] cf. LEON-DUFOUR, Xavier. Vocabulaire de théologie biblique, p. 584.

Luc 7, 33. Les pharisiens accusèrent Jésus de la même manière après qu’il eut pratiqué quelques exorcismes. Ils prétendirent en effet, qu’il expulsait les démons en invoquant Béelzéboul, le prince des ténèbres. (Marc 3,30 ; Jean 7, 20 ; 8, 40 ; 10, 20).

[143] CHAZAL, Malcolm de. Pentateuque, p. 1.

[144] Malcolm de Chazal s’est souvent distingué par une rare suffisance dont l’article « comment devenir un génie », paru dans le quotidien de Port-Louis Advance (13 juillet 1965), est un témoignage éloquent.

[145] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 429.

[146] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 77 et 78. Malcolm de Chazal s’attarde dans sa correspondance avec Jean Paulhan sur l’incompréhension et le mépris dont il est victime de la part de ses concitoyens : « Ici, je nage dans une totale incompréhension, écrit-il, dans le summum de la solitude morale. Les gens ne croient pas plus en mon œuvre qu’en la possibilité d’un chien d’articuler des mots. Tout au plus me tolère-t-on comme un maniaque inoffensif de la pensée. J’ai pour ma part, une totale foi dans mon œuvre, en qui je crois comme je crois à la vie, car je ne l’ai pas pensée, cette œuvre, je l’ai vécue ». (CHAZAL, Malcolm de. Correspondances avec Jean Paulhan, p. 23).

[147] Matthieu 11, 13 et Luc 16, 16.

[148] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 149.

[149] La formule est de Paul Claudel.

[150] Arthur Rimbaud, Œuvres poétiques, Collection « Parcours de lecture », éditions Bertrand-Lacoste.

[151] Même si Malcolm de Chazal s’en défend, ses visions sont bien de nature ésotérique. « Dans mon univers, écrit-il, on entre de plain-pied par aperceptions, par vérités immédiates, sans argumentations ou serrures ésotériques ». (CHAZAL, Malcolm de. Correspondances, p. 73). Il faut sans doute mettre cette contradiction manifeste sur le compte de la peur de l’auteur de passer à côté d’une publication chez Gallimard, en raison du caractère mystique de ses assertions. Malcolm de Chazal se place donc dans la lignée de Qumrân, de la gnose juive, de la Kabbale, mais sûrement pas dans celle du Christ et des Evangiles, du moins en ce qui concerne le caractère exotérique dont le message prophétique devrait être porteur.

[152] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 191.

[153] Il me semble important de clarifier les rapports qu’entretiennent la parole prophétique et la parole poétique, dans la mesure où Malcolm de Chazal a tendance à les assimiler l’une à l’autre : « […] Tous les prophètes juifs étaient des inspirés. L’inspiration est justement ce qui fait le pouvoir du poète ». (CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 84). « L’Ancien et le Nouveau Testaments formeront un tout, lié à l’inspiration et au prophétisme, qui s’analogisent avec l’inspiration et la voyance poétique ». (CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 86).

[154] René Agnel est un Pasteur de l’Eglise réformée aujourd’hui à la retraite. Vivement intéressé par ma recherche sur Malcolm de Chazal, il fut pour moi pendant ces années de travail, une sorte de deuxième directeur de thèse dont la grande érudition et les conseils toujours avisés ont été un soutien précieux.

[155] AGNEL, René. Correspondance, lettre du 7 janvier 1997.

[156] CHAZAL, Malcolm de. Les deux infinis, Port-Louis, Al-Madinah, 1954, p. 140.

[157] CHAZAL, Malcolm de. Le sens de l’Absolu, Port-Louis, Al-Madinah, 1956, p. 37.

[158] JOUBERT, Jean-Louis. La poésie, Paris, Armand Colin, 1992, p. 14.

[159] Sur les Hayn-Teny, se reporter à l’ouvrage de Jean Paulhan intitulé les Hayn-Teny, Paris, Gallimard, 1927.

[160] Chazal, sur le problème de la Création, oscille entre deux attitudes différentes. Dans certains ouvrages, son système cosmogonique se confond avec celui proposé par la Bible. Dans d’autres, il met en place une cosmogonie radicalement nouvelle dans laquelle l’être humain devient responsable de la Création en faisant exploser l’Unité primordiale. Malcolm de Chazal allant d’un système à l’autre, il existe donc une approximation et un flottement qui perdureront tout au long de son œuvre.

[161] JOUBERT, Jean-Louis. La poésie, A. Colin, Paris, 1992, p.5.

[162] CHAZAL, Malcolm de. Sens magique, Port-Louis, Al-Madinah, 1957, 140 p.

[163] CHAZAL, Malcolm de. Correspondances avec Jean Paulhan, p. 15. Un peu plus loin dans le même ouvrage, Malcolm de Chazal donne de nouvelles précisions sur cette langue nouvelle : « Quitte à n’être compris que par quelques esprits, comme Einstein à ses débuts, je n’adultérerai pas ma pensée, dussé-je parler une langue fermée à mes contemporains (CHAZAL, Malcolm de. Correspondance avec Jean Paulhan, p. 21).[…] Pour cette entrée directe dans la nature [sa poésie] il a fallu une nouvelle langue, il a fallu, dans le cadre du français, parler une langue d’ordre universel ». (CHAZAL, Malcolm de. Correspondance avec Jean Paulhan, p. 73).

[164] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 521.

[165] CHAZAL, Malcolm de. La Bouche ne s’endort jamais, Paris, éditions Saint-Germain des Prés, 1980, 157 p.

[166] BONNEFOY, Yves. Arthur Rimbaud.

[167] CHAZAL, Malcolm de. Sens Magique, Paris, Lachenal et Ritter, 1983, p. 53.

[168] NIETZSCHE, Friedrich. La naissance de la tragédie, Gallimard, Paris, 1986.

[169] NIETZSCHE, Friedrich. La naissance de la tragédie, p.29.

[170] RIMBAUD, Arthur. Correspondances, lettre à Georges Izambard.

[171] Chazal dénonce dans ses entretiens avec Bernard Violet les calomnies qui circulent à Maurice sur ce sujet : « A la grande conférence qui s’est tenue à Maurice après la publication de Sens-Plastique, on a voulu croire que j’avais été initié au martinisme, que je me droguais, etc. Mais en fait, je ne me suis jamais drogué. Certes, je buvais un peu de café, mais c’est tout. Tout ce que j’ai fait, c’est une fusion de mes cinq sens pour arriver au sixième : le sens du voyant ». (VIOLET, Bernard. L’ombre d’une île, Malcolm de Chazal, p. 35).

[172] CHAZAL, Malcolm de. Le sens de l’Absolu, p. 9.

[173] CHAZAL, Malcolm de. Les deux infinis, p. 164.

[174] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 287.

Il note par ailleurs dans Sens Unique que « Jésus n’a jamais pu s’adapter à la société qu’il appelait au monde ». Cette inadaptation, Chazal la ressentira, comme le Christ, tout au long de sa vie : « Personnellement, je dois dire que je n’ai pu m’insérer au sein de la société mauricienne ». (CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique, p. 26).

[175] ONIMUS, Jean. Expérience de la poésie, Paris, Desclée De Brouwer, 1973, p. 208.

[176] ONIMUS, Jean. Expérience de la poésie, p. 209.

[177] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, p. 42.

[178] On se souvient par exemple de la prise de position de Laurent Beaufils dans son ouvrage Malcolm de Chazal.

[179] BEAUFILS, Laurent. Malcolm de Chazal, p. 64 et 65.

[180] RAUVILLE, Camille de. Chazal des antipodes.

[181] JOUBERT, Jean-Louis. Littératures de l’Océan indien, p. 137.

[182] COLLECTIF. Contributions sur l’œuvre de Malcolm de Chazal, article « Chazal face à la religion », Toulouse, L’Ether Vague, 1996, p. 116 et 117.

[183] Comme le récit des premiers versets bibliques sont une écriture mythique des origines de l’homme.