Couv catalogue expo 2011 reduitMALCOLM DE CHAZAL ET LA PEINTURE/

Extraits du catalogue de l’exposition 2011 à Allied Motors (Réduit)

Compilation : Robert FURLONG

 

Qui serait mieux placé que Malcolm de Chazal pour parler de sa peinture et de l’objectif poétique qui était le sien ? Les extraits suivants

[1]de ses chroniques de presse se passent de tout commentaire.

 

Lettre à André Masson Le Mauricien 01/07/1958

Le poète peut tout, même l’impossible. (…) Qu’on me donne de la pâte à modeler et d’ici trois semaines j’expose en sculpteur. Si cela me plaisait demain, je serais compositeur de musique. Le poète peut tout. Car lui seul est vivant.

 

Un mot pour André Masson  Le Mauricien 26/07/1958

Je peins sans chevalet. Je peins sans palette. Je peins à plat. Je ne mêle pas mes couleurs.

Je ne dessine jamais. Je ne tiens pas un crayon.

Je peins tout à l’envers. Si je peins une personne, je la peins tête en bas. Et quand j’ai terminé le tableau, je retourne la toile et je vois ce que j’ai fait.

Je me sers d’un seul pinceau.

Chaque tableau est fait d’affilée.

Je ne reviens jamais sur mes taches. Je ne fais pas de taches, je peins en mastroquet.

Mon pinceau n’est que le prolongement de mon doigt.

Je ne lève pas mes yeux de ma toile. Je ne réfléchis pas.

Je ne choisis pas les couleurs. J’y vais d’instinct.

(…) Ma peinture est de la sculp-peinture. Je n’ai pas besoin de sculpter. Je le fais déjà.

(…) J’invite les Mauriciens à se faire une fortune en achetant mes tableaux. Je leur offre un business. J’ai besoin d’argent pour acheter des tubes de peinture. Je suis aux abois. Je leur vendrais bien mon génie. Mais c’est à peu près la seule chose au monde qu’on ne peut vendre, hélas !

 

Lettre aux peintres mauriciens  Le Mauricien 16/08/1958

Beaucoup croient que je peins avec mon pouce. « Non, leur dis-je, je peins avec mon doigt de pied afin d’écraser la peinture universelle ».

Ma peinture est une thérapeutique – tout au moins dans l’ordre des couleurs. Et qui sait si ce n’est pas la seule façon de guérir le préjugé de couleur, chez nous, par le malcolmisme ? Mais pour cela il faudrait que le blanc sur mes toiles ne noircisse pas.

 

Plaidoyer pour l’art enfantin  Le Mauricien 09/09/1959

Je me permets, pour terminer, de dire ceci à mes amis les peintres mauriciens : peignez ouvert, peignez nu, simple et naïf, et vous serez dans la vérité.

 

Réponse à Édouard Maunick (la religion de l’art) Advance 22/09/1959

Oui, Édouard Maunick, pour moi une maison que je peins n’est pas une œuvre des Beaux-Arts, mais une maison que je peins est un être. J’humanise tout ce que je touche, comme le font les enfants. Et entre une maison que je porte sur mes tableaux et un être humain, il n’y a pas de vide. Est comblé ici, le pont qui a été coupé le jour que l’homme est sorti du Jardin d’Éden. Ce « pont » est restitué dans le regard des enfants.

On peut acheter mes tableaux ou les refuser. Une chose demeure : la valeur magique de l’image qui est un acte de consécration en lumière, un sacerdoce.

Cela nul n’a le pouvoir de l’effacer. Car ceux qui ont vu ces tableaux ont en eux une image de libération. Et cela seul compte.

 

Comment peindre au-delà de soi-même Le Mauricien 25/09/1959

L’enfant qui peint un cocotier s’intègre au cocotier. Je m’intègre au cocotier. Je le vois avec des yeux d’enfant. C’est tout Sens-Plastique rapporté picturalement… Mes dessins sont des méta-dessins. Je peins à bout portant. Je laisse agir le soleil de l’inconscient, qui est la source de toutes les couleurs. J’appelle cela peindre au-delà de soi-même. Ne pas peindre, mais être peint. Je suis poète, homme solaire…

 

Lettre à André Masson – de la méta-peinture à la méta-musique Le Mauricien 05/11/1959

On a fait deux personnages de mon humble et minuscule personne : d’une part, l’auteur de Sens-Plastique et, d’autre part, ce falot personnage, mystificateur et ce fou, qui a cherché à tromper le public mauricien avec ses barbouillages.

Je crois que c’est Lautréamont qui a dit que la poésie peut être faite par tous. J’ajoute, à sa suite : la peinture peut être faite par tous. Nous sortons alors du métier, de l’académisme, pour passer à l’élan, à l’élan de l’homme vers la vie.

 

Billet pour Max Moutia  Le Mauricien 04/06/1960

Quand je peins, mon cher Max, j’étale mes couleurs sur ma table, comme des notes chromatiques, et la composition de mon tableau est comme une composition musicale : les notes sombres, le Van Dyke, les terres de Sienne, à gauche ; à droite, les teintes claires et au milieu la gamme intermédiaire, l’émeraude, le vermillon, le bleu de cobalt.

Et parfois, je chante quand je peins – surtout quand je compose des gouaches – je chante malgré moi. Ça fait rire l’entourage des serviteurs, mais je m’en moque. Et sans doute les choses que je chante sont en correspondance avec ce que je peins. Un jour, je mettrai au sein de mon atelier un écouteur-enregistreur, pour consigner ma musique au monde.

 

L’art démasqué – en manière de réponse à André Masson Le Mauricien 10/06/1960

L’Art, tel que je l’ai pratiqué, m’a mené à une métaphysique du monde à quoi la pensée par elle-même, appuyée sur la plume, n’aurait pu me conduire à elle seule.

Dépouillons la parole de la grammaire, qui est un masque, et nous avons le verbe, en allant au-delà des mots. Dépassons la coloration, la couleur masquée, et nous sommes dans la couleur nue, qui seule touche les femmes et les enfants.

 

Barbézieux-Colbertin et le sens de l’innocence Le Mauricien 17/06/1960

L’artiste à Maurice est bourgeois. C’est pourquoi il n’est pas artiste et n’a aucune originalité.

À ce tournant, je mets au défi tout homme de ce pays d’écrire et de proclamer que mes tableaux ont quoi que ce soit à faire ou à voir avec l’œuvre de n’importe quel peintre ayant vécu dans n’importe quelle partie du monde et en tous les temps. Ce défi est absolu. Mais il n’y a aura personne qui le relèvera, car mon œuvre en est une d’absolue originalité, comparable à nulle, unique, donc géniale. Le génie se définit donc comme l’originalité faite homme.

À ce point encore, je lance un second défi : quel est le peintre en ce pays dont l’œuvre soit originale et qui lui conférerait le statut de maître ? Personne.

Donc s’expliquent certains commentaires de peintres mauriciens : « L’œuvre de Malcolm de Chazal ne vaut rien, moins que zéro. » C’est ainsi qu’on a traité les maîtres en tous les temps.

On a ri de Sens-Plastique. On a ri de Petrusmok. On a ri de ma peinture. On rit de l’homme et de son œuvre et c’est une consécration.

Et je livre enfin mon secret. Celui qui regarde de près mes tableaux y voit un « certain sourire » (pas à la Françoise Sagan), un sourire de l’innocence, plein d’amour et de mansuétude, humecté de joie, fait de charme et de sérénité. Et contre cela on ne peut rien. Le rire y vient s’éclabousser. Ce pli du sourire, c’est le pli du génie, qui s’auto-baptise, qui se nomme, qui s’auto-consacre. Et c’est l’Authenticité qui passe les siècles. Les femmes et les enfants ne s’y sont pas mépris. Pourquoi ? Demandez-le à Ève, la femme-enfant, quand l’homme et la femme étaient à l’état de l’innocence. Elle vous répondra.

 

L’art et l’argent Le Mauricien 12/08/1960

Tout est lié dans la vie : les fleurs aux femmes, le ruisseau à la montagne, le soleil à la vie tout entière. La vie est une vaste alchimie. Il s’agit de plonger dans l’alchimie universelle et de communier avec tout. Le peintre se jette dans la vie et il en sort transfiguré.

La peinture est engagement du corps, de l’esprit, du cœur et de l’âme. C’est une consécration de soi au verbe. Et il n’y a qu’un verbe qui couvre tous les verbes : c’est le verbe aimer. Il faut devenir vivant. La peinture vivante n’a rien à voir avec l’académisme.

 

Peinture et folie Le Mauricien 18/01/1961

On dit que je suis fou (n’a-t-on pas appelé Jésus racca ?). Comme poète, je me considère l’anti-fou, le défouleur des masses, par un art du don, par une offrande poétique, par ma peinture.

Je suis prêt à soumettre à tous les psychiatres de l’Univers ma peinture – mais sont-ils à l’état de juger ? – et je les mets au défi d’y voir un seul complexe. Car mon art est nu, ma peinture est de la peinture ouverte. Mon génie est celui de l’innocence. Et les enfants ne s’y méprennent pas. Et si leurs aînés ne me comprennent pas, c’est parce qu’ils me voient par leur esprit compliqué, et mon art est simple.

Je recommande aux époux mauriciens qui ne s’entendent pas, à ceux qui sont éternellement à se quereller, d’acheter mes tableaux. Je leur garantis ensuite la paix du ménage au sein de la joie unanime de leurs enfants. Je crois que les femmes mauriciennes sont déjà d’accord à ce sujet. Il reste à convertir leurs maris. Tâche difficile mais pas impossible. Ce que femme veut

 

Une flamme d’espoir (L’art à la portée de tous) Le Mauricien 06/04/1961

Mes peintures sont originales. Et je mets au défi quiconque ici-même ou en Europe de voir un parallèle à ce que j’ai fait dans le domaine de l’art. Je peins comme j’écris. Ma peinture est le pendant de Sens-Plastique. Je peins comme je respire. Je peins comme je vis.

 

Je brûle mes toiles au Chaland… Le Mauricien 27/04/1962

C’est fait ! Aujourd’hui, 24 avril 1962, sur la plage du Chaland, j’ai livré à la destruction par le feu devant un groupe de témoins cent quarante-huit (148) grandes gouaches. L’hécatombe continuera. Cette nouvelle, lancée à Paris et à New York, ferait scandale et serait considérée comme un crime contre l’art. Je garde secrètes mes raisons.

Et, pour terminer, un peu d’humour. Puisque j’ai cessé de vendre mes œuvres aux Mauriciens, que ceux qui détiennent mes toiles à Maurice constituent un syndicat pour la protection des œuvres de Malcolm de Chazal par la destruction par le feu, car plus je brûlerai de tableaux, plus la valeur boursière des tableaux qu’ils détiennent à Maurice montera.

 

Après une exposition (I) Advance 06/05/1965

L’adorable niaiserie des gens ici est de mesurer ma peinture à l’aune qu’ils appliqueraient à la peinture de Serge Constantin, de Lagesse, de Boullé. Constantin, Boullé, Lagesse peignent des arbres. Moi je peins des arbres-fées. Ces peintres mauriciens font de la peinture. Moi, je fais de la féerie, de la poésie.

Je comprends que les bourgeois veulent d’un tableau d’arbres où les arbres sont des arbres. (…). Moi, je peins des arbres qui vivent. C’est ainsi que les enfants comprennent ma peinture. Car l’enfant aime les arbres qui vivent, les arbres qui parlent, les arbres qui sont des êtres.

(…) J’ai posé à Jean-Baptiste Mootoosamy cette question : « Si Jésus-Christ s’était mis à peindre, aurait-il peint comme un enfant ou comme un technicien, comme Malcolm de Chazal ou comme Michel-Ange ? »

La réponse est : « Si Jésus-Christ avait peint, il aurait peint comme un enfant ».

 

Après une exposition (II)  Advance 11/05/1965

Gaëtan de Rosnay disait que ma peinture est une peinture enfantine. Il s’est trompé. Car l’enfant n’est pas enfantin. Certains enfants sont rendus « enfantins » et deviennent des enfants terribles, grâce à la société, qui fausse l’instinct de l’enfant, le déforme, cherche à le rendre « social » – car l’enfant, à l’état pur, n’est pas social, il est vivant.

Nul ne peut redevenir enfant une fois qu’il est devenu adulte. Le mieux qu’il puisse faire, c’est de redevenir comme un enfant. Retenez ce comme. Car l’enfant manque de maîtrise. L’adulte qui peint comme un enfant retrouve la peinture de l’innocence et en plus la maîtrise. Point la technique, mais la maîtrise. C’est mon cas !

 

La peinture des enfants à Rose Hill Advance 13/04/1967

Madame Jadwiga Rostowska a parfaitement raison : ma peinture n’est pas une peinture enfantine. Il y a chez moi une technique que l’enfant n’a pas, et un style qui n’est pas le sien. Enfin une approche des couleurs qui nous différencie. Mais ce qui nous lie, c’est la perspective des couleurs, l’absence du trompe-l’œil et surtout l’humanisation des formes.

Si l’enfant, en tant que peintre de l’innocence, donne le départ, je suis l’arrivée. Si l’on veut, nous sommes l’alpha et l’oméga d’une même peinture.

(…) Pour moi, la peinture des enfants aboutit à un ANGÉLISME, qui met l’art dans son but.

 

L’esprit pur Le Mauricien 01/12/1969

Quand je peins, je me sers d’un méta-dessin, tout imprégné d’humour – l’humour rose s’entend.

Joue ici un hiératisme où le geste se prolonge au-delà de la forme. Peignant une fleur, je donnerai un visage à la fleur pour l’animer, pour la rendre vivante.

Ignorant le trompe-l’œil, écartant la perspective courante, je crée une perspective par les couleurs, qui me donne une perspective ouverte (d’ordre qualitatif). Aussi, l’image ici, au lieu de s’enfoncer dans le tableau, sort du tableau et vient vers le spectateur.

(…)L’image – au-delà du tableau – est ici dans la quatrième dimension. Et la forme est esprit. La fleur-qui-sourit, ayant quitté la toile, c’est la fleur-fée. C’est le corps de l’esprit pur.

 

Le broc d’eau qui parle Advance 29/04/1970

Aussi la première chose que doit apprendre l’artiste qui a tout appris, c’est de désapprendre à dessiner. Ceci fait, il s’agit d’agir avec les couleurs comme des personnes. Si la personne du bleu ne vous va pas, donc prenez la personne du jaune. Pour tout dire, « devenez » le jaune. Nous touchons ici à l’acte magique en soi : L’IDENTIFICATION.

Après que j’eusse humanisé les fleurs, je voulus humaniser une tasse, un broc d’eau, une bouteille. J’avais été trop vite. Donc je me mis à faire des chaises, des personnes. Je « devenais » chaise et la chaise parlait. Et je « devins » chaussure. Et puis un point d’arrêt.

Je crée maintenant des poissons qui sont des personnes, des oiseaux qui sont des personnes. Et je m’aperçus que j’avais fait tout cela dans Sens-Plastique.

 

Le miracle du Morne Advance 20/05/1970

L’art vivant retrouvé, cet art on le pratique au Morne. À l’Ancien Morne, sous les filaos, près des maisons coniques sous le chaume un groupe d’êtres humains, après le service du déjeuner, peignent. Ils peignent en groupe, comme ces êtres groupés qui étaient les premiers Chrétiens.

Ces boys, cuisiniers et valets de chambre ont fabriqué des boards. Le papier, ils le prennent n’importe où. Ils vont à la boutique acheter des crayons de couleurs à 90 sous la boîte. Après avoir peint, après le dîner, ces mêmes boys discutent art tard dans la nuit.

Ce mouvement, qu’est-ce ? Répondez, lecteurs. Cela ne ressemble-t-il pas étrangement à la vie des premiers Chrétiens ? L’art n’est-il pas un sacerdoce ?

 

Picasso et les enfants Le Mauricien 21/05/1971

Mais quelle est la robe où toute femme peut se retrouver entière, et exprimer la totalité de sa personne, sans la prison qu’est la robe de jadis ? C’est la ROBE-FÉE.

Georgina Souchon en présentera quelques-unes au Centre Culturel le 4 juin.

(…)La robe fée va permettre de RÉINVENTER la femme. La robe-fée, c’est la nouvelle Ève véritable retrouvée, c’est toute l’humanité ressurgie.

(…) Moi qui ne peins jamais le visage humain, je cherche le visage féminin dans une fleur. Le Verbe qui nous entoure ici donne la CLÉ DE L’HOMME. À la femme-fleur répond la fleur-femme.

 

Interview de Malcolm de Chazal Le Mauricien 09/03/1972

Malcolm de Chazal nous fait part dans une lettre que nous publions en hors-texte, de son intention d’offrir à Sa gracieuse Majesté la reine Elizabeth une robe-fée.

Nous avons interviewé Chazal hier qui nous a répondu avec l’originalité qu’on lui connaît.

Ajoutons qu’il est persuadé que la reine sera très sensible à son présent et demandera à porter des « robes-ananas », des « robes-oiseaux », des « robes-poissons ».

« Si la reine portait une robe-fée, lors d’une visite d’État en France, nous dit Chazal, elle ferait pâlir d’envie le monde élégant des Champs-Élysées ».

Enfin, il croit que sa « robe-fée » contient un « principe éternel indestructible » en cela qu’elle ramène la femme qui la porte à l’état d’innocence.

 

Deux événements Le Mauricien 12/05/1972

J’invite le public à aller voir au magasin Bocado, sous les Arcades, à Curepipe, une robe-fée créée par Madame Anna Lan. Une seule et unique fleur, par une inconcevable magie, couvre toute la robe, des épaules aux pieds, enveloppant, tournoyant dans un jeu fantastique de couleurs. Il faut être aveugle pour ne pas s’exalter devant cette féerie.

 

 

La joie des couleurs (I) Advance 14/06/1976

La lumière vient des couleurs elles-mêmes. Mais dis-toi bien ceci : les couleurs chez moi ne sont pas des colorations, les couleurs sont esprit.

Nous voici, vous face à moi et je dis ceci : pour que l’art ait une valeur, il faut la spiritualisation. Il faut que la couleur soit au-delà de la couleur. Il faut que la lumière soit au-delà de la lumière. Il faut que les formes soient au-delà des formes. Et que tout cela se rapporte à la poésie. Il faut que le tableau soit poésie pure. Et atteindre ce que Alfred de Vigny a appelé l’esprit pur, l’essence des choses.

 

La joie des couleurs (II) Advance 21/06/1976

 

L’art alors est langage de l’univers. C’est ce langage de l’innocence qu’il nous faut retrouver et que l’art révèle. Mais c’est ici l’art au-delà de l’art, l’art qui est déclaration d’amour, l’art qui est l’expression de joie, l’art qui est la poésie quintessentielle.

L’art alors est spiritualisation, mais à la manière des enfants. Et je parle de l’homme-enfant qui est le poète absolu.

Nous sommes ici dans le simple, dans le nu, dans le pur, dans le dépouillé et dans la totale gratuité. Mais le difficile est là : se dépouiller pour s’enrichir.

Au-delà de la surcharge est le verbe.

 

LETTRE DU POETE  EDOUARD MAUNICK

 

Advance, 21 septembre 1959

Lettre à Malcolm de Chazal par Edouard J.Maunick

Cher ami,

Je n’étais pas venu pour vos tableaux. Le hasard est seul responsable. Même si j’étais venu pour voir vos tableaux, ce n’aurait pas été pour parler peinture. Ces choses-là sont si délicates et, qui plus est, si personnelles, qu’on y touche jamais sans un maximum de risques.

Mais une chose demeure : j’ai vu vos tableaux. Pour dire vrai, ce sont les couleurs que j’ai vues avant. Pas le bleu, pas le vert, ni le rouge, mais la couleur. Comme si vous aviez trouvé le secret d’en inventer une qui soit tout à la fois plurielle et unique. Une qui restera votre couleur, issue d’une synthèse dont seul le poète détient la magie.

J’ai vu aussi les formes. Elles sont restées celles qui ne s’ébauchent que sous les crayons d’enfant. Là, peut-être, est le pourquoi de cette grande impression primitive que j’ai eue à regarder vos toiles. Rien ne semble avoir subi le métier, cette autre forme du mensonge quand on pense au jaillissement. Au jaillissement qui est la seule lumière vraie.

L’enfance est la saison des rêves et le rêve, une saison réinventée. Tout ce qui appartient à ce climat, vous l’avez fixé en soleils, en arbres, en maisons, en pierres. Seulement, ici, le soleil est un vertige, l’arbre un chemin qui descend de la mer à la terre avec un seul carrefour pour tous les chemins à venir : une astérie rouge du sang conjugué de l’océan et du sable, avec mille branches comme autant de preuves d’héritages. Les maisons dans leur riche misère sont des boîtes à surprise posées sur la table moins surprenante de la terre. Et les pierres bâtissent dans leur ascension cette colline invincible sur laquelle on va dire bonjour au vent et à la pluie, dans la couleur de leur naissance.

Vous comprenez, j’en suis sûr, ces images qui ont voulu vous dire vos images à vous. Que serions-nous sans cette violence qui nous rapproche ?

Oui, vous n’avez pas peint ce qui pouvait être, mais ce qui était. Il importait au poète de rayonner. D’autres diront dans un autre langage si vous avez réussi ou non  Pour moi qui suis un esclave de l’enfance et des choses mal-mortes, vous avez ressuscité plus d’un miracle, entre autres celui du Mouchoir Rouge comme une barque imprécise entre le blanc des vagues et la neige des nuages. Vous avez tourné dans ma direction les ombres de la lumière ; vous m’avez rendu à la première couleur. Je dois dire que vous n’avez pas été le premier à me faire pareil cadeau – et je pense ici à mon jeune ami, Serge Cabon, – mais vous serez sûrement le premier pour tous ceux qui voudront bien trouver ce que vous avez cherché pour eux.

 

[1] Extraits de la compilation réalisée par les éditions Vizavi sous le titre Comment devenir un génie ? (Port-Louis, 2004.) Un CD-Rom d’accompagnement reproduit la totalité des 980 chroniques de presse de Malcolm de Chazal.