Histoires etrangesMALCOLM DE CHAZAL,

ROI MIDAS DU CONTE

 

Cette publication est une grande première et son édition trente ans après le décès de l’auteur récompense une longue attente.

 

C’est en effet la toute première fois que sont publiés des contes de Malcolm de Chazal tels que leur auteur les a écrits, c’est-à-dire en ensembles homogènes portant un titre générique choisi par lui.

 

Le recueil Histoires étranges comprend 12 contes que Chazal envoie, sous forme ronéotée, au Professeur Irving Weiss en janvier 1958 avec une lettre manuscrite personnelle comprenant les commentaires suivants :

« Je vous adresse ces quelques SCIENCE FICTION. ( …) Ces quelques extraits appartiennent à un volume complet qui s’intitule HISTOIRES ETRANGES. Le tout pourrait intéresser un éditeur américain et peut-être ferait un best-seller. Faîtes l’usage que vous voudrez de ces contes. »

 

Le recueil Fabliaux de colloques magiques est envoyé à Irving Weiss quelques mois plus tard. Malcolm de Chazal fait précéder cet envoi par une lettre dactylographiée en date du 2 avril 1958 :

« Vous œuvrez non pour moi mais pour l’héritage commun de l’humanité et par cela vous vous honorez. Face au monde moderne il faut une confrérie de l’esprit dépassant toutes les barrières de races et de nations et de continents. (…) Je vous adresserai très bientôt un petit opuscule contenant des FABLIAUX faits de colloques magiques, différents de SENS-PLASTIQUIE et de SENS MAGIQUE. Cela se présente comme un petit théâtre vivant. »

 

Si l’information selon laquelle Chazal rédigeait des contes n’est guère une exclusivité, quasiment aucune production disponible en librairie ne permettait encore d’apprécier cette dimension du talent et du génie de Malcolm de Chazal. On connaissait l’économiste de la fin des années 30, l’aphoriste de la décennie 1940, le dramaturge du début des années 50, le peintre abondant et lumineux d’à partir de la fin des années 50, le chroniqueur de presse ayant publié près d’un millier de chroniques entre 1948 et 1978, le poète, le politique ayant été candidat à la députation en 1959, le penseur dont la grande majorité de sa soixantaine d’ouvrages publiés traite du Divin, des arcanes de la foi, de la pierre philosophale, du sens de l’absolu…

[1] Mais le conteur était resté, jusqu’à l’heure, dans l’ombre sauf pour une poignée de petites histoires publiées de façon éparse dans quelques revues et quotidiens[2]. Les deux recueils de contes présentement publiés en un volume unique viennent donc ajouter une touche inédite et essentielle au portrait de ce poète intégral qui, au fil des ans, selon le message qu’il souhaitait transmettre, changeait de médium d’expression.

 

Or, Malcolm de Chazal a écrit un nombre considérable de contes à partir, très précisément, de 1957. Cette année-là, revenant d’un séjour dans le sud-ouest du pays, plus précisément au Morne, il écrit dans une lettre publiée dans la presse[3] :

« Le séjour au Morne m’a servi à ceci : j’ai écrit les Contes de Morne Plage, un recueil de 40 contes, dans le style poétique absolu, au-delà du verbe de Petrusmok.[4] »

Ce recueil, qui est son tout premier produit en tant que conteur, n’a jamais été publié in toto. A ce jour, seulement 4 des contes s’y trouvant ont été publiés dans un ouvrage d’éditeur qui est, pour le moins, étrangement hétéroclite[5]. Les contes publiés parlent d’un arbre qu’en une nuit des oiseaux transforment en montagne du Morne[6], d’un petit caillou gris recelant un diamant qui une nuit s’envole vers la lune, d’un pêcheur-poète qu’une noyée devenue sirène-fée protège… Leur lecture dégage un avant-goût attrayant de ce que les 36 autres contes pourraient contenir et, si les manuscrits subsistent quelque part, il est hautement souhaitable qu’ils soient publiés pour être partagés…

 

C’est dans la foulée que Malcolm de Chazal écrit les Histoires étranges et les Fabliaux de colloques magiques, recueils dont la chronologie est éclairée par les courriers adressés au professeur Irving Weiss et cités plus haut. Au sujet de ces recueils, Chazal écrit dans une chronique au début de 1958 :

« Mes amis me demandent à chaque coin de rue : « D’où venez-vous ? » On dirait que je reviens de la lune. (…) Mais j’ai fait du bon travail : les Contes de Morne Plage, Histoires Étranges, Fabliaux et une thèse capitale, sur laquelle je travaille depuis sept ans.[7] »

 

Quelques mois plus tard, en septembre 1958[8], Malcolm de Chazal évoque un nouveau recueil de contes dont il aurait entamé l’écriture. « J’ai repris la plume, pour faire des contes, » écrit-il. « Les moyens d’édition aidant, j’aurai un recueil qui s’appellera Femmes, dont le premier conte est L’amante du Christ. » Dans la même chronique qui porte en fait sur le dernier recueil de poèmes d’une poétesse mauricienne, il en profite pour préciser sa conception du conte :

« Non les contes dans l’ordre de relation, mais le conte poétique, qui narre, au fond, l’invisible, domaine essentiel du poète. (….) Le conte réduit à sa plus simple expression est un poème, le véritable poème réunissant toutes les formes du verbe. Ce que je n’aime pas avec le poème, c’est la recherche d’effet, alors que le conte est simple, naturel et vivant, il s’évade de la littérature et se veut histoire de vie. »

Du conte à la nouvelle, l’espace n’est guère infranchissable. C’est à nouveau une chronique de presse qui permet d’apprendre, moins d’un an plus tard, que Malcolm de Chazal s’est lancé dans la rédaction de nouvelles et d’autres contes[9] :

« Les romanciers mauriciens ont, avec les trésors, de quoi s’amuser. (…) J’ai voulu, moi aussi, m’amuser. En écrivant un assez fort volume de nouvelles dont voici quelques titres : Cuisine, La pomme, Le double, La poupée, La maison, Double piste, Le défroqué, L’horloge, L’idiot, etc. J’y ai inséré Le corsaire, Le camée qui traitent toutes deux de trésor[10].

Le corsaire se déroule à l’embouchure de la Rivière La Chaux et à la Pointe aux Sables. Le camée se passe exclusivement à Souillac et à Riambel et surtout dans le cimetière marin de Souillac. Ce sont des contes occultes œuvrant sur le talisman, le rêve prémonitoire, les rencontres subconscientes, le double, etc.

Le « trésor » ici est une excuse pour une réalité surnaturelle. Car le vrai trésor vraiment est la conscience de chacun. »

 

 

Malcolm de Chazal écrivait constamment et tous les témoignages concordent pour dire que son bloc-notes ne la quittait pas dans les différents lieux de Maurice où il avait coutume de se rendre quotidiennement pour réfléchir, peindre ou écrire et qu’il écrivait alors, entre autres, des contes. Son bloc-notes débordait quasiment de ces « histoires de vie » écrites de cette écriture ample et généreuse qui le caractérisait et dont un feuillet spécimen figure à la fin de ces propos. Sa générosité allait jusqu’au don gratuit de manuscrits et de peintures à des gens qu’il rencontrait et appréciait. Par conséquent, il est certain que plusieurs dizaines de manuscrits doivent dormir dans des tiroirs ou sur des rayons de particuliers. Il va sans dire que toute cette précieuse création chazalienne est perdue à jamais si personne ne prend l’initiative d’en assurer la publication, à l’instar de celle ayant permis l’édition de Moïse, pièce de théâtre du début des années 1950 et de l’Autobiographie spirituelle datant de 1976, tous deux finalement édités en 2008[11]. L’intérêt international pour la pensée de Malcolm de Chazal connaissant un juste renouveau, ce serait dommage que ces écrits éparpillés passent aux oubliettes de l’histoire. La chance a voulu que j’en assure personnellement l’édition de l’un d’entre eux en en facilitant l’insertion, dans l’ouvrage Malcolm de Chazal en perspectives[12] édité par une association mauricienne, l’AMDEF, et rassemblant une vingtaine d’études de son œuvre. Ce conte, prémonitoire à plusieurs égards, rédigé vers 1976, a pour titre L’île du dodo en l’an 2000 et met en scène des montagnes habitées, des cars aériens, le village de Mahébourg devenu « le plus grand port de l’océan Indien », la ville de Curepipe rebaptisée Bambouville et des dodos vivants qui, dixit Chazal, « en l’an 2000, soudainement, par génération spontanée, (…) ont apparu et se sont mis à se multiplier. »

 

 

S’il fallait, en attendant que d’autres contes inédits soient publiés, formuler un vœu immédiat, ce serait que le public puisse goûter aux … romans chazaliens ! En effet, Malcolm de Chazal a également eu recours à cette forme d’expression ; il consacre d’ailleurs en 1959 une de ses chroniques[13] à ce sujet et en parle avec abondance, enthousiasme et chaleur:

« Depuis le 10 mars, j’ai écrit quatre romans : La Famille Langle, Rodolphine, Rosalba et Poldor. À la différence de mes pièces de théâtre, qui ont toutes des noms d’hommes, mes romans sont axés sur la femme, qui reflète des personnalités d’hommes. (…)

Rodolphine est une servante qui monte l’échelle sociale et déchaîne des tourments, mais que l’épreuve humaine transfigure. C’est la femme que les conditions sociales vouent à une destinée médiocre et qui dévaste pour n’être pas dévastée.

Le cas de Rosalba est plus extraordinaire (592 pages manuscrites). La femme ici est brisée à 17 ans par une de ces trahisons d’homme qui anéantissent tout, sauf les femmes fortes. Rosalba résiste et se sert du glaive. Et la femme que la vie et l’homme n’ont pas eue, marchera alors après des aventures inouïes vers cette soif d’un homme qui, lui résistant éternellement, la forcera à une poursuite éternelle, à une conquête sans fin.

Poldor est mon chef-d’œuvre. (…). Tout le roman ou presque se passe à Grand Gaube, sauf quelques parties à Grand Baie, et qui sont les deux pôles de la pauvreté et de la richesse dans notre île. (…) Poldor, c’est le pêcheur « grand gaubien ». (…) Mais Poldor est le poète, tout le peuple-poète. (…) Il est le discoureur et il est le rêveur. C’est l’homme pour qui chaque pêche est une pêche miraculeuse et pour qui la vraie maîtresse est la mer… Et voici Fifine, métisse capiteuse, inflexible, qui force les portes sociales par une volonté macérée de charme et d’intelligence. »

La même chronique se poursuit avec cette affirmation applicable au poète intégral qu’est Malcolm de Chazal et, partant, à toutes ses créations quel qu’en soit le médium d’expression :

« Tout poète qui devient romancier redonne sa propre personnalité d’homme. Les personnages ici sont des esquisses à un théâtre de vie qui se passe dans l’auteur lui-même. Et le pays alors qu’est l’île Maurice est la scène magnifique où joue mon imagination de romancier.

(…) La littérature est de la paille.

Le roman-poème est le grain.

Le poète est comme le roi Midas qui change tout en or.

Mais quel or !… »

Robert FURLONG

[1] Arma Artis a republié en 1983 Le livre de conscience originellement publié en 1952 à Maurice en 100 exemplaires.

[2] Notamment les quotidiens locaux Le mauricien et Advance et la revue bilingue Two Cities éditée à Paris par le poète psychiatre Mauricien Jean Fanchette

[3] Lettre à André Masson, Le mauricien, 7 décembre 1957.

[4] Œuvre majeure de Malcolm de Chazal, écrite de façon fébrile entre août 1950 et janvier 1951 par lequel Chazal revisite et féerise l’île Maurice.

[5] En 1994, soit 13 ans après le décès de Chazal, la maison d’édition L’Ether Vague (Toulouse) publiait, sous le titre Contes et poèmes de Morne Plage, un livre attribué à Malcolm de Chazal, prêtant ainsi à penser qu’il s’agissait d’une œuvre originale de cet auteur. En réalité, l’ouvrage se révèle être un montage d’éditeur composé de quatre contes provenant du recueil original de  Contes de Morne Plage (1957), de 5 courts extraits de Petrusmok (1951) et de quelques dizaines de courts poèmes dont la source n’est pas précisée. Aucune note ni préface n’apporte de précisions quant aux sources.

[6] Cette montagne fait partie depuis 2008 du Patrimoine mondial de l’humanité sous l’égide de l’Unesco en raison de son rôle de refuge pour les esclaves en marronnage.

[7] Pot Pourri, Advance, 23 janvier 1958.

[8] Magda Mamet et la poésie, Advance, 16 septembre 1958.

[9] Les trésors, Le mauricien, 13 mai 1959.

[10] La pomme et Le corsaire ont été publiés dans des quotidiens mauriciens.

[11] Malcolm de Chazal. 1 : Moïse, Paris, L’Harmattan, Collection « l’Afrique au cœur des lettres », 2008. Présentation de Robert Furlong. Coordination de Christophe Cassiau-Haurie. 2 : Autobiographie spirituelle, Paris, L’Harmattan, Collection « l’Afrique au cœur des lettres », 2008. Coordination et notice biographique par Robert Furlong. Notice bibliographique par Christophe Cassiau-Haurie.

[12]  AMDEF, Malcolm de Chazal en perspectives, Rose-Hill, 2002.

[13] J’écris des romans… Le mauricien, 18 avril 1959.