COPIE de LETTRES

de

EDMOND de CHAZAL

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Mai 1873 à Octobre 1875

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Tristan de Chazal

COPIE de LETTRES

de

EDMOND de CHAZAL

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Mai 1873 à Octobre 1875

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Edmond de chazal

G3. Edmond de Chazal

Ceux qui te rebattiront se hâteront de venir, et ceux qui t’auront détruite et réduite en désert sortiront du milieu de toi.

Mène tes yeux tout autour et regarde, tous ceux qui se sont rassemblés; ils sont venus à toi. Je suis vivant dit l’Eternel, que tu t’en revêtirais comme ornement, et tu t’en pareras comme une ‚pouse.

Esaïe XLIX. 17. 18.

Oui viens, Seigneur. Car a été vu par le prophète la cité sainte descendant de Dieu du ciel parée comme une épouse pour son mari.

Apoc: XXI. 2.

Ecoutez peuple insensé et qui n’avez point d’intelligence et qui avez des yeux et ne voyez point, et qui avez des oreilles et n’entendez point. Ne me craindrez-vous pas dit l’Eternel? Vos iniquités ont détourné de vous (la terre) toute bénédiction (du ciel, et vos péchés ont éloigné de vous tout bien, car il est trouvé dans mon peuple des méchants, qui sont comme celui qui tend des lacets; ils disposent des pièges pour prendre, ils prennent les hommes! — Ils vont pleins et engraissés; ils ont (…?) les astuces des méchants! — Leurs prophètes prophétisent le mensonge, et leurs sacrificateurs dominent par (…?) moyen; et mon peuple a pris plaisir à cela!

Jérémie V. 21,22,25,26,28,31.


St Antoine 26 Mai /73

Monsieur Patureau
Port-Louis

Accusé de réception de sa lettre du 24 mai. Remerciements de la bonne expression de ses sentiments envers moi. etc. Réponse:

1° Je prends note qu’il tient à ma disposition 10 tubes de rechange pour ce qui revient à mon multitubulaire.

J’en demande —
10 autres au prix de sa lettre $ 12-” le tube que j’enverrai chercher dans la semaine. —

2° Je renonce d’après son conseil, à un nouvel essai de la vapeur d’échappement du moulin pour le vide.

3° Je ne puis me décider à faire la demande d’un multitubulaire Cail de 160 chevaux et devant coûter en rade de Port-Louis $ 8320-” avec addition d’un Dunkey pump devant coûter $ 840-” en tout $ 9300-“! — Je crois que pour faire marcher mon moulin, mon vide, et mes 8 turbines, mes multitubulaires de 125 chevaux seront plus que surabondance puisque mes 2 Fletcher de 20 chevaux chaque et mon multitubulaire de 70 à 75 chevaux ont suffi jusqu’ici — en tout 115 chevaux — un seul feu sous 125 chevaux, c’est sans doute plus économique, mais ne serait-il pas prudent d’avoir 2 multitubulaires de 80 chevaux qu’un seul de 150? — question à résoudre avant de me décider à une dépense de $ 10.000, sans certitude de profit réel.
On peut dormir tranquille à meilleur marché, je le pense; et je lui demande ce que coûterait un multitubulaire de 125 chevaux, un de 100 chevaux.

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St Antoine 27 Mai /73

Monsieur Régis de Chazal
32 Rue Chaptal
Paris

Mon cher Régis

Je suis accablé de besogne et j’ai à puiser le temps à t’écrire. Il est urgent cependant que je m’excuse aujourd’hui auprès de toi d’un oubli impardonnable, d’une négligence coupable: j’ai oublié la date de ta lettre de crédit, et ce n’est que ces jours-ci qu’Auguste m’en a parlé. Ta lettre de crédit n’était que pour un an et est expirée les premiers jours de ce mois-ci! — Pour le mois prochain tu vas donc te trouver bien embarrassé. MM: Mallet frères te continueront-ils ta pension sans un nouvel avis de notre Banque? Seras-tu obligé de recourir à un emprunt? Qui pourras t’assister, si George est parti en mai, comme on le suppose? Aura-t-il pensé à ta pension, ou aura-t-il fait comme nous: oublier?… Enfin, cher enfant, je répare ma faute aussitôt que je m’en aperçois; et je t’envois sous pli un renouvellement pour une année de ta pension à $ 100 par mois en une lettre de crédit de la Banque Commerciale de Maurice de $ 1254-44c sur MM. Mallet frères de Paris, dont tu disposeras comme par le passé, ces tirages mensuels sur moi, à partir de l’expiration de ton premier crédit. Ainsi, si tu as emprunté de Mr Harlé ou de tout autre pour un mois de vivres avant la réception de cette nouvelle lettre de crédit, tu peux tirer sur MM. Mallet frères pour ton arriéré et pour le mois courant de tes dépenses. J’ai fait inclure d’ici même la prime de tirage sur Paris, comme tu le verras, par le libellé de ta lettre de crédit. J’avais voulu obtenir de la Banque un crédit de 3 ou 4 ans, dans la crainte d’un nouvel oubli de ma part; mais on n’a pu me l’accorder; les statuts de la Banque s’y opposent. Ce sera donc à moi de ne plus oublier tes vivres! — Je te quitte,… (…?); car j’espère demain pouvoir t’écrire longuement; ainsi qu’à Mr. Harlé et à Mme Volff en Algérie; aujourd’hui la besogne me réclame à l’habitation.

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St Antoine 28 mai 1873

Madame E. Volff
à la grande oasis, près Bone
Algérie

Je prends la plume pour répondre à votre bien affectueuse lettre du 27 mars. Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, si j’ai été obligé d’employer jusqu’ici, comme intermédiaire entre nous, notre digne et (…?) ami Mr Aug. Harlé, c’est parce que non seulement j’ignorais votre adresse; si vous étiez fixée en Algérie, ou si vous étiez retournée en Europe; mais c’est aussi parce que je n’osais prendre la liberté de vous écrire personnellement. Aujourd’hui que vous avez fait disparaître l’obstacle qui s’opposait à nos relations personnelles, c’est pour moi un vrai bonheur de pouvoir au moins par correspondance profiter des pensées élevées qui sont le partage de servantes aussi éclairées et aussi dévouées que vous, Madame, de votre divin Maître et Seigneur. J’avais déjà répondu par ma lettre du 18 Sept 1872, à M. Harlé, au désir que vous aviez manifesté par M. Harlé, de voir publier par mon entreprise ici, à Maurice, le manuscrit qu’il m’avait fait parvenir en votre nom, de votre traduction “La réconciliation” Ep. à (…?) 11-15 des sermons du Rev. Bailey. Je lui disais que j’avais lu avec bien de l’intérêt votre nouveau travail, mais qu’il m’était impossible, dans le moment de le faire publier, et que j’eusse désiré surtout avoir l’ouvrage original de M. Bailey, ne pouvant me permettre, sans l’original, aucune correction ou changement à votre manuscrit. Depuis j’ai revu cet ouvrage; mon opinion est que ce sujet “la Réconciliation” traité au point de vue du Rev. Bailey est un excellent travail pour le Protestantisme mais que, tout en faisant rédiger des explications de Mr. Bailey, il faudrait élargir le sujet et expliquer en même temps la chute de l’homme et la Rédemption, pour rendre cette publication vraiment utile et profitable, pour ceux qui appartiennent au Catholicisme. J’ai voulu l’entreprendre en mêlant mon travail au vôtre; mais jusqu’ici le temps m’a manqué. Nous vivons en ce moment au milieu de préoccupations sociales et industrielles tellement pénibles et graves qu’il ne m’est guère possible de les écarter par des travaux de publication, ou travaux intellectuels et religieux qui signés de moi, plus que tout autre, un grand labeur, et beaucoup de temps, car je ne suis guère lettré, et par conséquent nullement à la hauteur voulu pour l’apostolat de la Nouvelle Eglise. Enfin je fais ce que je peux, et vais tacher de publier votre manuscrit d’une façon ou d’une autre. Je m’explique sans doute mal et vous comprendrez difficilement ce que j’entends par travaux et publications préparatoires pour les vérités de la Nouvelle Eglise, convenables pour ceux qui sont dans le Protestantisme ou dans le Catholicisme: je vais tacher d’être plus clair. Nous savons que tous sont appelés à la Nouvelle Jérusalem, nous savons aussi que les appelés sont dans des états différents, les deux grandes (…?) d’états sont,
1° ceux qui sont de l’Eglise et ceux qui sont hors de l’Eglise, et ces états se divisent et se subdivisent. Nous savons aussi qu’il faut une préparation pour chacun avant d’entrer dans la Sainte Cité. Il y a aussi deux sortes de Gentillisme; le gentillisme de ceux qui n’ont point la parole, et le Gentillisme Chrétien. Le Gentillisme Chrétien est principalement dans le Catholicisme Français dans mon opinion; c’est-à-dire qu’ils sont dans le bien naturel et philosophique, et que, quoique ayant la Parole, ils sont dans la plus grande ignorance des vérités chrétiennes, car il est peu qui lisent la Parole. Il en résulte que pour eux, en vue desquels vous traduisez les écrits du Rev. Bailey, il y a une foule de questions scripturaires et de discussions bibliques qui sont nettement hors de leur portée, excellentes pour les Protestants versés dans l’étude de la Bible, mais inopportunes pour les Catholiques. Vous l’avez sans doute compris comme moi, car vos traductions de M. Bailey sont des libres traductions, c’est-à-dire dépouillées déjà d’une grande partie des nombreux arguments Bibliques que le Rev. Bailey est obligé d’accumuler dans ses écrits en vue de l’esprit (…?) du Protestantisme. Eh bien je crois qu’il faudrait ajouter à ce que vous avez emprunté au Rev. Bailey d’autres notions des vérités Chrétiennes inconnues des Catholiques, dans les publications que nous faisons à leur intention. Je vous envoie par cette malle un petit travail que j’ai essayé de faire, en cherchant à vous imiter, et en cherchant à rendre la langue Française quelques uns des admirables écrits du Rev. Bailey dans son livre (the divine Word Opened). J’ai traduit le Sermon “The Church and its future Glory”; ma traduction achevée je l’ai trouvé si peu convenable pour l’Etat Français ou Gentillisme chrétien que j’ai renoncé à la publier; mais j’étais tellement plein de la pensée du Rev. Bailey sur The Future Glory of the Church, que je n’ai pu renoncer au désir d’en reproduire en Français les bases fondamentales, à savoir: la différence des deux Eglises Externe et Interne, aussi bien que la progression de l’esprit humain de l’état idolâtrique à l’état vraiment chrétien, par la progression de l’Etat Juif à l’état chrétien, et de l’état externe à l’état interne de l’église chrétienne.

J’ai intitulé mon travail “De la maison de Dieu et de sa gloire à venir”. Et sous ce titre je suis parti de la Pierre de Jacob en Bethel, et de son échelle vue en songe, pour arriver jusqu’à la Nouvelle Jérusalem. Tabernacle de Dieu avec les hommes, dans lequel nous retrouvons le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, dans l’agneau qui est la lampe et la gloire, agneau dès la fondation du monde, mais adoré dans la crèche de Bethlehem par les mages conduits par l’Etoile d’Orient. Quelqu’incomplet et informe que soit cet ouvrage, il a eu, je le crois, du succès dans notre communauté coloniale composée de tant de croyances diverses; car je suis à l’heure actuelle, de nouveau le point de mire des anathèmes ou récriminations du clergé catholique surtout.

J’ai donné à mes filles pour leurs enfants votre petit catéchisme traduit de l’anglais. J’avais traduit aussi pour l’usage de nos enfants ici, l’ancien petit catéchisme d’Amérique; j’ai reçu ces temps derniers, 2 autres petits catéchismes d’Angleterre, pour les enfants; mais je vous avoue que ces divers essais ne me satisfont pas pleinement. Je les trouve incomplets, insuffisants; je crois qu’avant longtemps nous verrons publier quelque chose de plus convenable pour l’éducation des enfants; et les difficultés d’impression sont si grandes dans notre colonie que je crois préférable de nous en tenir à ce que nous avons déjà pour nos enfants, plutôt que de faire publier de nouveaux petits catéchismes.

Dans l’espoir que nos relations actuelles seront complètes et éternelles dans l’autre vie.

Croyez moi Madame et chère soeur, votre bien dévoué frère en N.S.J.C.

Edmond de Chazal

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Monsieur Auguste Harlé
40 rue de Bruxelles
Paris
St Antoine
28 Mai 1873

Bien cher frère en N.S.J.C.

Encore une crise de rhumatisme depuis ce matin, au bras, à la dernière heure, au moment où j’ai à vous écrire! c’est assommant!… Il y a de quoi me faire envoyer mon corps à tous les diables. — Il faut pourtant que je vous écrive par cette malle, au plus pressé donc d’abord.

Par suite d’une négligence ou oubli impardonnable, de ma part, aussi bien que de la part d’Auguste sur qui je me fie un peu trop, depuis mes incapacités, nous n’avons pas renouvelé en temps importun, la lettre de crédit de Régis sur Mrs. Mallet frères de Paris. Le crédit est expiré les premiers jours de ce mois. Le renouvellement de crédit que je lui envoie pour une autre année, ne lui parviendra sans doute, pas à temps pour ses vivres de Juin. Le pauvre enfant va être bien embarrassé, si vous êtes absent de Paris, dans ce moment — si surtout George a quitté l’Europe en mai comme les dernières lettres nous le font présumer. Je suis tout marri et confus de cette négligence. Mais enfin son embarras ne pourra durer que quelques jours. Il sera je l’espère, en possession de sa nouvelle lettre de crédit dans les premiers jours de juin, à moins qu’il n’arrive accident à la malle. Mon dernier mot ne peut être que: A la grâce du Seigneur!

Je ne comprends pas très bien mes comptes avec vous. Je croyais être votre débiteur, même un peu fortement, et votre lettre du 11 Avril me dit que paiement fait sur ma petite remise de francs 300 — de 93; Bailey discours, abonnement nova epoca, restauration tableau etc. etc. j’ai à mon crédit avec vous — frs 31.. et que je ne vous suis redevable que des 100 exemplaires “Ciel et Enfer” à 3 frs — 300..! 88.

Je commence par vous avouer que je ne prends note de mes petites affaires pécuniaires avec vous que dans notre correspondance. Je ne tiens aucun compte de cela. C’est peut-être un tort, mais j’ai les chiffres en horreur et je ne tiens compte que des choses les plus indispensables. C’est donc à vous de me guider sur cette question. Dans l’hypothèse donc que je ne vous suis redevable que de ces 100 exemplaires “Ciel et Enfer” soit frs 300 je vous envoie sous ce pli une somme de $ 200-” soit —
frs 1.000 ” traite de la Banque Commerciale de Maurice sur M.M. Mallet frères de Paris du 27 mai — à trois jours de vue et à votre nom —
1° Pour me libérer envers vous, et 2° pour que vous ayez quelqu’argent à moi, entre vos mains, si Régis avait quelque besoin extra, ou pour subvenir à mes nouvelles demandes ou aux nouveaux envois de livres que vous feriez.

Vous me demandez s’il faut m’envoyer les 200 autres exemplaires de ma souscription “Ciel et Enfer” et si je les désire réellement toujours. Voici ma réponse: je m’étais fait une loi de souscrire pour un tiers environ des publications que vous feriez, pour aider votre travail, et présumant que vous fassiez imprimer vous travaux par mille exemplaires. Le fait est que 300 exemplaires sont au delà des besoins intellectuelles de notre chétive colonie — ce ne serait sans doute pas perdu et servirait à l’avenir. Mais enfin voilà la question dans sa plus simple expression: je suis prêt à recevoir les 200 autres exemplaires; faites à cet égard ce que vous jugerez convenable.

Vous me dites aussi: “La difficulté pour de nouvelles traductions et publications des travaux de l’Eglise d’Angleterre n’est pas la question d’argent, , grâce à vous surtout. J’ai entre les mains les fonds nécessaires!” Je croyais que vous aviez disposé depuis longtemps, pendant le siège de Paris, de ce que vous aviez de moi entre vos mains. Je vois encore dans une de vos précédentes lettres, à propos de Vaissière, qu’il avait été cause d’une perte d’assistance pécuniaire qu’allait obtenir Mr. Poirson(?) d’un adepte américain, assistance qui avait pour but l’obtention d’un local pour vos réunions de culte! Dites moi, je vous prie, ce qui en est. Mon désir le plus ardent est d’aider, autant que le Seigneur daignera me l’accorder, l’établissement de son Eglise dans ma noble famille Française; qu’il s’agisse de publication, ou de culte externe, enfin de tout ce qui peut contribuer à cet établissement dans l’ordre de nos facultés naturelles, je voudrais pouvoir être un des ouvriers de sa Maison sur la terre, quelqu’infime que soit le rôle qui peut m’y être accordé, dans les limites de mes facultés; et je vous prie, si l’argent vous manque pour les réalisations de vos travaux, faites le moi savoir. Je ferrai ce que je pourrai.

Croyez moi toujours votre affec. f. en N.S.

Edmond de Chazal.

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Monsieur Régis de Chazal
32 rue Chaptal
Paris
St Antoine 24 Juin 1873

Annonce de l’arrivée de George Mayer — et aussi de la mort soudaine et prématurée de son frère Edwin au Mesnil. — (…?) de sa lettre de crédit pour sa pension.–

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris
St Antoine 25 Juin/73

Bien cher frère en N. S. J. C.

George nous est arrivé par la dernière malle, bien portant et heureux de retrouver son petit monde de St Antoine; ce qui me donne à penser que notre malheureux petit coin de terre peut encore avoir ses charmes, même pour ceux qui quittent votre belle et brillante Europe. Le pauvre garçon pourtant, en recommençant notre existence coloniale et mauricienne, en a subi une des plus dures conditions, dès qu’il a touché notre rivage, le surlendemain de son arrivée, il conduisait en terre le corps de son frère puîné, jeune homme de 28 à 30 ans, enlevé à sa jeune famille par une crise de fièvre en 48 h! Notre pauvre (…?) de l’Océan Indien devient un véritable charnier(?) depuis quelques années, sous la paternelle et libérale administration Britannique des colonies de la couronne! on se sert de nous pour engraisser les cadets de famille, et les mécontents de la Métropole; et on se soucie peu de nos intérêts, même de notre (…?), pourvu que nous fassions des rentes aux favoris de ceux qui tiennent les rênes du Gouvernement Métropolitain. Le fait est que la libérale Angleterre n’est pas plus Chrétienne que le reste de vos états Européens. Pourvu que ceux qui sont au pouvoir fassent leurs petites affaires peu importe les autres. Aurons-nous encore le temps à attendre avant de voir substituer au Gouvernement de ce monde d’après l’amour de soi et du monde, le gouvernement des hommes d’après le Seigneur. — Je vous remets sous pli le (…?) de ma petite traite de 1.000 frs sur M.M. Mallet frères de Paris en compte courant avec vous. J’aime à croire que ma lettre de crédit pour la pension de Régis lui est parvenu à temps pour lui éviter tous les mécomptes de notre incroyable négligence à cet égard. Aujourd’hui surtout que George n’est plus à sa portée en Europe, il pourrait se trouver embarrassé pour quelque besoin inattendu d’argent. Puis-je, cher frère, vous demander le service de remplacer George en semblables circonstances; savoir: si Régis avait besoin pour ses diplômes, ou dépenses imprévues auxquelles ne pourraient suffire sa pension annuelle (…?) ce qui pourrait lui faire perdre un temps précieux d’attendre l’argent qu’il pourrait me demander pour un juste et légitime emploi. J’ai beaucoup de confiance en ses bonnes dispositions, mais je ne crois pas bon cependant, de mettre à sa disposition un crédit trop élevé au dessus de ses besoins. Je crois utile qu’il sente le besoin de l’argent, ou de son utile emploi. J’ai rarement vu des créoles réussir, lorsqu’on met entre leurs mains trop de moyens de se livrer avec facilité aux séductions de votre enivrante capitale. Je ne voudrais pas cependant qu’il perdit l’avantage que peut lui procurer une utile distraction de voyage par exemple, faute d’un peu d’argent. Enfin je voudrais que vous puissiez faire pour lui ce que vous jugerez convenable pour un de vos fils; (…?), si vous accédez à ma demande, je vous prierai de tirer sur moi pour les sommes que vous jugerez convenables de lui donner en sus de sa pension pour ses voyages ou autres besoins.

Toujours en vous remerciant
V/dev. f. en N. S.

P.S. Nous avons besoin de petits traités des doctrines, envoyez-moi 25 exemplaires de chacun des 4 petits traités, foi, charité, Seigneur, vie.
25 Doctrine céleste
Nous manquons “Vraie Religion Chrétienne”
Faut-il attendre votre nouvelle Edition pour en avoir?

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Régis de Chazal
32 rue Chaptal
Paris
St Antoine 19 oût/73

Affaire de l’acquisition de Poudre d’Or qui me surcharge de besogne: la révolte des Indiens, enquêtes, jugements, condamnation des cirdars (…?) — enfin tout rentre dans l’ordre. — mon association pour cette propriété avec P Edmond, George, Rodolphe et Julie pour cinquième — $ 40.000 comptant, et les $ 60.000 restabt payables en 8 ans. — J’ai donné pour la part de Rodolphe et julie $ 8.000- à chacun à valoir sur leur dot à venir, quand ils se marieront.

Départ de John et Edmée en octobre pour l’Europe; congé de 18 mois de John. — Mort de Melle (…?) qu’on enterre aujourd’hui.

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris
St Antoine 20 Août/73

Bien cher frère en N. S. J. C.

Je ne puis pas laisser partir cette malle, comme la dernière sans vous adresser quelques lignes, quelque courtes qu’elles puissent être. — Vous avez appris sans doute par Régis, la cause de mon silence du mois dernier, à savoir, les nombreuses et inlassantes préoccupations que m’a données l’acquisition d’une propriété nouvelle que je réunis à St Antoine, la Poudre d’Or que j’ai acheté en commun avec 4 de mes enfants: P Edmond, G. Mayer, Rodolphe et Julie, donnant à ces deux derniers (en attendant leur mariage) une part de la dot que je réserve d’habitude à mes enfants pour leur début dans la vie sociale. Cette acquisition avait à mes yeux, un double but: 1° de donner à mes enfants majeurs qui ne parviennent pas à trouver leur conjoint dans notre pauvre colonie
1° de leur donner dis-je un intérêt spéculatif matériel auprès de moi et aussi de les rattacher par l’association des intérêts communs à ce bien être matériel, et à cette forme sociale, qui ne devrait être que le résultat de l’union spirituelle, mais qui cependant malheureusement jusqu’ici n’est obtenu qu’au moyen de l’association des intérêts matériels. —
2° Mon grand second but était de faire cesser les dissensions qui existent depuis 5 ans entre ma famille et la famille des propriétaires de Poudre d’Or, but que j’ai atteint par des concessions que nul autre peut-être n’aurait été disposé, ou en état de leur faire, à savoir: la jouissance, sa vie durant, de la demeure de Mme Baudot âgée de 75 ans à 78. demeure dans laquelle elle désirait achever ses jours, par souvenir de son existence passée à la Poudre d’Or, et que la vente forcée de cette propriété lui enlevait inévitablement, sans la concession qu’il m’était possible de lui faire. — Tout cela joint à des révoltes des engagés qui profitent toujours de ces changements de propriétaires pour refuser le travail, et faire des désordres, fausses plaintes, enquêtes judiciaires, jugements, condamnations etc… tout cela, dis-je, m’a occupé tout le mois, mais enfin l’ordre est rétabli depuis 2 jours. Il me reste à rectifier, réparer de tout ce qu’une administration malheureuse laisse après elle. Pour le moment ce sont des pompes à irrigation, des machines (…?) qu’il faut demander en Europe; c’est pendant qu’on prépare ces notes pour que j’écrive à M.M. Cail (…?) que je puis voler quelques instants pour vous écrire.

Ma fille Edmée et mon gendre J. Rouillard partent pour l’Europe en Octobre prochain. John magistrat au Port-Louis a obtenu un congé de 18 mois. Plus heureux que moi, ils vont voir la France, ils vous verront; quant à moi, il parait que c’est mon lot de mourir sur le rocher sur lequel je suis attaché, et sur lequel de nouveaux liens se forment pour moi, à mesure que je me délivre de ceux qui m’avaient d’abord été imposés. — Je me soumets aux décrets de la Providence du Seigneur, car nous dit son envoyé, à la 4e loi, qu’il s’était personnellement imposé(?) dans la vie quotidienne: 4° il faut remplir avec fidélité les fonctions de son usage, et les devoirs de sa charge; et se rendre en toutes choses utile à la société ce qui est de se soumettre en toutes choses à la volonté de la divine providence. A la hâte votre fr en N. S.

Ed. de Chazal

P.S. Votre lettre du 4 Juillet m’est parvenu en son temps. Merci des détails que vous me donnez sur votre société et sur la marche que vous jugez convenable de tenir quant aux moyens à employer pour répandre la doctrine du Seigneur, et établir parmi vous son culte; je ne puis que prier que vos efforts soient bénis. — Merci aussi des nouvelles de Régis, nous attendons avec impatience la malle pour savoir quel aura été le résultat de son épreuve d’examen; qu’il ne perde pas courage, le succès est toujours le résultat de la Persistance.

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Messrs J: J: Cail Gro(?)
Constructeurs
Paris
Ile Maurice
Rivière du Rempart
St Antoine 20 Août/73

Messieurs

A la dernière heure, et voulant cependant profiter de la malle, je prends le parti de vous adresser ces lignes directement, mon but étant d’obtenir quelques renseignements, à la source même, de la (…?) industrielle, pour quelques travaux d’amélioration que je projette sur mes établissements de sucrerie, et pour lesquels travaux et améliorations j’ai besoin de votre concours comme constructeurs.

Il s’agit en premier lieu de pompes à irrigation. Notre malheureuse colonie a été ces dernières années tellement éprouvée, surtout par les sécheresses, que nous sommes forcés de recourir à tous les moyens à notre portée afin de remettre notre agriculture en voie de prospérité. De ces moyens, le premier a été l’emploi de vos machines perfectionnées; le second est l’utilisation de toutes les sources d’eau que nous pouvons trouver sur nos propriétés. Dans ce dernier but, depuis 5 ans, j’ai essayé de divers systèmes de pompes avec l’assistance de mes amis (vos agents actuellement) Messrs Fontaine et Patureau; mais je dois vous l’avouer, ces essais ne m’ont nullement satisfait. — Depuis un mois j’ai ajouté à ma propriété sucrière une nouvelle propriété: “La Poudre d’Or”, précédemment à M.M. Baudot. Sur cette propriété existent des cours d’eau assez considérables, ainsi que des pompes à irrigation; mais je les trouve plus défectueuses encore que celles que je possède et exigeant d’immédiates réparations ou amélioration pour pouvoir répondre à mes besoins agricoles:
1° c’est une pompe adaptée à une ancienne roue hydraulique pour moulin à cannes
2° une seconde pompe mue par une machine à vapeur à basse pression de 8 chevaux, autrefois pour moulin à cannes comme la roue hydraulique;
3° enfin une (…?) turbine hydraulique faisant mouvoir la plus faible des trois pompes, mais donnant pourtant le résultat le plus satisfaisant. —

Il s’agirait en premier lieu pour moi d’utiliser cette roue à eau, en y adaptant une autre pompe plus convenable que la précédente. Je vous remets ci-inclus des notes et un plan de la roue, du volume d’eau etc. etc. que Mr. Poiron (aujourd’hui attaché à mes entreprises) a eu la complaisance de faire hier pour vous être expédiés par cette malle: quel serait le prix, quel serait le volume d’eau d’une pompe à adapter à cette roue? —

La pompe actuelle élève l’eau à 75 à 80 pieds de hauteur sur un parcours d’environ 3.500 à 4.000 pieds mais ne donne qu’un volume d’eau insignifiant comparé à la puissance de la roue à eau.

Serait-il préférable d’y substituer une turbine hydraulique? Donnerait-elle un effet plus utile que cette roue à eau? et dans les conditions suivantes à 7 mètres de chute; dépense d’eau 200 à 300 litres par seconde? La turbine devant faire mouvoir une pompe pouvant élever un maximum d’eau à une hauteur de 30 mètres?
Telle serait la question que je prends la liberté de vous soumettre en vous priant de me faire connaître le plan, les conditions d’installations, le prix de revient, les frais (…?). —

Je désirerais en outre connaître le prix d’une installation complète nouvelle d’une pompe pouvant envoyer l’eau à 3.500 à 4.000 pieds de distance et à une hauteur de 80 à 90 pieds français environ, et pouvant déverser dans un réservoir 1.200 à 1.500 barriques d’eau à l’heure; pompe, machine, tuyaux de conduite tout compris. —

Je désirerais également, pour un autre cours d’eau plus faible, une pompe pouvant fournir à la même distance et à une égale hauteur, un volume d’eau de 500 barriques à l’heure.

Vous m’obligerez en même temps de me faire connaître le mode de paiement qui vous conviendrai pour les diverses commandes que j’aurai sans doute à vous faire directement. —

J’ai l’honneur d’être (…?)

P.S. Mon nom aussi bien que ma signature vous sont sans doute inconnus; pour éviter tout retard dans votre réponse, je prends la liberté de vous référer pour renseignements à Mr Aug Harlé de Paris, 40 Rue de Bruxelles, et à ceux de mes compatriotes qui peuvent être établis dans votre capitale; je crois de Messrs Mallet frères pourraient aussi vous renseigner.

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à l’Honorable Elliot(?)
Protecteur des Immigrants

St Antoine 21 Sept/73

Monsieur

Je viens enfin répondre au désir que vous avez manifesté, le mois dernier pendant votre enquête à la Poudre d’Or, d’avoir par écrit la quantité de travail obtenu des Indiens engagés sur cette propriété et mise en regard du travail obtenu des engagés de St Antoine.

Je vous prie de m’excuser de ne l’avoir fait plutôt. Il m’a fallu attendre des notes précises des nouveaux employés de Poudre d’Or, pour me mettre à même de vous donner cet état comparatif avec exactitude. En outre, forcé comme je le suis par l’annonce de 1862 (strictement interprétée dans sa lettre aujourd’hui) de n’employer les hommes de Poudre d’Or qu’à Poudre d’Or seulement, quoique cette propriété soit limitrophe de St Antoine, et n’ait été acquise par moi que pour être annexée à mon usine centrale de StAntoine, j’ai dû attendre la coupe des cannes de Poudre d’Or pour vous donner les renseignements que vous me demandiez sur le travail comparatif et séparé des deux ateliers.

J’ai coupé 30 arpents de cannes à la Poudre d’Or du 22 au 3 Août, voici la note du travail et des résultats.

Août 22 50 coupeurs Charrois
23 60 Août 23 74
25 48 25 85
26 67 26 73
27 66 27 57
28 63 28 93
29 64 29 49
30 33 30 25
451 journées 456 charrettes
Soit une charrette par de cannes produites
homme par journée 120tt de sucre par charrette

Ainsi les coupeurs de Poudre d’Or, pour la seconde fois, ne m’ont donné que une charrette de cannes par homme. —
à St Antoine les hommes donnent deux charrettes à deux charrettes et demie par journée habituellement. Vers cette même époque, du 31 Juillet au 5 Août, pendant mon premier essai de coupe à Poudre d’Or, pendant lequel essai je n’obtenais que 3/4 de charrette en moyenne des hommes de Poudre d’Or, à St Antoine 176 journées de coupeurs produisaient 335 charrettes de cannes, c’est-à-dire 2 charrettes de 125tt par journée, et à l’heure actuelle le résultat est encore supérieur.

Au début, comme je vous le disais, les charretiers de Poudre d’Or ne voulaient faire que 5 voyages, quand les charretiers de St Antoine en faisaient 6 fort à leur aise. Mais je dois vous informer qu’à l’heure actuelle, pour ce travail, ils sont rentrés dans l’ordre, et les charretiers de Poudre d’Or font le même nombre de voyages que ceux de St Antoine.

De même pour le trouage: la tâche des Job contracteurs à Poudre d’Or était, je l’ai appris, de 150 fossés par homme; mais après le renvoi des Job contracteurs, les hommes de Poudre d’Or n’ont voulu faire, (travaillant toute la journée) que 100 et 110 fossés par homme; mais enfin, dans les derniers jours, 6 ou 8 hommes ont consenti à me donner 140 fossés par homme, et 1 h à 2 heures avaient fini leur tâche.

Quant au nettoyage, je ne puis que vous répéter ce que je vous ai déjà dit à savoir: que l’appréciation du travail de nettoyage est le plus difficile de toutes nos opérations; et je ne puis qu’ajouter que dans mon âme et conscience, l’atelier de Poudre d’Or m’a donné et me donne jusqu’ici qu’à peu près la moitié du travail qu’on a droit d’attendre de travailleurs bien payés, bien nourris, et bien soignés comme vous avez été à même de constater par votre enquête. Je suis enfin toujours à attendre la réalisation de la parole ou promesse qu’ils vous ont faite, à savoir: que n’ayant aucun sujet de mécontentement contre leur nouveau maître, ils vous promettaient de remplir convenablement leurs devoirs de serviteurs envers moi.

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Monsr Aug: Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

St Antoine 17 Sept/73

Bien cher frère en N.S.J.C.

Un mot à la hâte en réponse à votre dernière du 31 Juillet. Je suis accablé de besogne et de soucis. Départ pour France demain du frère de ma femme et de sa fille, Mr. et Mme. Gustave Rouillard. — Départ le mois prochain aussi pour la France de ma fille Edmée avec son mari et ses sept enfants; — la maison est pleine de partants et de visiteurs — Ma femme au lit encore, prise hier d’une de ces crises hépatalgiques ou coliques. Hépatite dont je la croyais à tout jamais débarrassée; enfin cette cinquième création de St Antoine dans laquelle il faut que je surveille tout moi-même, si je ne veux pas succomber dans mon essai d’association avec mes enfants pour l’exploitation de cette nouvelle terre reliée à mon usine centrale; etc. etc. enfin j’en ai de tout par dessus la tête, et je me suis surpris à envier votre sort et la satisfaction que vous me dites éprouver en vous retrouvant libre de vous livrer à votre travail de prédilection, à savoir: “l’Etude de la propagation de nos célestes doctrines, etc.” J’apprends aussi avec bonheur que vous êtes à même de poursuivre sérieusement l’achèvement du travail des “Psaumes”; et que vous “allez reprendre la révision de la mise en réimpression de la vraie religion chrétienne qui manque!! Quant à moi j’ai à peine le temps de lire une heure par jour dans ce moment.

Adieu je me réserve pour la malle d’Octobre; je vais tâcher de vous écrire par ma fille Edmée.

Votre affné frère en N:S:J:C:

P.S. Je vais tâcher d’écrire quelques lignes à Régis pour le consoler de sa déconfiture, dites lui toujours que je considère comme un succès pour lui d’avoir voulu affronter cet examen mal préparé comme il était; son courage sera récompensé; j’en ai la conviction, qu’il persévère; au bout du compte il n’y a perdu que l’argent qu’il a dû donner pour pouvoir se présenter, et je ne veux pas même qu’il en supporte la perte sur sa pension; vous m’obligerez de lui en faire le remboursement.
Toujours sincèrement.

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Mr Régis de Chazal
52 Rue Chaptal
Paris

St Antoine 17 Sep/73

Un mot dans la lettre de ta mère qui est souffrante. Annonce du départ par cette malle de Gustave Rouillard et famille, et par la malle prochaine de John et Edmée — Le consoler de son insuccès au dernier examen — ne pas perdre courage, il récupérera — (…?) Mr Harlé de le rembourser des frais qu’il peut avoir faits pour son examen non réussi.

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Monsr Aug Harlé
40 Rue de Bruxelles

St Antoine 13 Oct/73

Annonce du départ pour France de John Rouillard, sa femme et sa famille, Julie et François.

Recommandations (…?).

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Revd Jonathan Bayley
19 Richmond crescent
Barusbury(?)
London N:

St Antoine 13 Oct/73

Annonce du départ de mes enfants pour l’Europe, de leur projets d’aller au printemps à Londres. Recommandations à la bienveillante réception des membres de la Nlle Eglise d’Angleterre.

Etat de John qui n’est pas membre déclaré de la Nlle Eglise, mais qui prend part à toutes nos réunions et à notre culte; espérances que les relations sociales avec les frères de la Nlle Eglise en Angleterre le conduiront à accepter ouvertement le titre de membre de la Nlle Eglise en mettant de côté des craintes de la lutte avec la vieille société, dont parle Made Wolff en Algérie où il lui suffi de traduire et publier quelques sermons du Rd Bayley pour voir le vide se faire autour d’elle, et être mise à l’index par catholiques et protestants.

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Monsr Gustave Luvy(?)
Marseille

St Antoine 15 Oct/73

Annonce du départ des enfants — Recommandations à sa vieille et constante affection.

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Messrs Cail(?)
Paris

St Antoine (?) Janvier/74

Messieurs

Je vous prie de m’excuser de n’avoir pas répondu par la malle de Décembre à votre lettre du 3 octobre en réponse à la mienne du 20 Août. Une grave indisposition ne m’a pas permis de vous répondre plutôt.

Je vous remercie des renseignements que vous avez bien voulu me donner au sujet des pompes à irrigation et des machines hydrauliques qui faisaient l’objet de ma correspondance avec vous. Je ne puis que regretter que les conditions imposées par votre maison ne me permettent pas, comme je l’avais d’abord pensé de traiter directement avec vous, sans intermédiaire aucune, pour toute les machineries ou ustensiles dont j’eusse pu avoir besoin pour mes établissements sucriers dans cette colonie. En effet “quant au paiement” me dites vous il serait fait à Paris “dans les “termes suivants: 1/3 en espèces à la commande. 1/3 en espèces trois mois après la “commande. 1/3 lors de la livraison des machines dans nos ateliers. les frais “d’emballage, de transport et de montage restant à la charge des acquéreurs qui doivent “prendre livraison dans vos ateliers”.

Il est évident qu’il me faudrait un agent à Paris, pour prendre livraison, emballer, expédier, charger etc., de toutes commandes que j’aurais à vous faire, et m’acquitter définitivement envers vous à une époque, et dans un délai inconnu, puisque vous ne me faites pas connaître, quelle serait l’époque probable de livraison des machineries dont j’aurais déjà payé les deux tiers de valeur, dans les trois premiers mois de ma demande sans aucune obligation précise de livraison de votre part, même à la fin de l’année de ma demande.

Il est évident que je dois renoncer à toute opération directe avec votre maison, et que je désire faire usage des machines fabriquées à votre usine; je dois me pourvoir d’abord d’un agent à Paris qui serait chargé directement de mes commandes, de la livraison et de l’expédition des objets commandés.

Avec mes regrets de ne pouvoir donner suite à notre correspondance.
Recevez
Messieurs
l’assurance de ma parfaite considération.

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

St Antoine 8 Janvier/74

Bien cher frère en N.S.J.C.

Votre dernière du 21 Nov. m’a causé le plus vif plaisir. En même temps qu’elle m’informait de l’heureuse arrivée à Marseille de mes chers voyageurs, elle contenait la nouvelle du succès de Régis à son examen. Certes, c’est une douce satisfaction de voir Régis sortir enfin de cet état apathique qui faisait mon désespoir dans sa première jeunesse mais ce qui pour moi est d’un prix encore plus grand, c’est votre affection pour lui; c’est votre approbation de sa conduite; c’est surtout de vous voir aussi glorieux que moi de cette conquête de l’esprit nouveau sur le vieil esprit car comme vous le dites fort bien et avec vous je répète: “Je suis heureux de voir un des nôtres, un jeune garçon partageant nos principes, nos doctrines, vivant à la même école que nous, y faire honneur (comme vos fils) par ce caractère sérieux et consciencieux, et pouvoir être un exemple aux autres jeunes gens élevés cependant dans de pieuses familles — “. Oui, pour nous c’est une conquête; pour vous surtout, car c’est surtout à votre paternelle direction, à l’intimité de votre famille qui est la famille de mon fils depuis son séjour à Paris; c’est l’emprise surtout qu’avait Mme Harlé sur lui que je dois les derniers succès de Régis et que j’ai l’espérance de le voir devenir non pas seulement un ornement dans ma famille et dans me société mais un fils réel de la N. Jérusalem, un habitant de la sainte cité! Je ne cherche même pas à vous remercier; mes paroles ne serviraient à rien; il est une autre satisfaction que le Seigneur donne seul, et qui nous est commune, à cet égard; car la même pensée nous réunis; nous éprouvons la même joie lorsque nous assistons au progrès réel humanitaire que produisent ici-bas les doctrines célestes dont il nous a été accordé de répandre les premiers éléments autour de nous, et surtout dans notre famille. Merci, merci, merci. —

Je ne puis vous écrire longuement; mon damné rhumatisme, des occupations et préoccupations pleines d’anxiété remplissent mon existence. Vous les dire ce serait vous fatiguer peut-être inutilement; mes enfants vous en entretiendront sans doute. Ce qui me désespère, c’est d’être constamment retenu loin des occupations qui feraient mon bonheur réellement, s’il m’était accordé de m’y livrer sinon entièrement du moins d’une manière utile. — Mais comme je ne cherche jamais qu’à accomplir mon devoir dans les choses qui me plaisent même le plus. Je crois que je suis dans les voies de la divine Providence du Seigneur, et que je ne fais que ce dont je suis capable vers ce but que doit avoir tout disciple de la N. Eglise, à savoir: l’Etablissement, l’avancement du Royaume de Dieu sur la terre comme dans le ciel, dans ce céleste séjour dans lequel la base de l’ordre, c’est-à-dire du bien-être réel pour tous est que “Chacun est à sa place, remplissant la fonction convenable à son caractère et à ses capacités et par conséquent chacun doit être satisfait de son lot.”

Dont souvenirs et voeux de bonne année à tous ceux qui vous entourent.

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Monsr John Rouillard
Poste Restante
Paris

St Antoine 8 Janvier/74

Chers enfants

Je vous écris de St Antoine encore; il ne nous sera pas permis de nous réfugier contre les chaleurs du littoral, à Clary, que la semaine prochaine. Votre mère et ses soeurs vous donnent tous les détails que vous pouvez désirer sur ce contre temps aussi bien que sur tout ce qui s’est passé parmi nous depuis la dernière malle. Quant à moi, si je prends la plume, c’est parceque mon silence pourrait être interprété comme une preuve de mon indifférence envers vous, d’après le dicton Anglais.

(…?) qui peut être une triste vérité pour tous ceux que les biens naturels unissent seuls, mais qui ne peut être applicables à ceux qui comme nous, avons autre chose pour nous unir, qu’une vaine pensée mondaine. Non, si je ne me sens pas l’envie de vous écrire, c’est plutôt parceque je pense trop à vous, parceque je pense trop à cette immense distance matérielle qui nous sépare; parceque votre absence laisse un trop grand vide dans ce St Antoine où chaque objet chaque plante me rappellent les jours de bonheur que vous m’avez donnés, et que je ne retrouverai peut-être plus ici-bas. Car comme dit la légende: les morts vont vite en notre pauvre petite colonie; et que d’un autre côté, il me sera impossible d’aller vous rejoindre avant le terme fixé pour votre voyage. — C’est triste à dire; mais enfin il faut toujours envisager les questions de l’existence sous leur véritable jour c’est-à-dire, sous celui de la raison. Vous apprendrez par les lettres de votre mère, la plus part de mes soucis et de mes embarras. L’avenir le plus prochain de la colonie n’est pas couleur rose. 1° la coupe a été désastreuse, et 2° la coupe prochaine, dont les plantations en Oct. et Nov. étaient un beau début perdent chaque jour leurs brillantes couleurs, la sécheresse depuis un mois est intense; les cannes se flétrissent et languissent; il n’y a plus d’eau dans les rivières et dans les sources; tout le littoral, de la grand-baie surtout est presque perdu; ceux qui irriguent à la Rivière du Rempart ont à peine assez d’eau pour empêcher leurs cannes de mourir. __ quant à St Antoine et Poudre d’Or, si cette sécheresse continue 8 jours encore, toutes nos belles espérances de la coupe prochaine seront évanouies, ce sera encore comme l’année dernière une année de misère. Ajoutez à cela la crise financière, et la crise de la main d’oeuvre qui manque partout et vous pourrez comprendre comment il est impossible de livrer en d’autres mains que les miennes le gouvernail de cette barque agricole qui porte toutes nos espérances de bien-être matériel. __ Faut-il ajouter que si même tout souci disparaissait sous le rapport de la production, il y a des motifs encore plus graves qui me forcent (cette année du moins) à ne confier à nul autre qu’à moi-même la direction de mes affaires. Il me faudrait quelqu’un pour me remplacer, qui fut au moins dans la même pensée et la même doctrine que moi, pour la continuation de mes opérations, du moins jusqu’à ce que le sort de Poudre d’Or fut assuré, hors danger, et ce quelqu’un me manque complètement. Le moindre faux coup de barre en mon absence, comprometterait non seulement le sort de cette propriété, mais peut-être ma fortune entière. J’ai conclu hier un marché de $ 16.000, pour mettre un nouveau vide à St Antoine et arranger l’autre de façon à satisfaire aux exigences de la manipulation d’une belle coupe (…?) probable. C’est une forte dépense certes(?), si mes espérances s’évanouissent, c’est-à-dire une dette restante à payer si la coupe prochaine ne peut faire face comme l’année dernière à toutes mes obligations. __ il fait mettre en valeur Poudre d’Or, et cela sans s’endetter, c’est-à-dire avec le (…?) des fonds de St Antoine, de façon pourtant à ne pas léser les intérêts de St Antoine __ Mais seul je puis prendre des décisions convenables à cet égard. __ Enfin, et pour terminer, je suis forcé de veiller moi-même à l’exécution des détails de mes opérations parceque je n’ai personne qui me comprenne ou veuille me comprendre. __ Rodolphe sur qui je croyais avoir droit de compter, semble s’éloigner chaque jour de mes idées. Ce qui réunit les hommes entre eux, c’est une pensée commune, que ce soit en religion, ou en politique, ou en industrie, ce qui fait la force d’une nation ou d’une famille, c’est principalement la pensée religieuse, car cette pensée est la pierre fondamentale de tout ordre social. Comment s’entendre sur les moyens de bien-être matériel quand le but du bien-être est différent dans l’esprit. J’avais espéré pour mon affaire de Poudre d’Or, ramener Rodolphe vers notre pensée religieuse, par la pensée d’un bien-être commun matériel. Je crains d’avoir échoué. Rod. n’a vu dans cette affaire qu’un moyen d’arriver plus vite à un but qui est d’aller à Paris. __ Il voudrait brusquer; pousser l’opération à sa solution le plus vite possible. Dans mon opinion ce serait risquer l’avenir non seulement de Poudre d’Or, mais de tout St Antoine car Poudre d’Or ne peut vivre et progresser qu’avec l’appui et l’assistance de St Antoine qui ne peut être fait que lentement et avec mesure. De là divergence plus grande de nos pensées. Il avait chargé sa mère le mois dernier de me demander si j’irai en Europe cette année: dans ce cas a-t-il dit, je resterai à St Antoine mais si papa ne part pas, je vais faire un tour à Paris. Ainsi dans un cas comme dans l’autre, il m’est impossible de quitter la barre du gouvernail, puisque même, moi sur les lieux, j’ai toutes les peines du monde à voir imprimer à mes affaires agricoles la marche que je considère la seule rationnelle: que serait-ce si j’en confiais la direction à Rod. dont les pensées sont si différentes de la mienne __ l’avenir des miens, même en agriculture est ce que j’ai en vue; le présent est tout ce qui remplit la pensée de Rod. J’entends vivre sous les lois du Seigneur, Dieu créateur et conservateur de l’univers; lui ne comprend de la vie que ce qu’en comprenait ceux qui adorent le Dieu inconnu, c’est-à-dire le Dieu d’Epicure. J’aime à espérer cependant que le jour se fera tôt ou tard dans son esprit, il qu'(il viendra à mes (…?), c’est-à-dire à la doctrine de celui qui est le divin fondateur de cette civilisation Chrétienne qui nous a donné les jouissances matérielles mêmes qui sont l’objet de ses désirs, et que l’on pourra évidemment espérer conserver qu’en obéissant aux lois de son fondateur, c’est-à-dire en lui rendant le culte qui lui est dû. Que chaque jour chers enfants votre pensée soit tournée vers lui, c’est le seul moyen réel de bonheur dans quelque condition, dans quelque degré de la vie que vous vous trouvez. __

Je vais tâcher d’écrire un mot à Régis, en lui envoyant (…?) pour son diplôme de bachelier. Cette petite somme ne gâtera pas la satisfaction qu’il doit éprouver d’avoir bien accompli son devoir envers lui-même, sa famille, en se mettant à même de conquérir une place honorable par son travail dans le monde. (…?) maintenant le tour de mon petit François, et de Johnny, et de Maxime et de tous ces bambins qui seront je l’espère la gloire et la consolation de ma vieillesse. Je ne puis écrire à John en particulier, je le remercie de sa bonne lettre. Frédéric qui a dîné avec nous ces jours-ci m’a dit que la Savanne avait été éprouvé durant cette année, mais ce ne peut être comme nous. Enfin Espérance, avenir, confiance dans le Sauveur du monde, telle doit être notre pensée intime au milieu de toutes ces épreuves. J’embrasse particulièrement mes deux filles chéries. J’attends chaque malle avec impatience pour savoir ce qu’elles font dans ce beau séjour de France qu’il me sera sans doute pas permis de revoir jamais. Ma consolation est que je travaille de façon à leur permettre à tous de s’y établir définitivement un jour lorsque je ne serai plus de ce monde. En attendant, revenez, revenez le plus tôt possible.

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Mr Régis de Chazal
32 Rue Chaptal
Paris

St Antoine 8 Janvier/74

Cher Régis

Tu me pardonneras de ne t’envoyer que ces quelques lignes: je suis harassé de fatigue, de chaleur et de douleurs rhumatismales; les soucis ne me manquent pas! __ Heureux au milieu de mes tribulations, lorsqu’une bonne nouvelle vient faire diversion à mes tristes pensées. La nouvelle de ton succès à ton examen a été un vrai (…?) à toutes mes vicissitudes. Si l’expression de ma satisfaction peut augmenter la tienne personnellement, je te dirais que je suis heureux, heureux, très heureux de ta réussite. Te voilà Bachelier es-sciences de la Faculté de Paris! __ Mais ce n’est que le premier échelon de cette rude échelle qu’il te faut monter pour atteindre au sanctuaire des forces intelligentes de l’Industrie moderne; courage, courage! Que chaque jour, chaque mois, chaque année soit un échelon du progrès qui doit te ramener homme fait et vaillant parmi nous. __ Mr Harlé m’écrit à ton propos: “Je suis heureux de voir un des nôtres, un jeune garçon partageant nos principes, nos doctrines, nourri à la même école que nous, y faire honneur, comme mes fils, par ce caractère sérieux et consciencieux, et pouvoir être un exemple aux autres jeunes gens élevés cependant dans de pieuses familles.”

Après cet éloge de ton zèle et de ta conduite il faudrait s’arrêter; car ces paroles venant d’un tel homme, sont encore plus pour toi que ton diplôme de bachelier de la Faculté de Paris. Je dois cependant y ajouter ceci: n’oublie jamais que c’est surtout à la paternelle direction de Mr Harlé, à la tendre sollicitude de sa femme qui te traitait comme son propre fils que tu dois sans doute le courage qu’il t’a fallu pour vaincre et surmonter toutes les difficultés que tu as rencontrées au début de ton séjour à Paris. __ Ils ont été pour toi de véritables Anges protecteurs envoyés du Seigneur. __ Telle est, et telle sera toujours la force que nous rencontrerons pour nos entreprises dans la Sainte cité ici-bas, au milieu des disciples du Seigneur, lorsque nous vivrons suivant ses commandements. Continue, cher enfant, que ton exemple serve à ton jeune frère, à tes neveux; que ton nom dans les écoles de Paris soit pour eux un rempart un appui sur la route qu’ils doivent parcourir, comme toi; dans ce Paris appelé de nos jours la Moderne Babylone, mais destinée peut-être à être le vrai foyer de Lumière de la Nouvelle Jérusalem, dans l’avenir prochain que nous réserve l’Ere Nouvelle de Régénération sociale et religieuse promise pour et par le Second Avènement en Esprit de vérité.

Comme le vil (…?) (mais estimé à sa juste valeur) ne gâte jamais nos affaires en ce monde, je t’envois sous pli une petite somme de $ 100-” en traite de (…?).
C’est pour ton diplôme de Bachelier, comme pour tes étrennes de la bonne année qui s’ouvre pour toi.

Ton père (…?)

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Monsieur E: Rebreyend S: J.
de la Résidence de St F: Xavier à Port-Louis
et
curé par intérim de l’Eglise Ste Philomène
à la Poudre d’Or

Clary, Mesnil
25 Janvier/74

Cher Monsieur et Revd curé de Ste Philomène

C’est au Mesnil à Clary, mon refuge dans l’été contre les fièvres et chaleurs du littoral, que je reçois votre très amicale missive du 23 courant. Vous m’offrez en entrant dans la cure de Ste Philomène à Poudre d’Or vos voeux de bonne année, ayant dites-vous beaucoup entendu parlé de moi, et vous me souhaitez:
“1° de reprendre une belle place à l’Eglise de Ste Philomène, qui ne m’a pas oublié à la Poudre d’Or __
2° Une autre bonne place pour plus tard, au cimetière de cette paroisse
3° Enfin une dernière bonne place au ciel qui m’attend toujours, et qui dans le langage créole, (dites-vous) m’espère.”

Ces souhaits partent évidemment d’un bon coeur, mais d’un esprit peu éclairé, du moins quant à ce qui me concerne. Je ne puis que vous remercier, quoique je ne puisse ni les accepter ni désirer qu’ils se réalisent jamais.

En effet, vous devez savoir, puisque vous avez beaucoup entendu parler de moi, que depuis de longues années, ma foi est différente, de celle professée par les ministres de votre congrégation. Je ne crois nullement que votre place au ciel dépende de vos cérémonies funèbres ici-bas, encore moins de notre place aux cimetières de ce monde. Je crois encore moins que ma place dans le cimetière de l’Eglise Ste Philomène à la Poudre d’Or puisse m’être plus avantageuse que la place que je me suis réservé dans le cimetière du Port-Louis, où j’ai fait construire un caveau pour les dépouilles des miens, et pour mes propres dépouilles si ma destinée est de terminer ma carrière terrestre en cette colonie.

Je crois encore moins que ma place dans le ciel puisse dépendre de ce que je pourrais apprendre dans l’Eglise Ste Philomène sur la vie éternelle, dans le banc que vous désirez me voir acquérir dans cette église. Qu’importe le lieu que nous habitions, ou la place que nous occupons en ce monde pour la vie éternelle, qu’importe la terre qui recouvre nos dépouilles pour le sort de notre âme. N’est-ce pas l’état de notre âme en quittant ce monde, d’après la vie, bonne ou mauvaise que nous y avons mené qui décide de notre sort à venir? N’est-ce pas l’enseignement du Divin Maître que vous professez servir comme moi? N’est-ce pas la promesse solennelle de notre Tout Puissant Créateur, Rédempteur et Sanctificateur, d’après ses deux Testaments? L’Apocalypse les résume: “Ici, ceux qui gardent les commandements de Dieu, et la foi de Jésus! — heureux les morts qui dans le Seigneur meurent dès maintenant! — car leurs oeuvres suivent avec eux.” Apo.XIV. 12,13,14. C’est la parole du Seigneur qui fait la base de toutes nos croyances. C’est la vie suivant ces préceptes en qui je confie toutes mes espérances. C’est dans Sa doctrine que je cherche l’intelligence de toute chose. Depuis bientôt 20 années, je me nourris, et nourris tous les miens de cette manne Céleste.

Dans une de mes demeures, soit à la Poudre d’Or, soit au Port-Louis, ou ici au Mesnil, il y a toujours un lieu consacré à cet enseignement. Dans une de mes demeures, soit à la Poudre d’Or, soit au Port-Louis, ou ici au Mesnil, il y a toujours un lieu consacré à cet enseignement, non seulement pour le jour du Sabbat du Seigneur, mais pour tous les jours de la vie. En retour de vos bienveillants souhaits de bonne année, à ce renouvellement de nos jours, puis-je me permettre de vous offrir une place autour de cette chaire de vérité élevée dans ma maison au Nom de notre Dieu et Seigneur, Sauveur du monde, au Nom du Christ ressusciter, de Jésus Glorifié?

Jusqu’ici vous n’avez entendu que le glas funèbre des cloches de Jésus mort sur la croix, du Christ au tombeau. Peut-être qu’en entendant le cantique nouveau que nous répétons ici-bas en réponse(?) à l’Allelouia des (…?) à la nouvelle de la reconnaissance définitive dans tous les degrés de la Toute Puissance du seul Dieu de la terre et du Ciel, Créateur, Rédempteur et Sacrificateur, peut-être verrez-vous clairement comme je l’ai vu moi-même que notre place ici-bas dans les cimetières ne peut décider de notre place au ciel dans l’autre vie, et que vous répèterez avec nous ce chant de gloire qui doit mettre fin à toutes nos souffrances et à toutes nos erreurs en ce monde: “Allelouia, le salut et la gloire et l’honneur, et la puissance au Seigneur notre Dieu! Allelouia, parcequ’Il règne le Seigneur notre Dieu tout Puissant.” (Apo. XIX- 1, 6-).

Dans l’espérance qu’une pensée commune nous réunira un jour dans la maison de Dieu comme dès ici-bas le désir du bien-être de notre prochain nous a mis en relation l’un avec l’autre.

Croyez moi mon cher Monsieur en N.S.J.C.

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Monsieur François de Chazal
Chez Monsr de Jonquières(?)
2 Rue de Ponthieu
Paris
Clary 2 fev/74

Le remercie de ses lettres. L’encourage dans l’expression de ses impressions de voyages etc. etc __

Lui recommander de bien travailler, de bien étudier, de grandir dans le monde par les connaissances, pas pour moi, ni pour mon nom, mais pour pouvoir mieux servir Dieu en étant utile à ses semblables ici-bas, etc… __ D’étudier la Parole; de bien obéir à Julie et John etc… __

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Mr John Rouillar

Clary 2 fev/74

Exposé de notre situation agricole et commerciale. __ Triste __ sécheresse intense déc: et Janvier. __ petit cyclone du 28 au 30 Janvier qui nous a donné de la pluie et remis en état nos plantations etc.

Faillites, culbutes des propriétés à guano(?) __ maison (…?) arrêté ses opérations (…?) __ vente des propriétés Pouquet, Duval __ etc

(…?) d’acheter (…?) Grandville (…?) à St Antoine; projet dans lequel je n’entrerai pas et que je n’approuve pas. etc

Tristesse de (…?) abandonné depuis leur départ etc __ Impossibilité pour moi d’aller les rejoindre pendant leur séjour en Europe. __ etc

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Aux enfants
à Paris

Clary 2 – 4 fev/74

Même thème, à peu près, qu’à John. __ Affaire de Mesr Moon, sa bouderie de ce que je n’ai pu lui donner des travailleurs pour ses embellissements aux Vacoas, et de ce que je blâme sa manie de bâtir et de se créer des coins au lieu de vivre tranquille de ses petites rentes __

Retour de St Antoine, triste aspect encore de la coupe prochaine __ il nous faudra beaucoup d’eau pour nous refaire des effets de la dernière sécheresse __

Projet du Gouvernement de vendre le Réduit à Antelme et de se bâtir une maison de plaisance à Curepipe __

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

Clary 4 fev/74

Annonce que nous voilà à Clary, notre lazaret contre les fièvres et les chaleurs __

Les soucis d’agriculture ont disparus pour moi, mais non les soucis de la vie morale et intellectuelle. Il semble que plus je rentre en moi même plus j’ai sujet d’être mécontent de tout ce que je fais, de tout ce qui m’arrive. Je passe ici mon temps à lire et à méditer. Mes lectures me portent à penser que nous marchons à grands pas vers le but de l’Ere nouvelle; mais lorsque j’examine ce que nous faisons, nous premiers pionniers de la pensée nouvelle qui doit remplir le monde de la gloire du Seigneur, je trouve que nous sommes comme encombrés sur la route de la Nouvelle Jérusalem; et que, tandis que ceux qui ne connaissent pas la Doctrine, avancent à grands pas vers la vraie Lumière, nous qui avons charge de répandre la Doctrine du Seigneur, nous restons pour ainsi dire les bras croisés, sans savoir pourquoi; je m’explique:

Les derniers ouvrages que j’ai reçus d’Europe témoignent du progrès qui se fait parmi les lettrés chrétiens vers la vérité chrétienne: Ainsi la Revue des deux mondes (…? 15 déc.) contient plusieurs articles de la plus haute importance et constatant le progrès de l’esprit humain dans la voie spirituelle; entre autres “Physiologie des Passions” par Fernand Papillon; “l’anté-christ” de Renan critiqué par Albert Réville; et des articles de critique historique sur les évolutions sociales dans un ordre d’idée tout différent de celui suivi dans le passé; c’est-à-dire, avec un esprit de recherche des causes spirituelles, et non des constatations des faits matériels seulement. Il serait facile aux membres de la Nouvelle Eglise d’élucider beaucoup des questions qui semblent embarrasser les savants de nos jours; mais je ne vois même pas de traces de travaux ou de tentatives faites dans cette direction. __ Pour ne parler que du sujet qui m’a occupé ces jours-ci: “L’Anté-Christ de Renan” c’est sans conteste, dans mon opinion un ouvrage de grande portée. Mr Renan nous donne des renseignements historiques précieux; il prouve par des documents historiques aux Protestants, que l’Evangile de Jean est bien de Jean; que l’Apocalypse est bien de lui aussi, et non un livre inventé à plaisir comme le prétendent ceux de l’école de Baur, (…?) et de Tubingue(?). En outre il détruit par son exégèse (d’après le sens littéral comme les Protestants) l’exégèse Protestante qui prétendait que Paris est la Babylone qu’avait vu le Prophète dans ses écrits, et l’anté-christ ce Napoléon que les Prussiens devaient exterminer et dont ils devaient détruire la capitale par le fer et par le feu avant que les Elus puissent posséder la terre; et autre énormité de ce genre que les fervents Protestants répandent depuis plusieurs années dans le monde, et qui ont été, je n’en puis douter, une des causes des dernières guerres chrétiennes et du trouble social Européen actuel. __ Il est vraiment curieux de voir comment Renan leur prouve que l’anté-christ qu’avait en vue Jean était Néron! __ comment la ruine de Jérusalem ou de la Théocratie Juive devait être le moyen de l’établissement de la civilisation Romaine, à l’ombre de laquelle a pu s’établir le christianisme, c’est-à-dire à l’ombre du droit civil naturel, civilisation que Mr Renan considère comme la seule rationnelle et juste, traitant de billevesées presque ou de fantastiques toutes les idées chrétiennes spirituelles. __ Il se trouve cependant embarrassé plusieurs fois; il ne peut expliquer ce que c’est que Armaguedon, et la raison de ces nouvelles guerres; ni plusieurs autres choses qu’il ne peut expliquer par les événement de cette époque. “Avec le voyant de Patmos (dit-il page 479) nous découvrons cependant l’Idéal, et nous affirmons que cet idéal se réalisera un jour!!” C’est tout de même étrange de voir ceux-là même veulent et croient pouvoir réduire le christianisme à de simples légendes (…?) par des enthousiastes, de les voir affirmer le caractère de grandeur et de vérité des livres saints, leur rendre l’authenticité historique même que prétendait leur enlever “ces esprits de démons assemblés pour la guerre de ce jour grand du Dieu Tout Puissant, dans le lieu appelé en hébreu Armaggedon” __ ce qui embarrasse tellement notre profond savant de l’Institut Français, et qu’un disciple de la Nouvelle Jérusalem pourrait si facilement lui expliquer?

“N’est-il pas temps Seigneur que tu opères? Devons nous rester encore longtemps aussi cachés sous ton autel avant que le chant de gloire des cieux, l’Allélouïa solennel puisse être ouvertement répété ici-bas par tes rachetés?” __

Adieu mon frère __

P.S. Je suis tombé ces jours-ci sur le n° 9 du IIIe vol: de votre “Echo” __ Je reproduisais à cette époque (nov: 1864) un article de votre revue de notre bien aimé frère Le Boys “de la cause du retour aux idées religieuses”, et moi-même je publiais un autre article sur ce que dit notre auteur sur le Gentillisme chrétien, à savoir: “que les catholiques Romains peuvent être introduits plus facilement que les Réformés dans la Nouvelle Jérusalem!”

Il y a 10 ans de cela!!

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Monsr L: Ele(?) Michel
Port-Louis

Clary – 6 février 1874

Mon cher Michel

J’ai reçu hier la copie que tu m’as fait parvenir de ta lettre à (…?), sous la date du 2 courant; afin que je n’en ignore!

Tu renvois à (…?) ma correspondance avec le Rd père Rebreyend, au sujet des propositions que m’a faites ce dernier; correspondances que tu t’étais cependant chargé de faire circuler dans le public d’après arrêté de votre dernière assemblée et tu dis: “que tu n’en informerai pas le public, par la raison que l’abbé XX me prie de cela à la fin de la lettre; et parceque toutes ces dames et tous ces messieurs (dans la famille à laquelle tu avais lu cette correspondance) sont de ton opinion”.

Tu ajoutes: “Le rôle de la Nouvelle Eglise n’est pas d’attaquer, encore moins une correspondance privée; que j’ai bien répondu à l’abbé, mais que tout cela est tout-à-fait personnel et ne doit pas aller plus loin”.

Toutes les opinions sont dit-on respectables. __ Mais qu’entend-on par respectable?
Ce ne peut être d’approuver toute opinion, quelle qu’elle soit: fausse ou vraie!
On ne peut entendre par respecter toutes les opinions que laisser chacun libre d’adopter et de suivre celle qui lui convient.

Je dois donc m’offenser de l’opinion que tu professes ainsi que ces messieurs et ces dames sur ma conduite au sujet de cette correspondance. Cette opinion est dure; votre blâme sévère. Je ne suis accusé, d’après ta lettre, de rien moins que d’avoir manqué aux plus élémentaires lois de la convenance ou d’honneur, en voulant rendre public ce que j’étais tenu de tenir secret; je suis en outre accusé par toi d’attaquer inutilement mon prochain, ce qui n’est ni l’enseignement ni la vie de la Nouvelle Eglise.

Je l’avoue, j’ai beau chercher je ne trouve pas comment un acte blâmable en n’obtempérant pas au désir manifesté par le Revd Rebreyend de garder pour moi seul, et bien secrètes, les étranges propositions qu’il me fait, et si je ne les accepte pas; de n’en pas même informer mes amis!

Un des deux; ou le Revd Père a une intention mauvaise, ou il en a une bonne; __ ou il est dans le vrai en me disant de le suivre pour aller au ciel, ou il est dans le faux en me disant que je suis moi-même dans une fausse vie, et que je dois revenir ou me mettre sous la protection de l’Eglise romaine qui seul a les clefs du salut.

J’ai supposé une bonne intention; mais comme je connais l’erreur dans laquelle est ce revd abbé, je la lui ai signalée; j’espérai que ce petit commencement de relations mènerait à une discussion approfondie des doctrines respectives qui font la base de nos consciences individuelles. __

Les principes qu’il professe sur la mort et sur la vie éternelle nous sont montrés par l’esprit de vérité comme les plus subversifs de la conscience chrétienne, et par conséquent du salut humanitaire, à l’heure actuelle. En effet ils reposent sur l’idée que le Divin pouvoir d’ouvrir et de fermer le ciel appartient au vicaire du Christ, d’après une fausse interprétation de ce passage de la Parole qui donne à Pierre les clefs du Royaume des cieux; ce pouvoir serait transférable manuellement ou par imposition des mains du Vatican à tous les délégués du souverain Pontife ou prêtres catholiques consacrés par Rome. Ce pouvoir s’exerce principalement à l’heure de la mort, par le moyen des cérémonies funèbres, par l’eau bénite sur les morts, sur les cimetières qui sont sanctifiés par ce procédé. __ Telle est pourtant la dernière forteresse du pouvoir qui prétend à la domination universelle. Ne faut-il pas que cela s’écroule à mesure que l’Esprit de vérité peut pénétrer dans le monde?

Le Revd Rebreyend me croyant sans doute mur pour la moisson catholique, c’est-à-dire près de la fin de ma carrière, et me croyant inquiet sans doute de cet avenir, qu’on appelle l’Inconnu, et dont le clergé catholique s’arroge le droit de disposer à son gré, à cause de l’ignorance même générale sur ce sujet, le Révérend père de la mission St François Xavier a cru le moment favorable de me faire rentrer sous l’obéissance catholique en m’en offrant les faveurs terrestres et célestes c’est-à-dire une place dans le cimetière de Ste Philomène et une meilleure place au ciel sous la protection du souverain Pontife de Rome.

Je refuse ses offres; je lui donne mes raisons; je désire en informer tous ceux auxquels je m’intéresse, car c’est leur signaler le piège ou le danger des fausses croyances; je voudrais même ouvrir les yeux des conducteurs aveugles qui dominent encore le monde; j’en appelle au Revd Rebreyend lui-même dont je crois les intentions bonnes, mais les vues fausses; je lui demande si son enseignement sur cette question de la mort est la même que l’enseignement du Divin Maître qu’il professe servir comme moi!

Tu appelle cela conduite blâmable, attaque personnelle, rôle indigne d’un disciple de la Nouvelle Eglise; tu renvoies toute ma correspondance; il faut que tu t’en laves les mains! car c’est l’opinion de ces messieurs et de ces dames!

En vérité, mon cher Michel, bien étrange est ta pensée sur toutes ces questions!

Ne faut-il pas que les erreurs soient dissipées dans le monde avant que la vérité puisse y prendre racine? N’est ce pas le devoir du disciple du Seigneur de chercher à les dissiper dans le degré même de vérité dans lequel chacun peut être mis personnellement par le Seigneur? Qu’est ce que la Rédemption elle-même, sinon la destruction ou l’éloignement du pouvoir des Ténèbres par Dieu en Personne? Tout progrès humanitaire ne s’est-il pas opéré, peut-il s’opérer autrement que au moyen de questions personnelles et par un moyen personnel?

Interroge la Parole; interroge l’histoire, interroge notre propre histoire, à nous, ici, à Maurice, et tu verras si un seul progrès s’est accompli autrement que par une question personnelle et par un moyen personnel. Tu verras si c’est attaquer les gens et manquer aux lois de l’honneur que de signaler leurs erreurs; tu verras quelles choses nous devons tenir secrètes; tu verras enfin qu’il ne suffit pas que quelqu’un nous dise: gardez moi le secret pour que nous le gardions lorsqu’il s’agit du bien-être du prochain mis en péril par le secret même qu’on veut nous imposer.

Comment n’as-tu pas vu que la persistance de tes amis catholiques à vouloir tenir secrète la correspondance du Revd Rebreyend que cette persistance est la preuve même du grand intérêt que referme cette question. Ils sentaient d’après la vérité de mes observations, chanceler sur sa base la dernière forteresse des erreurs(?) catholiques; ils redoutaient de voir la lumière se répandre sur ce sujet. L’homme est ainsi fait que l’habitude est une seconde nature pour lui; __ il se complait dans l’erreur dans laquelle il vit, il la préfère à la vérité qui dérange son existence; c’est ainsi que le prisonnier après de longues années de captivité, habitué aux ténèbres de la prison refuse même d’en sortir et redoute le jour qu’il retrouve la liberté.

Comment as-tu pu confondre les obligations du secret professionnel avec une semblable énigme du secret, purement et simplement parcequ’il est demandé. D’après quelle loi est-on tenu d’obéir à l’injonction du secret, si la chose à garder est ridicule, ou crime projeté, ou erreur compromettant le bien-être de vos semblables? D’après quelle loi étais-je tenu de tenir secrètes les propositions qui m’étaient faites de reprendre une place dans l’Eglise catholique, une meilleure place dans leurs cimetières, et une place encore meilleure dans leur ciel? Propositions évidemment ou ridicules, ou méchantes, ou erronées quoique dictées par un sentiment bienveillant. J’ai choisi la dernière hypothèse c’est-à-dire un bon sentiment mais un esprit imbu de (…?). Où donc est ma faute? (…?) de doctrine ou de religion dans lesquels cependant l’abbé ne se serait pas encore confirmé et par conséquent qu’il peut encore rejeter ici-bas. Et si j’avais accepté ses propositions, le Revd Rebreyend n’aurait-il pas publié la chose pardessus les toits? Mon droit n’est-il pas donc le même que le sien?

En vérité je comprend difficilement comment l’opinion de toutes ces dames et de tous ces messieurs ait pu décider de la tienne.

Crois moi toujours ton…

P.-S. Puisque les opinions sont libres, je suis libre aussi je pense de donner à cette correspondance la publicité que tu crois devoir lui refuser. Je vais donc la faire imprimer, ainsi que ma correspondance actuelle avec toi à ce sujet; un petit nombre d’exemplaires, juste le nécessaire pour faire voir à nos amis pourquoi la Nouvelle Eglise s’établit si difficilement parmi nous, à savoir: nos dissentiments sur les questions les plus essentielles de la vie, parceque nous ne voulons pas étudier suffisamment et avec zèle la doctrine qui doit conduire l’humanité au bonheur en la Régénérant, ce qui ne peut être fait sans que les erreurs dans lesquelles nous sommes ne soient dissipées avant le vrai et le bien de la vie.

La lumière ne nous a pas été donné pour être mise sous le boisseau.

Le mystère et le secret sont les mots d’ordre dans la Babylonie; mais dans la Nouvelle Jérusalem nous ne devons pas craindre de mettre tout au grand jour. __

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Monsr Lu: Em: Michel
Port-Louis

Clary 13 fev/74

Mon cher Michel

Je voudrais ne pas répondre à ta dernière lettre du 10 courant; mais j’y suis forcé.

Tu me répètes dans cette lettre tout ce que tu avais déjà écrit à Achroyed au sujet des propositions du Révérend père Rebreyend, mais tu y ajoutes les plus étranges arguments pour prouver que tu es dans le vrai, c’est-à-dire qu’il faut que tu aies quand même raison dans ton blâme de ma conduite.

Tu me compares à un diable qui se débat dans un bénitier! Ta comparaison n’est guère heureuse, tu l’avoueras: car à la fin de ta lettre tu dis cependant que j’ai bien répondu à l’abbé! Comment puis-je bien répondre à l’abbé et me débattre en même temps comme un diable dans un bénitier? Ou crois-tu à la vertu de l’eau bénite ou tu n’y crois pas; ou tu sais ce que c’est que le Diable et Satan, ou tu ne le sais pas. Si tu ne crois pas à la puissance miraculeuse de l’eau bénite, et si tu sais ce que c’est que le diable, il devrait être évident pour toi que si la vérité est de mon côté, elle ne peut être en même temps au fond du bénitier de l’abbé.

Sois conséquent avec toi même lorsque tu veux blâmer. Prouve que mon action était mauvaise; montre d’après quels principes j’avais tort de refuser les propositions de l’abbé, et de lui répondre ouvertement que la voie de mon salut n’était ni sur les bancs de l’Eglise Ste Philomène ni d’être enterré dans son cimetière sanctifié par son eau bénite, ni enfin dans le ciel dont il aurait les clefs et dans lequel nul ne pourrait entrer que sous la protection et avec la permission des délégués du vicaire du Christ! __

Tu te contentes de me dire que c’est une faute de parler ouvertement des propositions de l’abbé parcequ’en les faisant il m’a prié de n’en pas faire mention, même à mes amis. Quant à moi, je crois que les trois quarts du temps la demande du secret est stupide, ou renferme un but inavouable, méchant ou hypocrite; car si ce qu’on veut confier ne doit pas porter préjudice, à quoi bon le secret; et si cela doit porter préjudice, il est évident que le vrai moyen de garder la chose secrète, est de n’en pas parler du tout. Je t’ai demandé d’après quelles lois Divine ou humaine j’étais tenu de garder secrètes les propositions de l’abbé, tu me réponds:
1° parceque le secret m’est demandé! “parceque c’est une question personnelle ne se référant qu’à moi seul et non au public”!… que l’abbé dans sa simplicité de coeur et d’esprit, et “en face de Dieu croit faire une oeuvre éminemment chrétienne, en tâchant de ramener à son berceau une brebis égarée, en me proposant pour ma régénération les trois choses mentionnées dans sa lettre?…
2° Tu ajoutes que “c’est afin que son oeuvre soit parfaite (encore devant Dieu) qu’il me demande le secret; et que dans cette oeuvre de charité accompli de lui-même le Révérend Père n’a aucune intention de me vexer ni d’attaquer la Nouvelle Eglise à laquelle je fais profession d’appartenir etc etc…
3° “Peut-on prévoir, dis-tu, si tu ne gardes secrètes ces propositions jusqu’où les choses peuvent aller du côté du clergé et de ses co-religionnaires qui me reprocheraient sans cesse par la voix des journaux cette question morale de n’avoir pas voulu garder un secret qui m’aurait été confié etc etc…
4° Tu t’en épouvantes pour toi et pour la Nouvelle Eglise et “tu me le dis sincèrement, devant le Seigneur, si les choses viennent à cette extrémité tu en auras honte!”
et pour raison finale
5° “Le Seigneur recommande la paix, obéissons Lui!” __

Il devrait suffire de te remettre sous les yeux tes étranges arguments pour te faire voir qu’il n’y a rien de vrai dans tout cela, car je ne suis pas plus le diable qui se débat dans le bénitier de l’abbé que la brebis égarée que le Seigneur recommande à ses disciples de ramener au bercail. La vérité au contraire est que je suis un de ceux auxquels le Seigneur a dit “Sortez du milieu d’elle, mes peuples afin que vous ne participiez pas à ses péchés parcequ’ont atteint ses péchés jusqu’au Ciel.” (Apo: XVIII; 4,5) et qu’à cette voix j’en suis sorti; et que la proposition qui m’est faite d’y rester comme brebis égarée n’est nullement une oeuvre parfaite devant Dieu, comme tu dis, ni d’autant plus parfaite qu’elle serait secrète, et que le secret doit être gardé pour ne pas blesser la modestie de celui qui l’a faite sans doute.

Si l’action de l’abbé est une oeuvre de charité et parfaite devant Dieu, comment pourrait-il s’offenser si j’en parle, à cela au point que je doive redouter pour moi et pour les miens les conséquences terribles de la colère de son clergé et de ses co-religionnaires?

Il est évident mon cher Michel, tu ne t’es même pas donné la peine de réfléchir avant de me blâmer et de m’écrire.

A l’heure où je recevais ta lettre, j’étais à étudier la “Vrai Religion Chrétienne” vol. 2 – chap. V. __ “Décalogue expliqué quant à son sens externe et à son sens interne.” Je lisais dans le même temps le Ps: CXXXIX dans lequel il est dit: verset 21. “Seigneur, ne haïrais-je pas ceux qui te haïssent? Et ne serais-je pas indigné contre ceux qui s’élèvent contre Toi?”

Relis ce chapitre, médites sur ce verset; et tu y trouveras la condamnation de tout ce que tu m’écris au sujet des propositions du Révérend Rebreyend.

Permets moi d’ajouter ces quelques réflexions:
Dans l’explication de la loi du Sinaï qui est la base même du salut humanitaire et je puis dire la loi de la Rédemption, l’Envoyé du Seigneur nous fait voir clairement que nous devons fuir le mal comme péché contre Dieu, extirper l’erreur de ce monde, avant que nous puissions recevoir du Seigneur le bien et le vrai de la vie éternelle dont la loi du Sinaï est la base première et fondamentale.

Swedenborg nous prouve également que nous sommes parvenus à cette époque où il n’est plus permis (sans danger de ruine irrémédiable pour l’esprit humain) d’avoir une fausse conception de la Divinité, car la connaissance de Dieu créateur et conservateur de l’Univers est la clef de toutes les connaissances qui nous conduisent à l’intelligence et par conséquence à la sagesse dans tous les degrés de la vie. Il nous dit (page 12 N° 296):
“tous ceux qui connaissent et adorent un autre Dieu que le Seigneur Sauveur Jésus-Christ, lequel est Lui-même Jéhovah dans une forme humaine pèchent contre le premier précepte de la loi du Sinaï, pareillement aussi ceux qui se persuadent qu’il y a trois Personnes Divines de toute Eternité existant en actualité” etc etc.

Il nous montre clairement aussi que la foi en trois Personnes Divines de toute éternité, est la cause de la ruine de la première Eglise apostolique, la source de tous les maux et de toutes les erreurs de l’humanité chrétienne; erreurs dont la plus fatale est la Doctrine de la foi sans les oeuvres, ou la foi aveugle, résultat de l’adultération et de la falsification de toutes les vérités chrétiennes, foi stérile et impuissante pour le salut; car alors, les oeuvres mêmes morales et de charité que l’on fait, n’ayant pas une origine spirituelle, sont faites d’après soi-même et non d’après le Seigneur, puisqu’on ne reconnait pas que de sa divinité suprême et unique nous viennent les facultés de la vie du bien et du vrai, et puisqu’il est reconnu par tous que de lui-même, sans Dieu, l’homme ne peut rien.

Tu le sais comme moi tel est l’enseignement de cet admirable traité de la Vrai Religion Chrétienne, un des derniers ouvrages de Swedenborg, résumant pour ainsi dire tous ses ouvrages précédents et renfermant toute le théologie ainsi que la Doctrine de la Nouvelle Eglise qui est le couronnement de toutes les Eglises.

Swedenborg nous fait voir également que le dernier état d’infirmité de la nature humaine déchue est la perte complète de l’entendement du vrai, faculté dernière de l’homme, par laquelle il pouvait être ramené par l’enseignement divin à l’amour de Dieu et du prochain, c’est-à-dire à la volonté du bien de la vie. Il nous dit le sort, dans l’autre vie, de ceux qui ont détruit cette faculté chez eux; on y arrive par la confirmation de l’erreur Religieuse ou doctrinale en ce monde; ce dernier état, cet abrutissement complet de l’homme est à croire qu’il n’y a de vrai que ce que l’homme fait vrai, par les moyens ou facultés qui lui ont été donnés de confirmation de ce qu’il aime ou veut penser ou croire. __ Ceux qui arrivent à cet état se croient plus intelligents et plus sages que tous; ils ne croient pas en Dieu, ils ne croient qu’en eux-mêmes, ce qui est la pire de toutes les folies humaines.

Quant à la véritable intelligence, voici comment Swedenborg la formule:
“Pouvoir confirmer tout ce qui lui plaît n’est pas le fait de l’homme intelligent, mais pouvoir voir que ce qui est vrai est vrai, et que ce qui est faux est faux et confirmer cela; c’est là le fait de l’homme intelligent” (Page 50, 51).

D’après ce rapide exposé et quelque incomplet qu’il soit de la Vraie Doctrine Chrétienne il me semble que tu dois voir comme moi qu’il est évident:
1° que l’acte du Revd Rebreyend n’est pas une oeuvre parfaite devant Dieu puisque, comme tu le dis toi-même, elle est accomplie de lui-même et que nous savons en outre que la foi de l’Eglise à Laquelle il appartient, et dans laquelle il désire me faire entrer comme brebis égarée, que sa foi, dis-je, est la foi en trois Personnes Divines de toute Eternité existant en actualité. __
2° Qu’il n’y a rien de plus faux que d’attendre sa régénération ou son salut du pouvoir humain qui prétend se substituer par une fausse interprétation des Paroles du Seigneur à Pierre, dans le Divin Pouvoir du Seigneur en ce monde et dans l’autre.
3° Que c’est haïr le Seigneur, s’élever contre Lui, et non Le servir, que de vouloir prendre sa place dans le Gouvernement de l’Univers ou de la conscience humaine;
4° Que l’erreur religieuse ou doctrinale dans laquelle est évidemment l’abbé peut être fatale pour lui dans la vie éternelle et pour tous ceux dont il est ici-bas le conducteur, s’ils se confirment dans cette foi ou cette pensée que c’est le pouvoir humain qui siège au Vatican fait vrai est le vrai,
5° Que par conséquent ce n’est pas une obligation pour moi de tenir secrètes les propositions du Révérend père Rebreyend, mais au contraire que c’est mon devoir envers Dieu et le prochain d’en signaler le danger non seulement au Révérend abbé lui-même et à ses amis, mais à tous. Car tous sont appelés au salut par la Rédemption, et tous sont en péril si la doctrine actuelle du Vatican prédominait dans le monde.

Quant à la crainte que tu éprouves au sujet des extrémités auxquelles peuvent se porter le clergé et les co-religionnaires de l’abbé, permets-moi de ne pas la partager, non plus que la honte qui, tu le dis, peut résulter de la publication de notre correspondance, pour moi et pour les disciples de la Nouvelle Eglise en cette colonie. Le Seigneur ne nous dit-il pas: “Je vous dis à vous, mes amis: Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et après cela n’ont pas pouvoir de rien faire de plus. Mais je vous montrerai qui vous devez craindre: craignez celui qui après avoir tué, a pouvoir de jeter dans la (…?); oui, vous dis-je, celui-là craignez le.” __ (Luc XII: 4,5.) car la Divine Providence est en toute choses, et sa volonté est que son Royaume soit établi par sa Doctrine en ce monde comme dans le ciel. __

Evidemment la paix que tu désires que je garde n’est pas la paix dont parle le Seigneur et que seul il peut nous donner; car tu parles de la paix avec le monde, et pour avoir la paix du Seigneur, il nous faut au contraire entrer en lutte avec le monde, par les combats et les tentations. Le Seigneur nous dit lui-même: “Je suis venu apporter non la paix mais l’épée dans le monde. Vous serez haïs à cause de mon Nom. Mais si vous ne me confessez pas devant le monde, Moi, non plus je ne vous confesserai pas devant mon père et devant ses anges dans les cieux.” et dans tant d’autres passages de la Parole.

Qu’est-ce-que confesser le Seigneur, si ce n’est voir et reconnaître que ce qui est vrai est vrai, et le confirmer devant les hommes par tous les moyens en notre pouvoir, sans crainte du pouvoir des Ténèbres.

Je conclus en te disant que je persiste dans ma résolution de mettre au grand jour cette correspondance par la presse qui est le principal moyen du triomphe de la vérité ici-bas. __

Crois moi toujours ton affec…

P.-S. Y a-t-il des lois du secret? N’y en a-t-il pas? __ Je ne les connais pas et voici ce que je pense à ce sujet.
1° Dans la vie spirituelle ou l’autre vie il ne peut y avoir rien de secret d’après les paroles du seigneur et ses disciples: “Premièrement gardez vous du levain des Pharisiens, qui est l’Hypocrisie. Or il n’est rien de couvert qui ne doivent être découvert, ni rien de caché qui ne doive être connu. Toutes les choses donc que dans les ténèbres vous dites, dans la lumière seront entendues; et ce dont à l’oreille vous aurez parlé, dans les cabinets, sera publié sur les toits” (Luc XII – 1, 2, 3).
2° L’obligation de tenir secrètes certaines choses ne peut donc exister que dans la vie naturelle, et cette obligation n’existe pour ainsi dire que d’après les lois de la conscience ou pour les convenances sociales, ainsi:
3° on doit garder le secret ou ne pas divulguer tout ce qui peut porter atteinte au bien-être réel du prochain;
4° mais on doit être tenu au contraire de faire connaître tout ce qui peut lui nuire, lors même que le secret est demandé sur la chose dont on est informé.
5° Chacun doit donc être maître de juger ou d’apprécier ce qu’il doit tenir secret ou divulguer, même lorsque la chose a été donné sous secret; ce qui ne peut être évidemment fait qu’aux risques et périls de la personne qui reçoit le secret, et envers la personne informante.
6° Il n’y a le secret qu’on ne confie qu’après un serment préalable. Dans mon opinion le serment devient nul et le secret ne doit pas être gardé si le secret confié met en péril le bien-être du prochain ou de la société. Le Vatican appelle ces serments téméraires et comme tels le pouvoir pontifical en relève ceux qui les ont faits; c’est ainsi que Rome condamne le serment maçonnique, mais dans son opinion qui est celle de presque tout le monde , le Vatican fait fausse route; car c’est l’individu même qui doit être juge de son serment, personne ne peut l’en relever que Dieu seul et si les maçons ne se considèrent en rien coupables de tenir ce serment, c’est que le secret qu’on demande d’eux ne porte aucun préjudice au prochain ou à la société. Chacun le voit, le sent par un dictamen intérieur.
7° Il y a enfin, le secret professionnel dont les conditions sont connues de tout le monde.
8° Les trois quarts du temps la demande du secret est stupide, ou renferme un but méchant ou hypocrite, car si le secret qu’on veut confier, ne peut porter aucun préjudice, à quoi bon le secret? Et si la chose peut porter préjudice, et qu’on n’a aucune intention malveillante ou hypocrite, il est évident que le seul et vrai moyen de la tenir secrète, est de n’en pas parler du tout.

Si je me trompe, rectifies mon erreur.

N.-B. pour te mettre à même de résoudre, autant qu’il est en notre pouvoir, la question qui se débat entre nous, à savoir: comment reconnaître que ce qui est vrai est vrai, et que ce qui est faux est faux relis ce qui nous est enseigné dans le traité “Ciel et Enfer” sur ce que c’est que la vrai intelligence et la vrai sagesse, ce que c’est que l’intelligence batarde, et la sagesse batarde, et ce que c’est que la fausse intelligence et la fausse sagesse (page 235 N° 351 à 356).

Tu verras si la vérité est au fond de ce bénitier dans lequel tu dis que je me débats comme un diable.

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Aux enfants
soit à monsr Jn Rouillard
2 Rue de Ponthieu
Paris

Clary 4 Mars 1874

Sécheresse de février; triste aspect de la coupe prochaine; mon peu d’espoir d’aller jamais les rejoindre et de quitter la colonie. __

Les deux événement du mois __ la mort de Gustave Aubin(?), écrasé sur le chemin de fer par le train du soir, ou bien traversant le chemin de fer en voiture __ chagrin de Rodolphe __ grande leçon de ne pas s’attacher aux seuls biens de ce monde __ Gustave, avec un si bel avenir devant lui, et détruit d’une façon si épouvantable. Cruelles épreuves de cette opulente famille Bourgault Ducoudray, dessimée dans sa fleur pour ainsi dire par tant de morts prématurées cette année. __ Le second événement, l’infâme conduite de Louis Mallac, ayant contrefait la signature de son tuteur, Deglos, pour $ 15 000-” et que la famille et les amis de D’Epinay ont eu la faiblesse de payer au lieu de laisser punir ce jeune homme, qui, probablement, à cause même de la trop grande indulgence qu’on a eu pour tous ses vols, depuis son enfance, finira par l’échafaud un de ces jours, à moins qu’il ne soit rappelé de ce monde etc etc.

Envoi de ma discussion avec Michel, au sujet des propositions du Révérend père jésuite Rebreyend de ma faire avoir une place au ciel moyennant que je prenne un banc à l’Eglise Ste Philomène, et que je me fasse enterrer par les catholiques. __ etc __

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Monsr Aug: Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

Clary – 4 Mars 1874

Bien cher frère en N: S: J: C:

Merci de votre bonne dernière lettre du 16 Janvier. J’ai lu avec bien du plaisir la nouvelle du mouvement qui s’opère dans la vie externe de la Nlle Eglise autour de vous à Paris: Mr Ed: Chevrier se réunissant à vous pour consacrer tout son temps à l’oeuvre à laquelle vous vous êtes dévoués Mr Le Boys et vous; ma propre famille, mes filles chéries, à la table du Seigneur dans votre maison à Noël, nos trois novices devenus vos auditeurs assidus, et Mlle Cheminat(?) (professeur) sur qui vous fondez de vives espérances comme moyen de propagation des Doctrines de la Nlle Eglise du Seigneur; enfin l’impression presque achevée de votre travail sur les Psaumes! __ tout cela est pour moi l’indice que la Divine voix ne tardera pas à être entendue de notre pauvre et belle France.

Quant à nous, ici, c’est par la lutte encore que nous progressons. Notre mouvement externe a été presqu’à l’inverse du votre à Noël. Nous étions en plus petit nombre que d’habitude. J’avais choisi pour texte de notre instruction Math: XXVIII 1 à 7.__ Luc XXIV. 33,34.
“Les 2 Marie allant au sépulcre chercher Jésus le crucifié, et recevant pour réponse de l’Ange du Seigneur: Il n’est point ici: Il est ressuscité, ressuscité réellement, car il est apparu à Simon!” Malgré tous mes efforts pour rappeler à chacun que ce n’est que par la prière en commun et par la vie selon les commandements que nous pouvons faire progresser l’Eglise ici-bas, il y a parmi nous un temps d’arrêt causé sans doute par les soucis du monde à cette heure de si cruelles épreuves dans notre existence coloniale. Espérons que le sommeil du Seigneur dans notre pauvre barque sur cette mère agitée ne sera pas de longue durée; et qu’à son réveil dans le fond de nos coeurs, nous serons, comme les disciples d’Emmaüs “continuellement dans le temple, L’adorant, Le louant et Le bénissant de tous ses bienfaits, et en état enfin de Le servir comme Il le veut.

Je vous ai dit qu’ici nous ne progressions qu’au moyen de la lutte; pour preuve, je vous envois par cette malle un petit aperçu de nos lettres: un Revd père jésuite m’a offert de rentrer dans l’Eglise catholique, en prenant un banc à l’Eglise de Ste Philomène, et une place dans son cimetière, m’enjoignant le secret en cas de non acceptation de la place qu’il m’offre au ciel par ce moyen. Il y a eu discussion entre Michel et moi, au sujet de cette correspondance; j’ai cru devoir la faire imprimer; la lecture même de ces lettres vous mettra à même de juger de ce débat. Je crois profondément avoir raison; je serais bien aise cependant d’avoir votre sentiment.

Je suis en outre occupé en ce moment à mettre au net pour impression, mon instruction de dimanche dernier, sur les deux baptêmes de Jean et de Jésus (Jean III – 22 à 36) d’après les commentaires de Revd M. Bruce, dont je désirerai la traduction en Français pour nous tous. Cette publication sera je crois, pour nous tous ici, d’une grande utilité par son intérêt même d’actualité, car il y a une lutte fondamentale entre catholiques et Protestants, et les vérités que je publie pourront servir à éclairer leurs débats. Les catholiques accusent les protestants de vouloir accaparer à leur profit la jeunesse créole au collège Royal, en montrant aux enfants catholiques l’absurdité des doctrines catholiques d’après une histoire de l’Angleterre des premiers temps à la Réforme; les Protestants de leur côté accusent le clergé catholique d’employer les soeurs de charité au service des hôpitaux, à agir sur l’esprit des protestants malades, à les baptiser in extremis, à leur passer au cou des amulettes (des gris-gris, comme disent les noirs) pour les amener sous la domination catholique en leur persuadant que leur guérison (quand guérison il y a) vient de leurs amulettes ou gris-gris!!… C’est presque la guerre du Pape et de Guillaume; à qui aura l’empire du monde, du Césarisme ou de l’Ultramontanisme, au moyen de la Religion!!! Tout cela est bien triste, mais il parait qu’il faut qu’il en soit ainsi, avant que survienne la prophétie “L’Enseigne soit élevé parmi les nations!”

Il faut que:
“la jalousie d’Ephraïm soit ôtée; et les oppressions de Judas retranchées, avant que
le reste de son peuple soit (…?) des Abyriens(?), par un chemin,
comme il en est un jour Israël, au temps qu’il remonta du pays d’Egypte.” (Esaïe XI. 12,13,16).

Croyez moi toujours…

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Monsr Ele Michel
Port-Louis

Clary 4 Mars 1874

Mon cher Michel

Tu as employé une supercherie, pour me faire accepter ta dernière de ce jour; la suscription était d’une autre main que la tienne!…

Tu l’as voulu; Eh bien oui, j’ai décacheté ta lettre, je l’ai lu!… Et je ne puis que te la renvoyer, afin que tu la détruises toi-même; afin qu’il n’en reste plus un souvenir, une trace entre toi et moi. C’est la seule chose que je puisse faire pour tacher de laisser subsister entre nous cette vieille affection, d’ami d’enfance, à laquelle tu portes de si fréquentes et terribles atteintes; car enfin je ne suis pas un ange, et j’ai beau avoir le cuir dur, le poison des traits que tu me lance pourrait pénétrer jusqu’au coeur.

Comment en es-tu arrivé à m’écrire de semblables lettres? Je puis à peine le comprendre; mais ce qui passe toute compréhension c’est que tu puisse faire lire ces lettres à ceux auxquels tu donnes le nom de frères en J:C:!

As-tu donc presque perdu tout sentiment de ta dignité d’homme? ou ton esprit est-il sous une bien cruelle obsession? Je te le répète, un secours Divin peut seul y porter remède: le Baptême de Jésus et la communion! La conjonction avec Lui par la pensée et par la vie.

Tu me dis que ce sera ta dernière lettre!

Merci __
car j’ai autre chose à faire que de m’occuper d’un tel dévergondage d’idées et de pensées sur les choses de la religion.

En dépit de tout, crois moi toujours ton dé frère en N:S:J:C:

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Monsieur Régis de Chazal
32 rue Chaptal
Paris

Clary 5 Mars/74

Pour lui remettre la lettre de crédit de renouvellement de sa pension annuelle soit __ $ 1,300-” lettre de crédit Mauritius Commercial Bank
du 4 Mars 1874 __
valable pour une année à partir du 5 Mai prochain dont il disposera en traites à vue
sur moi, et pour une somme nette de $ 100-” chaque mois.

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Monsr Rodolphe de Chazal
St Antoine

Clary – 25 Mars 1874

Mon cher Rodolphe

Ta mère m’a de nouveau fait connaître tes désirs et tes dernières résolutions, à savoir: “que si nous ne partons pas pour l’Europe cette année, tu veux y aller; mais que si nous partons, alors tu resteras, parceque tu comprends que nous ne pouvons pas quitter, à l’heure actuelle, St Ant. tous deux ensemble; et que tu désires, si nous ne partons pas cette année, partir toi par cette malle, ou par la malle de Mai; et que tu reviendrais en Déc.; pour nous permettre ta mère, tes soeurs et moi d’aller comme d’habitude, passer l’été à Clary; et enfin que si cela se pouvait, tu préfèrerais passer 18 mois en Europe, au lieu de revenir en Décembre cette année.”

Ta mère t’a bien répondu: que je ne puis pas à l’heure actuelle, et dans la position de St Ant. et du pays, songer à m’absenter de la colonie; en outre, qu’il est à présumer, si notre situation financière n’est pas améliorée par cette coupe, qu’il est à présumer, dis-je que l’été prochain, je resterai à St_Antoine à la barre même de mon pauvre navire tellement battu par l’orage qui gronde sur le pays, et surtout sur le littoral. __

Je ne puis que te confirmer ici, ce qu’elle t’a dit de mes idées, et de mes projets. Il faut cependant que j’y ajoute quelques observations; car il ne faut pas que tu partes, sous l’impression de quelques idées bien erronées que je te connais sur ta position à St_Ant. et vis à vis de moi, ton père.

Il est possible que tu comprennes (…?) tes intérêts et que tu aies raison de vouloir y travailler suivant tes idées, et non suivant les miennes. Ce qu’il y a de certain dans ce débat qui dure depuis plusieurs années entre nous, c’est que le fond de ta pensée est d’administrer seul St_Antoine; tu ne veux pas te contenter de la position secondaire que je t’ai faite dans l’administration de mes biens; tu ne veux pas, comme je te l’ai écrit ces jours-ci, être ce bras droit qui opère sous la direction de la tête qui administre, c’est-à-dire moi. Eh bien, je te le déclare de nouveau; il m’est impossible de satisfaire tes désirs; je t’en ai déjà donné les raisons plusieurs fois; la principale de toutes est qu’un homme n’est plus rien s’il donne à autrui le droit de disposer à son gré de ce qui constitue son bien-être dans quelque degré que ce soit dans la vie. Il faut que chacun administre et dirige ses propres affaires. La ruine est presque toujours le résultat de la paresse ou de l’inintelligence de ceux qui s’en remette à autrui de l’administration de leurs biens.

Quand à ce qui te concerne personnellement, j’avais cru ou espéré que ton sort comme mon bras droit à la tête de tous mes biens, était un sort digne d’envie; que tu ferais ainsi tranquillement ta fortune, tout en m’aidant, me remplaçant partout où mon âge avancé, et mes forces qui déclinent ne me permettent pas de faire ce qui n’appartient qu’à l’activité de la jeunesse. Tu m’avais demandé à venir travailler avec moi; et j’avais arrangé l’administration de St_Antoine de façon à te faire jouir de tous les avantages, sans les soucis et la responsabilité du propriétaire. __

Cette position secondaire ne te convient plus. Pars, dispose de ta destinée suivant tes désirs; car ton projet de voyage en Europe n’a évidemment pas d’autre but que de décider de cette question. Il ne pourrait m’entrer dans la tête que tu ne songes qu’à faire un voyage de plaisir en me quittant, juste au moment où toute l’activité de mes employés m’est nécessaire pour mener à bonne fin cette opération de Poudre d’Or, cette cinquième création agricole que je n’ai tenté que dans un désir de rattacher à moi-même et les uns envers les autres, tous mes enfants, dans un but commun d’intérêt matériel. __

J’ai acquis l’expérience que ce n’est pas le vrai moyen de créer ou de maintenir l’union, dans les familles. __ Les liens spirituels sont les seuls durables et permanents. __

Un dernier mot et ceci me regarde personnellement. Il est impossible que tu crois que je n’ai pas besoin d’aide, d’assistance, de lieutenants dévoués pour l’administration de mes propriétés. Je n’ai pu, à ton premier voyage me passer de toi que j’avais instruit et formé pour mon administration; il était d’ailleurs juste que tu fisses ton tour d’Europe. Mais une semblable obligation ne peut toujours peser sur moi; j’ai droit aussi au repos. Je dois donc te déclarer, si tu ne pars qu’en Mai, qu’il est possible que je prenne (si j’en trouve) pendant même que tu seras encore avec nous, (et parceque tu pourras m’aider à le former et l’instruire avant ton départ) si je trouve un jeune homme qui puisse me servir d’aide de camp, de lieutenant, jusqu’à ce que je puisse lui laisser entre les mains tous les détails dont la loi d’administration doit toujours rester entre les miennes. Voilà pour ce qui me regarde particulièrement. Mais il n’est que juste aussi que je n’entrave pas tes désirs légitimes au reste de faire à ta guise ta destinée ici-bas. __ J’ai commencé, moi, avec $ 6 000-” et en épousant ta mère, je n’ai eu que les bons souhaits de prospérité que donnent dans tous les cas, toujours les parents en voyant leurs enfants entrer par le mariage dans la véritable vie humaine ou chrétienne. __ Tu peux faire ton affaire en Europe, ailleurs peut-être, ou ici même à ton retour, beaucoup mieux que je ne l’ai fait sur ce premier morceau de terre arrosé de mes sueurs à St_Antoine; car tu possèdes des économies m’a dit ta mère environ $ 8 ou 9 000-. __ En outre sur la dot ou la petite somme que je remets entre les mains de chacun pour commencer l’oeuvre réelle de la vie humaine par mariage sur la dot, dis-je, habituelle de mes enfants de 12 000-“. Je t’avais donné à toi et à Julie $ 8 000 à chacun, en achetant Poudre d’Or pour vous intéresser dans mon oeuvre agricole, en attendant votre mariage. Toi partant, ton intérêt dans Poudre d’Or n’a plus aucune raison d’être; il n’est pas d’ailleurs juste que tu ailles t’amuser à Paris, et que moi je travaille ici à te faire là-bas une existence de sybarite, c’est-à-dire de destruction de soi-même sans aucun but d’utilité ni pour toi ni pour autrui. En outre il faut que tu aies à ta disposition ce dont tu as le droit de disposer. __

Je t’offre donc pour ta part de Poudre d’Or $ 10 000 payable fin de la coupe pendante. __ Quant au reste (soit $ 4 000) qui devrait compléter les $ 12 000 que je donne à chaque enfant en entrant réellement dans la vie sociale. Tu trouveras cette somme entre mes mains, à la première annonce que tu te décide à vivre comme le veut de nous le Seigneur; ou, si tu persiste à vivre dans ce que tu appelles la vie réelle avant de prendre le collier de misère ou du mariage; tu trouveras cette somme, dis-je, lorsque tu en aura besoin, comme une poire pour la soif, si dans les plaisirs de Paris ou du monde, ton petit Saint frusquin s’évanouit complètement.

Et crois moi, quelque dur que je paraisse aujourd’hui, tu trouveras toujours en moi un père tendre et dévoué, pourvu que ce dernier sentiment de la conscience humaine, l’honneur de ton nom et de ta famille reste intact ainsi qu’il a été gravé jusqu’ici en ton coeur par ta noble mère et par moi. __

Ton père et ami.

P.-S. L’homme propose et Dieu dispose. Qui peut-être sûr de son lendemain? Edmée et Julie doivent nous revenir dans 18 mois; Régis dans 3 ou 4 ans; François dans 6 ou 8; toi dans 6 ou 18 mois! Reverrai-je un seul d’entre vous? Dieu le sait! Notre espoir est de vous retrouver dans la véritable patrie humaine, au céleste séjour. Le Seigneur nous en a donné l’assurance solennelle si nous voulons obéir à sa voix; car Il a (…?) le Monde et Il nous dit que tous ceux de le Père a donnés, (ou qui vienne à Lui avec amour) pas un seul ne sera perdu! Nous pouvons donc, nous aussi, dire que tous ceux qu’Il nous a donné en cette vie, nous les retrouverons dans l’autre vie, s’ils ont été désirés (…?), les objets de nos plus chères et constantes préoccupations, d’après la Parole.

Je te le dis donc, cher Rodolphe, à toi le seul de nos enfants qui t’es tenu éloigné jusqu’ici du culte que nous rendons au Souverain Dispensateur de toutes choses, si tu veux nous retrouver, n’oublie jamais que le seul moyen d’y parvenir est de vivre en ce monde, avec la pensée du Ciel et selon les préceptes du Seigneur. Je t’en ai donné les premières facultés, non pas comme père, mais par le Baptême au Nom du Seigneur qui nous ouvre les portes du ciel; le reste est entre tes mains.

Quelques soient nos destinées à venir ici-bas, le plus beau jour de ma vie sera toujours celui où “Je pourrai tuer le veau gras au retour de l’enfant prodigue dans la maison Paternelle en le revêtant de la robe nuptiale”; c’est-à-dire de te voir avec nous rendant grâces au Seigneur de tous les bienfaits de Sa Miséricorde Infinie.

Ne décline pas cette lettre; un jour peut-être à l’heure des tribulations, elle pourra t’être utile en t’indiquant le vrai chemin qui conduit au bonheur. __

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aux enfants
à Paris

Clary 30 Mars/74
10hr du soir

(Pendant le coup de vent)
coup de vent du 24 au 30 mars.!!
mariage de Anna et de Perron __
Projet de Rodolphe d’aller en Europe; je lui ai répondu. J’attends sa réponse pour savoir s’il persiste à nous quitter.

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Mr Aug: Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris __

Clary – 3 Avril/74

Faire part du mariage d’Anna et de Perron. __

Désastres du coup de vent du 24 au 29 mars. 6 jours d’inondation. 60 pouces d’eau au Mesnil! __

Envoi par la malle, par MM. Blyth d’une caisse contenant 100 exempl: Discussion Rebreyend, et 100 exemp: de mon autre brochure “Instruction préparatoire pour la Pâque”, sur la différence des 2 Baptêmes de Jean et de Jésus __ (Jean III) d’après les commentaires du Rd Bruce. __

Annonce de ma publication nouvelle en projet, de mon instruction pour la Pâque d’après Dendin(?) “La femme Samaritaine au puits de Jacob” __

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Monsr Gustave Lervy(?)
Marseille

St Antoine 28 Avril 1874

Annonce du mariage d’Anna avec Henry Perron.

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Edmée, Julie, John Rouillard
57 Lancaster Square, Bayswater
Londres

St Antoine 28 Avril 1874

Mes occupations et préoccupations pour la coupe, pour le mariage d’Anna __ le mariage se fera-t-il à St_Antoine ou en ville etc. __

La coupe probablement mauvaise; pas de pluie depuis le coup de vent. __

Approbation de ce que John fait de laisser François continuer son éducation à Paris __

Envoi de quelques exemplaires de ma nouvelle publication “La Samaritaine au puits de Jacob __ et Réponse au Revd Père Rebreyend S: J: __

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Monsieur Aug: Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris __

St Antoine 29 Avril/74

Accusé réception de sa lettre du 12 mars.

Annonce de notre retour à St Antoine. Mes occupations et préoccupations pour la coupe et pour le mariage d’Anna __ cause de mon laconisme par cette malle.

Annonce de l’envoi par la malle d’une petite caisse à son adresse contenant 200 exemplaires de ma dernière publication: “La Samaritaine au puits de Jacob” __ accompagné de Ma Réponse au Revd Rebreyend S:J: sur sa conduite inconvenante à mon égard. __

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Régis – François – Johny
32 Rue Chaptal
Paris

St Antoine 29 Avril/74

Lettre collective __ retour à St_Antoine; mes nombreuses occupations.

Satisfaction que j’éprouve de leurs succès dans leurs études, et surtout de leur bonne renommée pour leur bonne conduite. __ Persévérance __

Envoi d’exemplaires de “La Samaritaine”. Exhortation à Régis pour l’accomplissement de la Sainte cène. __

Annonce pour la prochaine malle d’un souvenir à Mr (…?) Godard pour les bons soins qu’ils prennent d’eux.

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Made Ve Perron
chez Mr (…?) Martin
36 Rue du Mont Parnasse
Paris. __

St Antoine 1er Mai 1874

Nous l’attendons (…?) par la malle prochaine. __ Nous serons ravis de la voir parmi nous. __ Part que nous avons prise au malheur survenu dans sa famille, qui loin de rompre nos relations avec Perron, a décidé de son mariage avec Anna, car les fautes sont personnelles, et nous ne pouvons le rendre responsable des écarts de jeunesse de son frère. __

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Mrs Patureau et Cie
Port-Louis

St Antoine 5 juin/74

Mon cher Fontaine

D’après la conversation que j’ai eu hier avec vous et Tardieu au sujet de vos travaux à St_Antoine je crois qu’il vous serait facile, comme vous m’en avez donné l’assurance, suivant nos conversations. Mais comme je vous l’ai dit aussi, je ne puis m’arrêter à de simples promesses ou phrases banales. Je ne peux consentir à supporter, comme par le passé, les pertes résultats de vos retards, ou de promesses non réalisées.

Je viens donc vous donner avis que je vais mettre à (…?) le projet dont je vous ai entretenu, à savoir: faire mettre en état de fonctionnement pour les mois de Juillet mon usine de Poudre d’Or; car tout me donne à penser, d’après la marche de vos travaux jusqu’ici que mon usine de St_Antoine ne sera pas prête en temps utile pour moi. Il va sans dire, que ces frais de réparation de Poudre d’Or, resteront à ma charge, si St_Antoine est prêt à fonctionner au 1er Juillet; dans le cas contraire, mon intention formelle est de mettre ces frais à votre charge, et en outre, de vous demander une indemnisation pour la perte que me fera éprouver le travail fait à Poudre d’Or. __ Il est évident que je dois pour cela vous mettre en demeure.

Si vous acceptez les conditions que je vous fais par la présente; je pense que votre acceptation par votre réponse écrite suffira; dans le cas contraire, je vais faire légaliser le memorandum ou devis de nos conventions, dont nous avons négligé de faire un acte légal régulier, ne pensant pas alors que nos obligations réciproques pourraient ne pas être strictement exécutées, et ce, au préjudice de l’un de nous. __ Je vous ferais dans ce cas, une mise en demeure légale régulière.

Ne vous fâchez pas de cette mesure, elle m’est imposée par la nature de mes affaires. Il vous serait facile d’ailleurs de m’éviter ce désagrément pour moi et pour vous. je ne demande que ce qui est juste: avoir une usine prête en temps utile, et ne pas supporter des pertes par suite de retard dans vos travaux, retards malheureusement habituels dans vos ateliers, et dont j’ai fait la dure expérience.

Croyez moi.

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Mr Aug Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

St Antoine 18 Juillet 1874

Bien cher frère en N:S:J:C:

Voilà deux malles que j’ai laissées partir sans pouvoir vous adresser un mot. __ Je ne vous ai pas écrit, je crois, depuis le 29 Avril, encore à la hâte. Depuis les premiers jours d’Avril, je suis le jouet de ce satané rhumatisme qui ne m’a pas laissé un jour, pour ainsi dire, de répit. Tous les 8 jours au lit, et à peine sorti, recommencer trois ou quatre jours après; pris au bras gauche, dont je souffre encore, ce maudit mal ce mois dernier a envahit simultanément genoux, pieds, ne me laissant que le bras droit de libre. Enfin je suis sur pieds depuis deux jours mais toutes les parties malades encore endolories. Cela va-t-il recommencer dans 1 ou 2 jours? Je ne sais; mais je me hâte de profiter de mes quelques heures de répit pour reprendre ma correspondance avec vous.

Ce maudit mal ne m’a pas empêché du moins, de célébrer le mariage de ma fille, et de faire, et d’imprimer mon allocution à ce mariage; allocution qui est pour ainsi dire la continuation de ma discussion avec le Revd père jésuite Rebreyend. Je vous ai envoyé des exemplaires (200) par la première malle. __

Le 30 Mai aussitôt le mariage, il m’a fallu m’occuper d’une 3e réponse à mon jésuite qui avait déchiré et jeté à la tête de mon émissaire ma publication “la Samaritaine” __ ainsi que la lettre que je lui adressais, à propos de son autre manque de procédé à mon égard et à l’égard des membres de la Nlle Eglise. Il fallait une leçon à ce monsieur. Nous entrions dans le coeur de la question des 2 Eglises; car il faisait courir clandestinement, un manuscrit à mon adresse nous appelant une des phases sans fin du Protestantisme, et en mettant en tête que “nous sommes des hommes sans foi contant des fables!” __ Je n’ai pu prendre au sérieux ce manuscrit circulant sans signature, et n’étant en définitive qu’une diatribe contre le Protestantisme, et une exaltation des décrets de l’Immaculée et de l’Infaillibilité personnelle du Souverain Pontife de Rome.

Mais en relevant Mr Rebreyend de son impertinence, j’ai donné à ma réponse plus d’extension, j’ai traité de sa pensée et de la mienne, comme représentant respectivement les doctrines qui à l’heure actuelle doivent ou prétendent être les interprètes de l’Esprit Saint qui doit gouverner le monde à la place de l’Esprit perverti, ou des doctrines modernes qui veulent s’imposer, comme la ressource dernière de la société moderne. __ Malgré goutte et rhumatisme, ma réponse a pu être achevée ces jours-ci; elle est à l’impression; je vous en enverrai deux cents exemplaires par cette malle. __ J’ai lu cette réponse qui a (près de 60 pages) à notre assemblée, le premier dimanche de ce mois. Elle a fait une telle impression sur les membres de l’Eglise, qu’on m’a demandé à ce que l’impression en soit faite aux frais et au nom de la société de la Nouvelle Jérusalem en cette colonie. Je présume et j’espère que cet écrit aura aussi votre approbation. __

Le fait est que la question qui s’agite entre Mr Rebreyend et moi est la question de l’ordre du jour: quelle doit être la base de la conscience chrétienne, et par conséquent quelle doctrine peut ramener la paix dans le monde? Les uns disent la conscience sociale, les autres la Religion; les autres enfin la négation de tout devoir et de tout droit. La formule dernière est césarienne ou ultramontisme. De Dieu on ne s’en soucie plus. L’homme veut tout dominer suivant son intérêt personnel. De là ce conflit de toutes ces doctrines plus subversives de la paix du monde, les unes que les autres. __ Les dernières nouvelles reçues d’Europe nous le font voir plus clairement encore au milieu de ce tohu-bohu des partis et des doctrines plus insensées les unes que les autres, on est heureux d’entendre cette voix d’en haut se faire entendre encore par des organes français. La “Revue des deux mondes” du 15 mai et du 1er juin contient 4 ou 5 articles des plus remarquables sur cette question actuelle de conscience et de paix du monde. J’ai été heureux de voir que les sujets dont il est traité, par articles, dans un ordre social, moral et philosophique, sont pour ainsi dire, identiquement les mêmes sujets, que je traite dans ma réponse au révérend père jésuite Rebreyend, mais dans l’ordre religieux ou spirituel. __ Ainsi Mr E: Care(?), dans “un poète positiviste”, fait voir l’état actuel de trouble de conscience de la chrétienté, dans le cri de désespoir jeté par Mad. L: Ackermann qui ne peut plus croire au christianisme défiguré du catholicisme et du Protestantisme; et qui s’est jeté à corps perdu dans la négation de la Divinité et de l’immortalité humaine en acceptant les doctrines matérialistes, positivistes de Darwin, Auguste Comte etc et qui tombe dans un désespoir encore plus grand de l’inanité de semblables doctrines. Mr E. Curo dit avec raison que ce cri de désespoir si bien exprimé n’est qu’une preuve que le sentiment du Divin ne peut-être annihilé dans l’âme qui l’a prononcé; que c’est une espérance que le grand vide qui se fait sentir sera bientôt rempli par l’idéal réel de la vie qu’est Dieu, l’Infini ou l’homme remplacera la source de se immortels espoirs, la sanction de sa destinée! __

Mr Emile Montigut (même N° 15 mai) dans son article sur “le château de la butée, et l’Astrie” nous montre ouvertement que l’amour est la base de tout progrès humanitaire et de toute intelligence en ce monde. C’est une bien curieuse explication que celle qu’il fait du Roman de Mr Durfé! ah! s’il avait la clef de cette langue symbolique dont il entrevoit quelques bribes, dans la pensée de l’auteur de l’Astrie. __

Le plus remarquable de ces écrits est dans mon opinion, celui de Mr Alfred Fouillée: (1er juin) “l’idée Moderne du Droit” son étude des trois grandes pensées modernes sur le droit et la marche que les trois grandes nations allemande, anglaise et française veulent imposer à la société moderne, cette étude est sans contredit de la plus haute portée et de la plus grande importance. Mr Fouillée n’aborde pas cependant la question dans sa véritable sphère; mais il en est bien près. Il s’arrête aux considérations sociales et philosophiques; et ne fait qu’indiquer l’origine réelle de tout principe de la vie. Il semblerait que tous ont une certaine crainte de dire que tout dépend de la religion; et que la vraie Religion ne peut venir que de celui qui seul peut sauver le monde dans ses erreurs et de ses iniquités, parceque seul il l’a créé pour être le véritable champ du bien-être humanitaire. Dans tous les cas, Mr Fouillée fait le tableau des stupides prétentions de l’Esprit Allemand qu’il nous montre comme étant en réalité matérialiste au dernier degré. La maxime de Darwin mise en pratique en Allemagne fait triste figure, sous son éloquente et puissante argumentation. Ils ne font que “nous révéler la Lumière de l’avenir,” dit-il en terminant et nous inviter à la chercher sur les hauteurs où elle brille!

__ Evidemment, ce n’est pas la force qui prime le droit, ni dans ce qu’ils appellent les hommes providentiels que suscite la force matérielle et de la race ou de la nation qui écrase les autres qu’on doit chercher et attendre les principes de Justice qui doivent ramener la paix parmi les hommes, le bien-être dans la vie de ce monde. On sent et on voit clairement que tous ces remarquables écrivains ont le plein sentiment du Divin, et où il faut le chercher pour rendre définitif le triomphe de l’idée spiritualiste sur l’idée matérialiste. __

Si ces messieurs pouvaient ou voulaient mettre leur nez dans les ouvrages de Swedenborg!

J’ai eu l’idée un moment de leur envoyer un exemplaire de mes discussions avec le Rev. père Jésuite Rebreyend; ils y trouveraient, je crois, un germe du moins, en courte analyse, les principes réels des questions qu’ils traitent avec tant de talent mais dans un ordre d’idées inférieur; de là, peut-être, iraient-ils puiser à la source réelle des vraies lumières qui ont créé et qui conservent le monde; la doctrine du sens interne de la Parole sous leur plume, ferait peut-être rapidement changer la face de ce pauvre monde, si bouleversée à l’heure actuelle; mais je crains que ce soit un fol orgueil de ma part. __ Je ne puis être bon qu’à balayer les immondices qui sont sur la route de Jérusalem, à d’autres doit appartenir le bonheur d’ouvrir les portes du sanctuaire. __

Toujours à vous sincèrement en N.S.J.C.

P.-S. D’après ce que vous me dites de mon envoi de “La Samaritaine”, je dois craindre que ma réponse au Revd père Jésuite n’aille aussi aux oubliettes, si elle passe en douane sous les yeux de quelque instrument dévoué de l’ultramontisme; je prendrai la précaution, cette fois, de vous envoyer une caisse de 100 exemplaire par la voie officielle d’expédition, et une autre caisse de 100 exemplaires, par quelque ami passager. Je tiens à ce que mon Jésuite de Maurice soit démasqué. Il voulait m’enterrer dans son cimetière; et je crois que je l’ai enterré réellement dans ses immondices. Vous avez désiré savoir ce que ferait un clergé? __ Il est à l’oeuvre dans tout mon entourage. On menace de damnation même mes domestiques s’ils restent à mon service ceci après la Samaritaine! __ Mais je présume qu’après cette 3e réponse, ils regarderont à 2 fois avant de vouloir me frotter les côtes, et qu’ils s’abstiendront de toute nouvelle mesure vexatoire. J’y suis décidé; paix du Seigneur ou Guerre à Mort. __

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Monr Régis de Chazal
32 Rue Chaptal
Paris

St Antoine 18 Juillet/74

Je suis encore souffrant de mon satané rhumatisme depuis les premiers jours d’Avril ce maudit mal me laisse à peine un jour de répit. Pour conclusion, du moins j’espère, ce mois-ci, il a envahi depuis mon bras gauche, mes genoux, mes pieds, ne me laissant pas libre que mon bras droit. Enfin à force de lutter, je suis sur pieds depuis trois jours. Les parties malades, encore endolories, mais enfin je marche, je dors, je mange bien, jusqu’à nouvel ordre. Je profite de ces moments de liberté pour t’écrire. Qui sait dans 2 jours, à la veille de la malle, je serai peut-être encore alité.

Je ne suis pas content de tes dernières lettres, tu te laisse aller à de mauvaises suggestions. Tu parles de revenir, pour vivre tranquille et heureux près de nous, aussitôt que tu auras ton diplôme de bachelier. Je dis que c’est une mauvaise pensée: 1° parceque tu oublies ton principal devoir, qui est de te rendre utile à la société par obéissance à la loi de Dieu qui nous enjoint de développer autant que possible toutes nos facultés pour rendre au prochain autant de services que possible; or si tu interromps tes études tu manques à ce premier devoir de développer autant que possible tes facultés pour être utile à ta famille, à la patrie, à l’humanité entière, dans la branche si utile de l’industrie moderne à laquelle tu te destines. 2° C’est une mauvaise pensée parceque la vie tranquille et heureuse que nous devons avoir ici-bas ne doit pas être notre but principal, mais la grâce même venant du Seigneur, suivant le devoir accompli. 3° enfin parceque tu ne trouveras pas cette vie tranquille et heureuse, ici, au milieu de nous, si tu perds les moyens de te rendre utile, et si tu ne nous arrives que comme tu es parti, sans état, sans talent, sans rien enfin pour nous aider, et nous assister dans cette pénible vie laborieuse et industrielle dans laquelle nous succombons les 3/4 du temps parceque nous manquons de cette science que tu es allé quérir en Europe.

Il ne faut pas se laisser aller à ces mauvaises idées, qu’est-ce que 2 ou 3 années encore d’un peu de misères et d’études loin de nous, lorsque de ce court exil dépend ton sort, dépend le sort de cette famille même dont tu désires faire le centre de ton bonheur? Non, non, non, laisse de côté ces vilaines suggestions, repousse ces petites tentations de paresse, achève glorieusement ton pèlerinage; profite de l’avantage que tu as sur tant d’autres, à savoir: de pouvoir acquérir cette science et cette habileté dans la vie matérielle qui est un des moyens que Dieu Lui-Même nous impose pour pouvoir mieux le servir, en étant le plus possible en état d’être utile à ses plus petits de ses frères qui sont pauvres et misérables en ce monde perverti. __ La science industrielle en augmentant les moyens à bon marché de la vie matérielle est une des plus belles choses de la civilisation chrétienne. C’est là ce qui est entendu par aller en Egypte dans la terre de Goshen, avant le voyage de la terre sainte. __ La mission de l’homme ici-bas est de servir le Seigneur et d’être heureux dans le degrés même d’utilité dans lequel nous avons pu être pour les besoins de sa Providence par obéissance et par amour de ses commandements. Si vous m’aimez gardez mes commandements Jean XIV, 15. __ Qui a mes commandements et les faits c’est celui-là qui m’aime; et moi je l’aimerai et Je me manifesterai à lui, Moi-Même (Jean XIV, 21). __ On ne peut pas dire plus clairement que le vrai bonheur vient de Dieu et de l’accomplissement de nos devoirs envers Dieu et le prochain. Il faut l’aimer pour garder ses commandements. __ Et celui qui a les commandements et les faits c’est celui-là qui aime. La vie du bonheur tranquille est le résultat de l’accomplissement de la loi de Dieu. Prétendre vivre tranquille et heureux en s’affranchissant du devoir d’être utile au prochain, suivant la position dans laquelle vous a placé la Divine Providence en ce monde est donc une grande erreur. Ce serait une pure déception pour toi, que d’abandonner les moyens de te rendre utile suivant tes facultés en les développant par l’éducation que tu es à même de recevoir en Europe, pour venir t’insérer ici à la recherche d’un bonheur tranquille avant l’heure fixée par Dieu Lui-Même. __

Je lis dans la revue des 2 mondes un article de Mr Roudaire “mer intérieur à rétablir en Algérie”. C’est un projet de changer la face de l’Algérie, les conditions climatiques de la France même peut-être, et qui est le résultat d’un travail d’ingénieur français! Quand on songe que toi aussi peut-être, en sortant de l’Ecole centrale, tu pourrais peut-être trouver un moyen de changer toutes nos conditions si pénibles d’existence à l’heure actuelle dans la colonie. Non, non, mon cher Régis, rejette loin de toi la funeste tentation de revenir parmi nous, avant d’avoir atteint le but que tu te proposais en allant en Europe. Je te le dis sincèrement cela me chagrinerait beaucoup.

Faut-il en outre te le dire: il ne te sera pas possible d’avoir la vie tranquille et heureuse en ce moment parmi nous. L’affaire de Poudre d’Or a été une cruelle déception pour moi. En achetant l’année passée cette propriété avec tes frères, je croyais mettre dans l’affaire les revenus de St_Antoine de l’année. J’ai mis $ 25 000-” pour Rodolphe, Julie et pour moi; George et Edmond y ont mis $ 16 000-“. Eh bien St_Antoine n’a pu faire que ses frais; je suis en arrière des $ 25 000 __ en arrière de $ 25 000 autres milles piastres qu’il a fallu dépenser pour mettre St_Antoine en état de manipulation convenable. J’entre enfin dans la campagne 1874 avec $ 50 000 de dettes flottantes, et en présence d’une coupe aussi désastreuse que celle de l’année passée. __ Au lieu de 3 à 3 1/2 millions j’ai à peine fait avec Poudre d’Or 1 900 000 (…?) de sucre. __ Je ne peux pas faire plus cette année et les déficits de l’année passée vont me rester comme un lourd fardeau, pour combien d’années?… __ Dieu le sait __ Quant à nous nous ne pouvons nous risquer en voyant tous les fléaux fondre en même temps, pour ainsi dire, sur notre existence coloniale.

En quoi pourrais-tu m’aider, si tu revenais maintenant? Ne vaut-il pas mieux te plonger profondément dans la science de toutes ces causes occultes, microscopiques et autres climatériques, végétales, territoriales, qui rendent si difficile notre existence depuis quelques années? Maladies de la vigne, de la pomme de terre, de la canne etc etc. __ D’autres savants ont trouvé des remèdes en Europe pour les cultures en souffrance, pourquoi un des fils de Maurice ne trouverait-il pas aussi de quoi sauver son pays? __ Cela ne vaut-il pas la peine d’un court exil de 2 ou 3 années loin de nous?

Crois moi toujours ton dévoué père et ami.

P.-S. Ci-joint ma 3ème réponse au jésuite Rebreyend. J’attaque la cause du mal en ce monde, dans sa racine par cette réponse.

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Made John Rouillard
57 Lainster Square, Bayswater
London

St Antoine 20 Juillet/74

Chers enfants

Je suis à nouveau sur pieds, mais pour combien de jours? Dieu le sait. Ce satané rhumatisme me tient depuis Avril; et le mois dernier, il a envahi de mon épaule à mon bras gauche, genoux et pieds, ne me laissant libre que le bras droit, comme vous le voyez, je ne suis pas sur mon lit de roses en ce monde. Les souffrances du corps ne sont encore rien, auprès de mes soucis d’esprit. Tout va mal à Maurice. J’en subi les conséquences comme les autres. Nous sommes sur le bord d’un précipice, affaires financières, affaires agricoles, santé et le reste, tout est dans un bien triste état. Il faut évidemment s’y résigner, et ne pas perdre courage; mais il n’en est pas moins vrai que sombre est notre présent. Cela ira-t-il plus mal encore? Dieu le sait. Mais il est évident qu’ici comme en Europe, il nous faut le secours Divin du Seigneur pour faire cesser toutes nos épreuves et toutes nos tentations.

Vos dernières lettres nous appellent en Europe. Venez, écrivez-vous à votre mère. Le séjour de l’Europe vous fera du bien; il est temps que papa se repose, avec ce que vous dépensez vous serez tranquilles et heureux en France, n’ayant plus d’autres charges que vos 3 ou 4 derniers enfants, etc etc. Non il m’est impossible de quitter Maurice, vous allez en juger. Ce n’est point l’heure pour moi du repos, mais d’un plus dur labeur encore pour sauver un morceau de pain, à ceux que je dois laisser ici-bas après moi. Nous avons fait l’année dernière la coupe la plus désastreuse. Je comptais avoir, comme d’ordinaire, au moins un surplus de revenu de 20 à 25 000 $ sur mes dépenses, et j’en ai fait le placement dans l’acquisition de Poudre d’Or, pour Rodolphe et Julie principalement. La coupe n’a donné que $ 74 000, mes frais! J’ai été donc en arrière des $ 25 000 que je croyais placer! en outre pour mettre St Antoine en état de manipuler tout ce que j’espérais des produits de toutes ces propriétés réunies, j’ai dû faire la dépense de $ 20 à $ 25 000 autres piastres dans l’usine. Donc j’entre dans cette coupe avec $ 50 000 de dettes! ce serait rien si les cannes donnaient (…?) mais la coupe prochaine sera peut-être plus désastreuse que la dernière. Ferais-je mes frais? That is the question; car pour mettre en valeur toutes ces terres, il m’a fallu introduire 150 à 160 nouveaux indiens environ à 60 et 65 __ $10 000 à 12 000 $ __ car le système Gordon, nos ateliers sont tout désorganisés et se débandent; moins de travail que jamais, avec de plus lourdes charges annuelles! __ Nous comptions sur 6 à 700 000 livres de sucre à Poudre d’Or mais nous n’en avons eu que 450 à 500 000. Poudre d’Or n’a pu faire face à ses frais et intérêts; frais augmentés d’introduction de nouveaux indiens: j’ai beaucoup planté, les nouvelles plantations s’annoncent bien … mais nous avons eu tant de fois de ces espérances déçues, par l’invasion de poux au plus beau moment de végétation agricole, qu’il est impossible de se laisser bercer par la moindre illusion ou apparence de prospérité d’avenir. Les cannes Lavignac sur lesquelles on fondait tant d’espérance sont la plus part malades, sous la même influence que les anciennes espèces. Serait-ce dans de semblables circonstances que je pourrais me permettre d’abandonner le gouvernail de ma pauvre barque, au milieu de la tempête, à des mains inexpérimentées encore? __ Non, certainement non. __ C’est un devoir impérieux pour moi, de consacrer mes dernières forces, toute mon expérience à sauver du naufrage le noyau de fortune destiné à mes enfants, et qu’il m’a fallu 40 années d’un cher labeur pour amasser. Ce serait un lâcheté d’aller chercher le repos, lorsque ma présence seule serait si nécessaire sur ce morceau de terre arrosé de mes sueurs depuis tant d’années, et qui est la seule ressource que je puis laisser à mes nombreux enfants et petits enfants. Je resterai à mon poste. Le Seigneur bénira peut-être mes derniers jours en m’accordant d’échapper à cette espèce de faillite qui pèse sur presque toutes nos fortunes ou sur toutes nos familles mauriciennes depuis quelques années. La pensée de laisser ma femme et mes enfants, après ma mort, sans un asile, dans un dénuement voisin de la misère dans laquelle se voit tant de veuves et d’orphelins de mes devanciers, cette pensée est mon cauchemar. Il ne pourrait y avoir une minute de repos pour mon esprit, loin du théâtre de nos épreuves coloniales.

Voilà l’état réel des choses, chers enfants; du moins pour le moment; et fasse le ciel que cela n’empire pas.

Je ne vous donne aucun détail de notre existence journalière ou intime; vous en aurez je pense assez par les lettres de Claire et des enfants. La grande question, quant à ce qui me concerne a été ma 3e réponse au jésuite Rebreyend, ce monsieur a déchiré et jeté à la tête la lettre et la brochure que je lui adressais en continuations de nos discussions. Il fallait une leçon à ce monsieur; je crois que celle que je lui donne, vaudra toujours mieux que celle que lui voulait infliger mon trop bouillant Evenor, qui ni plus ni moins voulait lui faire avaler la brochure, à moins de faire en pleine Eglise rétraction des paroles outrageantes que ce monsieur m’avait fait adresser ainsi qu’aux membres de la Nlle Eglise. Cette réponse toute au coeur de la question Européenne du jour. J’en envois 200 exemplaires à Mr Harlé par cette malle; et j’espère qu’elle sera aussi bien accueillie en Europe qu’elle semble devoir l’être par nos intelligences mauriciennes en voie de progrès social et religieux.

Je ne réponds rien, encore au sujet de François s’il faut ou non le laisser avec Régis, lorsque vous reviendrez à Maurice, j’ai, sur cette question, deux coeurs, deux esprits. __ Le faire revenir!….. c’est presque perdre tous les bénéfices de ses premières études. __ Le laisser après vous!….. qui en aura soin? qui veillera à cette conscience religieuse que je considère comme le premier bienfait du nom de chrétien? Va-t-il, séparé de nous, tomber dans l’irréligion, l’incrédulité, la négation des divins principes dont il a déjà reçu le germe? __ Mes derniers jours ici-bas sont bien tourmentés.

Je vous embrasse tous.

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Messrs Fontaine Patureau
Port-Louis

St Antoine 2 Sept/74

Mon cher Patureau

Je suis à bout de forces, de mes ressources et de toute patience; je sui positivement découragé. J’ai refait mes voûtes de multitubulaires, arrangé tant bien que mal ma fascine(?) pendant ces 8 jours. __ Hier j’ai enfin pu passer les cannes qui étaient depuis 8 jours devant le moulin. Aujourd’hui on a essayé de faire marcher les 2 vides; impossible! Le vide tombe à 18°, 19° dans les 2 vides! Il a fallu renoncer à faire marcher votre second vide, et me réduire au travail de mon premier vide, c’est-à-dire qu’il faudra travailler nuit et jour; ce premier vide même étant d’une lenteur effrayante. __ A quoi donc me servira ce second vide, et la nouvelle installation que m’a faite Fontaine, si je me trouve encore plus mal que par le passé?…..

Je vous ai prié; je vous supplie devenir voir cela. Il m’est impossible de laisser aller les choses dans cet état. __ S’il y a remède; faites le. __ Si le moteur est trop faible pour les deux vides: constatez le vous même. Je ferai ma coupe avec mon ancien vide, et changez de vide l’année prochaine; mettez comme je l’avais demandé à Fontaine un vide de 6 à 8.000°.__ Retirez le vide de 12 000 qui avec l’autre de 17 000° devient une inutilité, un embarras sans aucun profit pour moi. Enfin je suis prêt à entrer avec vous dans tout arrangement amiable possible; mais que mon usine puisse fonctionner; c’est la condition fondamentale entre Fontaine et moi, et d’une façon et d’une autre il faut qu’elle soit remplie.__ Je ne demande que ce qui est justice dans mon accord avec Fontaine ou plutôt avec votre maison.

Croyez moi v. b. d.

Ed de Chazal

1er Post Scriptum. __ Fontaine s’est engagé par écrit à faire fonctionner ces 2 vides; qu’on le fasse; si je vous en supplie, ne me mettez pas dans la pénible nécessité d’employer du papier timbré entre nous. __ Ma coupe est en péril à l’heure actuelle; j’ai des obligations à remplir; et je ne puis faire assez de sucre depuis deux mois pour faire face à mes dépenses courantes! En un mot la position qui m’a été faite par cette installation nouvelle n’est plus tenable.

Ed de Chazal

2e P.S. Ce matin encore, après 15 ou 20 jours d’attente il a fallu reprendre en sable 2 cuites de sirop que j’avais tâché de cuire. C’était de la colle; du vrai sucre d’orge. Cela fait 4 cuites de ce malheureux vide dans lequel l’indicateur tombait à 18 et 19° quand il entrait en travail. __ Aujourd’hui c’est la même histoire pour les deux quand ils fonctionnent ensemble!!

Calfreau(?) dit que cela peut provenir de la garniture des pompes, mais cela me semble impossible avec le peu d’usage qu’elles ont eu. __ Dans tous les cas, je ne veux pas qu’on y touche sans votre ordre.

Ed de Chazal

3e P.S. Jeudi matin 3 Sept. 1874
Mon cher Patureau
Si d’ici Samedi je reste toujours dans la même situation vis à vis de votre maison, c’est-à-dire sans réponse ni présence d’aucun de vous à St Antoine, malgré mes appels désespérés __ avant le papier timbré, je ferai appel à un homme de l’art pour me mettre à même de faire usage de cette nouvelle installation pour ma coupe et Samedi j’enverrai aux journaux mon appel aux hommes de l’art du pays en ces termes…

Avis aux Mécaniciens
Mr Edmond de Chazal demande un mécanicien qui puisse faire fonctionner convenablement les 2 vides installés cette année à St Antoine par Mrs Fontaine Patureau et Cie, un des vides est de Mr Patureau et l’autre de Mrs Cail et Cie de Paris; on devra aussi faire le nécessaire pour rectifier, réparer ou échanger ce qu’il peut y avoir de défectueux dans l’installation ou déclarer s’il faut substituer de nouveaux appareils à ceux établis à l’heure actuelle.

Ed de Chazal

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Monsr Aug: Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

St Antoine 15 Sept/74

Accusé réception de ses 2 lettres des 2 et 21 Juillet.

Félicitations et voeux de prospérité pour le mariage de son fils Emile avec Mlle Engel, d’Alsace. __

Détails sur notre existence toujours tourmentée; administration de Sir Arthur Gordon; sécheresse, indiscipline des ateliers, désastreux résultats du coup de vent de Mars, coupe réduite de près de la moitié etc etc __

Commission française pour le passage de Vénus le 9 du mois prochain. confirmé des chefs de l’expédition française, à St Antoine; MM: le capitaine de vaisseau Mourhen(?), Tourquet(?) de Beauregard, lieutenant et Casim(?) professeur du lycée Fontain, avec Jill(?) le secrétaire de Lord Lindesey(?) qui établit son observatoire à St Antoine, et avec les officiers du Shear (…?) de l’Expédition anglaise se rendant à Rodrigues. __

Ma discussion avec le commandant Moinchez(?), dont l’opinion est que l’homme pourrait bien venir d’un gorille ou chimpanzé perfectionné!….. Je lui ai envoyé à bord au moment de son départ des ouvrages __ “Ciel et Enfer” __ Vraie Religion Chrétienne, Terres dans l’Univers, et “Divin Amour et Divine Sagesse” __ pour tenter de lui faire voir quelle est la nature réelle spirituelle humaine, et que le christianisme est une vérité éternelle. __ Mon défi qu’il puisse jamais faire d’un petit gorille un disciple de l’Institut de France. __ Mon offre de rendre apte à l’âge de puberté, de recevoir de lui des livres de n’importe quelle science, l’enfant qu’il me donnerait de la plus stupide et sauvage tribu humaine, qu’il assimile ou met au dessous des chimpanzés etc etc. __

J’attends son retour de St Paul en Janvier ou février pour achever cette discussion commencée à l’heure de sa conférence scientifique pour le passage de Vénus.

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Made John Rouillard
chez Made de Jonquières
2 Rue Ponthieu
Paris

St Antoine 15 Sept/74

Triste position agricole. __ Conférences des chefs des expéditions française anglaise avec le secrétaire de Lord Lindesey(?), à St Antoine pour le passage de Vénus en décembre. etc

Naissance d’une fille à Evenor et Marthe, la petite Madeleine.

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Régis de Chazal
32 Rue Chaptal
Paris

15 Sept/74

et à François. __ Mêmes thèmes. Mais il ne faut pas se décourager, et espérer en la Providence du Seigneur quand on est au fond de l’abîme.

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Monsr Aug: Harlé
40 rue de Bruxelles
Paris

12 novembre/74

Bien cher frère en N:S:J:C:

Je n’ai pas eu le courage de vous écrire par la dernière malle. __ J’étais tellement absorbé dans les pénibles préoccupations de la vie matérielle, sociale et même religieuse, que c’eut été vous attrister, en pure perte, que de vous faire part de mes tristes pensées. Je ne pouvais m’occuper que de chercher les moyens de nous retirer de la terrible crise agricole et financière dans laquelle se débat notre pauvre colonie surtout depuis 2 ans et particulièrement cette année. __ Le coup de vent de Mars 1873 a réduit notre récolte à près de 50 pour cent, et pour quelques uns de plus encore. Nous avons un déficit budgétaire de 5 à 6 millions de piastres. Pour faire face à ce déficit, nous n’avons d’espérance que dans une assistance monétaire métropolitaine, la colonie n’a pas assez de capitaux pour soutenir les planteurs pendant au moins les 2 ans qu’il nous faudrait pour réparer cet immense désastre. Une sécheresse intense est venue, ces temps derniers, augmenter nos embarras. Plusieurs planteurs, déjà, faute de crédit ou de secours, ont fermé leurs usines et renvoyé, dégagé leurs travailleurs! Quant à moi, personnellement, je ne fais pas mes frais cette année. Les obligations que j’ai contactées pour cette nouvelle acquisition “Poudre d’Or”, (faite dans un but d’association industrielle avec les aînés de mes enfants) ces obligations pèsent lourdement sur mes épaules. __ Heureusement je jouis d’un grand crédit mais je peux en user qu’avec prudence. J’ai songé à vendre à grande perte, s’il le fallait quelques unes de mes propriétés; mais je me suis arrêté à faire quelques emprunts hypothécaires à 2 ou 3 années, pour me laisser respirer financièrement, et attendre de meilleures récoltes, mais enfin, j’attends encore comme l’oiseau sur la branche pour savoir de quel côté diriger mon vol pour éviter le vent de tempête qui souffle sur nous. Vous devez comprendre quelle a été, et quelle est encore mon anxiété. Ma pensée la plus cruelle était pour notre lieu de culte!… Si….. j’étais obligé de vendre cet immeuble?… __ Qu’allait devenir notre pauvre petite société, notre culte externe en commun, dont je suis pécuniairement le principal soutient? L’épreuve est terrible. Enfin mon esprit est plus tranquille. Je suis revenu; j’ai retrouvé au fond de mon âme la confiance qui ne devrait jamais nous abandonner, dans la Toute-Puissante Providence de notre Seigneur; nous ne devrions jamais oublier que s’il permet nos souffrances, nos épreuves, ce n’est que dans un but d’assurer d’une manière permanente un bien-être plus grand, résultant de nos rudes expériences. Les épreuves doivent nous améliorer, et en nous améliorant, améliorer notre existence même matérielle.

Hier nous avons porté en terre les dépouilles mortelles de nos soeurs les plus ferventes Mme Bell, soeur de John Ackroyed. Elle laisse 5 enfants et à peine ou, plutôt pas de moyen d’existence, si ce n’est l’assistance de ses 2 frères Ackroyed. Les derniers moments de Mme Bell ont été très édifiants. Elle a été entourée de ministres et de l’Evêque de l’Eglise Anglicane, dont sa famille fait partie. Cet entourage nous faisait craindre qu’à ses derniers moments un sentiment de faiblesse put la conduire vers les membres de cette puissante Eglise pour en avoir la protection pour ses enfants qu’elle laissait dans un si grand dénuement après elle. Il n’en a été rien. __ Elle a été demander à ses frères que ses enfants fussent élevés dans la Sainte Cité, “dans cette doctrine, qui, depuis qu’elle en avait eu connaissance, a-t-elle dit, avait été pour elle d’un si grand secours dans ses épreuves et qui lui offrait tant de consolations jusqu’à l’heure solennelle à laquelle elle était arrivée.” __ Appelant les enfants, les uns après les autres elle leur a fait à chacun les mêmes recommandations: “Lire tous les jours ensemble la Parole Divine, s’instruire de la doctrine du Seigneur et la mettre en pratique, copier les règles de conduite que s’était imposées Swedenborg lui-même et les suivre avec persévérance jusqu’à l’heure où ils viendraient la retrouver aux célestes demeures”. etc etc __ L’aîné de ses fils, s’était mis aussitôt la quittant, à mettre par écrit ces recommandations; je ne vous en donne que le sommaire. Mais je ne puis vous dire combien j’ai été ému, quand ces enfants sont venus me porter ces dernières volontés à l’heure où je me rendais à la maison mortuaire pour rendre les derniers devoirs à leur mère. Evidemment pour moi cette femme ne peut qu’être adjointe aux célestes sociétés du Divin Royaume car ses dernières pensées étaient tournées vers le ciel, ses plus chères espérances étaient dans le Seigneur, et ses derniers actes, ceux de la plus noble charité envers ceux que le Seigneur avait mis sous sa protection spéciale, et qu’elle laissait en ce monde pour continuer son oeuvre d’adoration et d’usages ici-bas.

Cette mort a été pour nous, je dirai, l’occasion d’un nouveau triomphe ou d’une nouvelle affirmation de nos doctrines. La soeur de Mme Bell appartenant à l’Eglise anglicane était morte l’année dernière. On l’avait enterrée dans le cimetière spécial de la chapelle ou église destinée particulièrement aux gouverneurs de la colonie, près de leur demeure de campagne, à 7 ou 8 miles de la ville. Mme Ackroyed la mère a demandé que sa fille Mme.Bell soit aussi enterrée au même cimetière. __ Grand émoi dans le clergé anglican. Enfin on consentit à admettre le corps de Mme Bell dans ce cimetière pourvu que nous ne fassions aucune cérémonie religieuse sur la fosse comme cela se pratique chez les protestants et même pour nous la plus part du temps. On exigeait en outre que le desservant de l’église anglicane fit le service funèbre au cimetière. Tout cela n’était que ridicule et absurde, mais enfin on nous accordait place dans leur cimetière, nous laissant libre de faire notre service à notre église; c’était plus que n’aurait pu accorder l’église catholique, et j’acceptais ces conditions, car nous ne croyons pas que ce soit la place au cimetière, ni la dernière cérémonie sur un cadavre qui détermine la place de l’homme au ciel ou dans le Royaume de Dieu. Le cortège partit en grande pompe de la maison mortuaire et se rendit à notre lieu de culte où j’accomplis, pour notre soeur, le service tel que nous le comprenons sur la dépouille humaine; et le cortège reprit ensuite sa marche pour se rendre hors de la ville au cimetière anglican dans lequel une place avait été accordée à notre morte. Il en est résulté pour nous une nouvelle confirmation publique de notre existence comme Eglise visible avec son culte externe établi, en présence d’une foule nombreuse des personnes les plus haut placées dans notre société coloniale; mais je me suis moi, personnellement abstenu de me rendre à ce cimetière, nos autres frères ont suivi le corps. N’eut-il pas été ridicule, moi chargé du service et du culte d’entendre sans protester le ministre anglican s’écrier: “Our beloved sister who died in the True faith, in the faith of our God the Father and of our God the savior, and our God the Holy Ghost” etc etc cherchant par tous les moyens possibles d’affirmer que Mme Bell était morte dans la foi sans les oeuvres et dans la croyance en une Divinité Hypostatique composée de 3 personnes divines bien distinctes et bien séparées. Le pauvre homme croyait nous porter un coup mortel. On se répétait seulement au sortir du cimetière “mais c’est très vrai ce qu’il a dit, Mme Bell est morte comme elle a vécu dans la vrai foi puisque c’était dans la foi de la Nlle Jérusalem, de la Cité Sainte du Seigneur”. Et lui le ministre le savait aussi bien que tout le monde! Quand donc aurons nous fini avec toutes ces jongleries? Quand serons nous vrais dans le vrai même de la vie?

A notre dernière assemblée le 1er dimanche de ce mois, a été agité une question qui nous intéresse spécialement. Ackroyed m’avait envoyé un extrait de “l’Intellectual Repository” faisant appel à tous les membres de la Nouvelle Eglise dans le but de contribuer à une souscription organisée à Londres pour acheter les ouvrages laissés par Mr Le Boys des Guays, et les mettre à votre disposition pour les répandre à un prix plus réduit que celui auquel ils sont à l’heure actuelle; prix tellement élevé que notre société à Paris ne peut qu’avec difficulté faire acquisition de ces ouvrages au fur et à mesure de la demande qui vous en est faite.

Avant de nous joindre à cette souscription et d’y joindre notre obole ou notre contribution j’ai demandé et obtenu que la chose nous serait référée pour avoir notre avis. __ J’ai dit à notre société l’offre que dans le temps je vous avais faite, d’acheter tous ces ouvrages et de les envoyer à Paris. J’ai dit votre réponse; qu’il était préférable de les laisser à St Amand parce que leur transport, leur aménagement et leur entretient à Paris serait une chose plus coûteuse qu’avantageuse, qu’il était préférable, d’en faire l’acquisition au fur et à mesure des demandes qui nous seraient faites etc etc.

Mais aujourd’hui la question est différente, on achèterait les ouvrages pour les répandre à des prix réduits, leur coût primitif étant trop élevé!! __

Dans tous les cas c’est un noble élan de l’église d’Angleterre et une grande preuve de sympathie pour la France. Faut-il leur envoyer notre contribution? Dites moi ce que vous en pensez. Quant à moi je suis si jaloux de tout ce qui touche à notre chère France que j’ai de la peine à me décider à lui voir venir un secours même pécuniaire et même des membres de la Nouvelle Eglise, car ça me semble être toujours (…?) de cette vieille Angleterre qui nous a fait tant de mal jusqu’ici et dont les haines politiques vous poursuivent dans tous les coins de la terre. __ J’aimerais mieux faire les plus durs sacrifices pour acheter ces ouvrages de notre bien aimé frère Le Boys des Guayes que de les voir à la disposition de l’Eglise de France au moyen d’une souscription venant de l’autre côté de la Manche.

Tout à vous en N.S.J.C.

P.S. J’oubliais de vous parler de mon aventure avec Lord Lindsay. Il faut que vous sachiez d’abord que depuis son arrivée, nous sommes dans l’astronomie jusqu’au cou. Il n’est question que de Lord Lindsay d’un bout de l’Ile à l’autre, du transit de Vénus et de sa cour céleste. Aussitôt son installation à St Antoine, c’est à dire à Belmont dont j’avais mit l’établissement à sa disposition pour son observatoire, je me hâtais de lui faire faire connaissance avec ma famille en l’invitant lui et les astronomes à dîner. Le soir, en le reconduisant à Belmont, nous fumes emportés par les chevaux par suite d’une négligence des cochers qui avaient mal mis la flèche de la voiture. Dès le départ la voiture tombant sur les chevaux et leur battant les jarrets ils s’emportèrent. Et nous fumes 20 fois sur le point d’être jetés et broyés au bas des énormes chaussées qui constituent la route de ma maison à celle de Belmont, nous avons été sauvés je dirai miraculeusement. __ Mais je n’ai pas le temps de vous donner les détails de cette aventure, les enfants vous diront la chose. __

Avez vous lu les deux articles __ “Revue des deux mondes” des 1er et 15 septembre: L’Angleterre et les nouveaux courants de la vie Anglaise par Mr J. Milsand. Dès les premières pages j’avais été frappé par cet écrit. Evidemment l’auteur avait connaissance de nos doctrines. Et je fus cependant surpris page 22 (1er Sept.) de voir Mr Milsand citer, en toutes lettres Swedenborg comme autorité de ses remarquables observations sur les évolutions de l’intelligence humaine, c’est la première fois que dans un écrit philosophique, religieux et littéraire une semblable reconnaissance publique est faite de la valeur réelle de notre auteur. Connaissez-vous ce Mr Milsand? Ne serait-ce pas un signe que nous touchons au moment suprême que nous attendons avec tant d’impatience à savoir: que la Lumière sera vu d’un bout de la terre à l’autre d’orient en occident et du midi au septentrion?

Un dernier mot:
Où en suis-je avec vous financièrement? Je dois être en arrière. Faites moi connaître je vous prie quelle est ma situation. Je n’entends pas que vous soyez jamais à découvert d’argent à mon égard. Je vous enverrais même un peu d’argent de suite par cette malle, malgré la gêne si je n’étais sous l’impression, d’après mes souvenirs que vous devez avoir encore quelque peu d’argent pour satisfaire à nos demandes et à nos besoins d’ouvrages. L’argent ne peut pas nous manquer, ce qui nous manque c’est le désir de bien vivre, de nous amender, de faire la volonté du Seigneur, mais dès que le désir de son culte est entré dans notre coeur, tout ce qui est nécessaire à ce culte (comme me disait notre bien aimé frère Le Boys des Guays) tout ce qui est nécessaire pour servir le Seigneur nous sera toujours accordé. Nous en avons eu du reste l’expérience jusqu’ici; et tout ce que je demande au Seigneur jusqu’à la fin des quelques années qui peuvent me rester encore à passer sur cette terre, c’est qu’il me soit accordé, comme jusqu’ici, d’aider ces petits commencements du culte du Seigneur dans cette pauvre petite colonie, et dans cette France chérie où vous et Mr Le Boys des Guays avez jeté les premiers fondements de la Nouvelle Eglise.

A vous toujours

Mon plus affectueux souvenir à Mr Ed. Chevrier et à tous ceux qui vous entoure. __

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aux enfants en Europe
Mr John Rouillard
(…?) de Ed. (…?) Carcenac
à Londres

Port-Louis 11 nov/74
et St Antoine 12 nov/74

Etat de situation coloniale, financièrement et agricolement. __ Mes embarras , mes soucis.__ Mais je ne perd pas courage.

Mort de made Bell. __ Ses funérailles au cimetière de Moka. __ Absurde et ridicule, conditions imposées pour nous permettre d’inhumer ce corps dans leur cimetière: à savoir: qu’ils feront sur la fosse le service anglican, quoiqu’ils sachent que made Bell n’est plus de leur foi, mais appartient à la nouvelle Jérusalem.

Lord Lindsay. Son arrivée ,son observatoire à Belmont __ transit de Vénus. etc __ Accident qui a failli nous coûter la vie, le soir que je l’ai ramené de St Antoine à Belmont après notre dîner de présentation __ voiture emportée __ flèche de voiture mal mise en attelant. __ voiture battant les jarrets des chevaux, voiture arrêtée au moment où j’aderrais une prière au Seigneur non pour mon âme, mais pour me conserver en ce monde si je pouvais être de quelque utilité. __ Etrange état d’activité de l’esprit dans les solennelles occasions de vie et de mort. __ Mon calme, le calme de corps, quoique je fusse convaincu que nous ne pouvions échapper à une terrible catastrophe.

Venons aux affaires:

Edmée, Julie et John nous écrivent de tout bien considérer, ils ont décidé de ramener François, lorsqu’ils reviendront en mars ou avril prochain… à moins….. de contre ordre de notre part. Pour parler franchement je n’ai ni le courage ni la force de prendre un parti à cet égard. Je pense comme eux, qu’il y a du danger à laisser seul, sans soutien, sans famille un enfant de l’âge de François en éducation en Europe. __ D’un autre côté, j’ai peur que ce soit le désir de voir mon petit François, qui me pousse à lui faire ainsi perdre les premiers avantages déjà obtenus de cette magnifique instruction qu’on peut recevoir en Europe. Mais perdra-t-il réellement ces avantages? Il a 12 à 13 ans; ne peut-il à notre collège colonial, jusqu’à 16 à 18 ans, acquérir assez de notions préliminaires, pour aller ensuite continuer, achever son instruction en Europe, à l’âge où il pourra se conduire seul, (…?) les principes dont il aura été imbu, parmi nous, en famille pendant ces 2 ou 3 années de collège colonial? Moi je crois que ce serait le parti le plus sage pour lui, si nous n’avons aucune famille dans le sein de laquelle et sous la protection de laquelle vous puissiez le laisser en quittant l’Europe? __ Mais je ne donne aucun ordre; je deviens faible, à mesure que je vieillis. Faites comme vous jugerez pour le mieux des intérêts de l’enfant; et qu’il soit béni du Seigneur soit qu’il me revienne avec vous, soit que vous le laissiez loin de moi, en Europe après vous. __

Envoi de $ 200-“, c’est l’argent de sirop que je ne compte pas dans le mouvement de mes affaires. __ Partage
$ 50 __ pour Edmée
50 __ pour Julie
50 __ pour Régis
25 __ pour François
10 __ pour Johnny et Maxime
15 __ pour les autres petits. __

J’enverrai traite dans lettre de Régis __ Bâtir à l’Ile d’Ambre une bonne case (comme argent de sirop) ce sera pour après moi. __ un souvenir dans leurs parties de plaisir ou de quarantaine à l’Ile d’Ambre, quand je ne serai plus là pour leur donner des (…?).

ma tendresse _____

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Régis de Chazal
aux soins de Mr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

St Antoine 13 nov/74

Envoi d’une traite de __________ £ 40-“-” de l’Orietal Bank __ sur Bank of England du 11 novembre __ soit: _______________
$ 200-” pour (…?) mon enfant, comme suit
à Edmée $ 50
Julie 50
Régis 50
François 25
Johnny et Maxime $ 5 10
à la marmaille 15
$ 200

Régis de Chazal
Hôtel Corneille
Rue Corneille
Paris

St Antoine 10 décembre/74

Duplicata de la traite de £ 40-” sur la Banque d’Angleterre.

Envoi d’une nouvelle traite de frs 375-” du 9 déc: de la Banque orientale à son ordre (…?) vue, sur Mr P: Gil(?) Banquier à Paris __ pour son examen de Baccalauréat __

Transit de Vénus le 9. __ Réussite de Lord Lindsay __ partie nautique à bord de la (…?) capte H: Ward.

Pluie torrentielle depuis le transit. __ coïncidence et influx des trois astres, le soleil, la nouvelle lune et Vénus, à cette heure, comme signe évident de l’Ere Nouvelle. Bien de l’amour, Bien de la foi; et mémoire des choses matérielles concordant avec la mémoire des choses immatérielles. Vénus la planète la plus près de notre globe, Mercure (choses immatérielles) le plus près du soleil. __ Espoir que cette pluie va ressusciter nos champs de cannes presque détruits par les sécheresses, sera le signe de la bénédiction spirituelle qui doit réformer et changer; ressusciter aussi notre état moral tellement avili dans cette pauvre colonie. __

Affaire de Victor le commis d’Auguste qui a contrefait la signature d’Auguste à la Banque pour $ 1200-“. __

Tout le reste bien parmi nous.

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aux enfants, (…?)
de Made John Rouillard
care of E: Carcenac Esquire
33 Ledbury road
Bayswater
London W:

St Antoine 7 Janv/74

A peu près mêmes sujets que dans la lettre à Régis, mais avec plus de détails. __

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Régis de Chazal
42 Rue de Rivoli
Paris

St Antoine 7 Janv/74

Remise du duplicata de la traite de frs 375-” de ma dernière lettre du 10 dec. __

Nous attendons ses soeurs par la malle de mars. Lui seul restera loin de nous. Ne pas perdre courage. Il faut conquérir par la science sa place dans le monde afin de mieux pouvoir remplir son devoir envers Dieu et le prochain, en se mettant à même de rendre le plus de services possibles à la société et à l’humanité etc etc.

Commissaires de transit de Vénus achevé leurs travaux. Les divers membres, Hollandais à Bourbon, Français à St Paul Amsterdam(?), allemands au Grand Port, partent par la malle. Gil part aussi avec eux. Lord Lindsay avec son yacht fin du mois, ou par la malle de Février. __

Nanette(?) et Perron sont à l’Ile d’Ambre. __ Nous allons bientôt quitter le Mesnil. Je (…?) (…?) détails que leur donne leur mère sur notre existence pendant ce dernier mois.

Recommandations d’aller rendre visite aux membres de la commission française commdt Monchercassin(?), professeur, et Tourquet de Beauregard, qui avaient promis à sa mère leurs bons offices pour son petit Régis lorsqu’ils seraient de retour à Paris.

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Monsr Aug: Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris __

St Antoine 7 Janv/75

Accusé réception de sa lettre du 22 octobre, mariage de son fils Emile en Alsace; crève coeur pour moi de voir nos frères d’Alsace obligés de faire ce mariage à Bâle en pays neutre; les ouvriers de l’industrie française forcés de loger en pays neutre et de continuer leur industrie en Alsace pour échapper à l’obligation de devenir prussien etc etc. __ Ma douleur des désastres de la France depuis la guerre de 1870. __ Quand donc la paix sera-t-elle sur la terre? Ne sommes nous pas à l’heure du Règne du Seigneur? Mais il est dit: Luc XVII: “Le Royaume de Dieu ne viendra pas avec éclat”. __ Nous devons accepter avec résignation les épreuves indispensables pour notre Régénération car le Royaume ne peut venir qu’à la fin de nos tribulations etc etc. __

J’attends les enfants par la malle de Mars. __ Régis seul restera en France. __ sa grande consolation et son encouragement à se faire une position honorable dans le monde pour (…?) accomplir son devoir envers Dieu et le Prochain, seront d’être dans la société de Mr Harlé avec les bons exemples qu’il aura (…?) les (…?) etc etc.

Je suis toujours bien découragé __ sécheresse etc et nos progrès religieux bien lents et à peine perceptibles.

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris __

Clary Mesnil 5 mars/75

Bien cher frère en N.S.J.C.

Je n’ai pas eu le courage de vous écrire par la dernière malle; j’avais l’esprit trop vivement préoccupé des tribulations qui nous ont été envoyées. Aujourd’hui il en est encore de même. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Il me faut vaincre cependant ces tristes dispositions d’esprit, il me faut vous donner un souvenir; c’est une consolation de penser qu’au loin battent des coeurs à l’unisson des nôtres.

Merci de votre lettre du 14 et 15 Janvier. Quelle nuit que cette nuit de verglas du jour de l’an à Paris! Quand nous avons lu les détails, dans les journaux, de cette catastrophe atmosphérique; combien mon coeur s’est élevé en actions de grâces, envers la Divine Providence du Seigneur, de ce qu’aucun événement fatal ne soit arrivé à aucun des miens, je dirai des nôtres pendant cette nuit où tant de blessures, de jambes cassées, de morts mêmes ont eu lieu dans Paris, et il parait non-seulement mais en plusieurs pays européens, d’après ce que les journaux ont raconté de l’Ecosse submergée pour ainsi dire de la neige!

Quant à nous la sécheresse, le manque de pluie, d’eau même pour boire, voilà nos principales tribulations.

Le transit de Vénus ne serait-il pas pour beaucoup dans tous ces phénomènes atmosphériques? Il ne peut être admis que ce soit au hasard sans une raison d’être providentielle, que tant d’astres se trouvent, par siècle, en actions directes les uns avec les autres, d’après l’influence évidente que chaque astre ou planète doit exercer sur l’atmosphère d’une autre planète, d’après le système de pondération ou l’équilibre de tous les globes solidairement unis les uns aux autres par la main Toute Puissante de celui qui décide de toutes nos destinées.

Ce qu’il y a de certain c’est que depuis le transit de Vénus, nous éprouvons ici de dures tribulations, par suite de notre état atmosphérique. Nous sommes sur le bord d’un abîme; pas de pluie, pas de végétation, pas de coupe, la misère seul en perspective! __ J’ai cru devoir prendre la plume ces derniers jours pour appeler l’attention de notre public sur notre état précaire d’existence. J’ai envoyé ces articles à Régis, et l’ai prié de vous en donner communication, vous pourrez voir si j’ai sujet à garder le silence, pour ne pas attrister mes amis par mes tristes réflexions.

Etrange encore sans contredit que notre correspondance; ma dernière lettre vous répondait au sujet de vos souffrances patriotiques au mariage de votre fils en Alsace! L’Alsace __ séparée en 1870 de la mère patrie, de notre France chérie, 60 ans après notre séparation nous mêmes en 1810 et par les traités de 1815, comme l’Alsace par les traités résultant du siège de Paris où nous trouvons la haine Anglaise des traités de 1815. Aujourd’hui ma correspondance ne vous entretient que des souffrances qui sans contredit sont le résultat pour nous du peu de souci qu’a de notre existence politique et sociale, l’Angleterre, de même que la Prusse pour les Alsaciens! Sera-ce la dernière épreuve envoyée à notre patrie, la France catholique, pour la ramener dans la vie du bien réel, au moyen du vrai culte du Seigneur? La France n’est-elle pas la dernière puissance catholique, ayant conservé sa prépondérance sociale, jusqu’aux derniers jours? Et n’est-il pas écrit: “Ils haïront la prostituée et ses chairs ils mangeront, et ils la brûleront au feu.” (Ap. XVII – 16, 17.) Dans tout ce chapitre XVII n’est-il pas question de la puissance Gallicane, et de la mission des réformés pour mettre fin entièrement au règne de l’ultramontisme (Ap. Rév. Nos 740 à 752) ou de la puissance Papale; et n’est-ce pas dans les derniers effets ce qui se passe de nos jours devant nos yeux? __

Nous nous préparons à la communion pour la Pâque prochaine. Dimanche prochain est notre jour de réunion en ville. __ J’ai choisi pour sujet d’entretien ou d’instruction préparatoire pour dimanche Exode II. Moïse sauvé des eaux par la fille de Pharaon: “Le vrai Divin ses commencements et ses états successifs chez l’homme de l’Eglise” 6713 __ sans contredit c’est un fidèle tableau de ce qui se passe à l’heure actuelle dans la chrétienté. La vérité n’a plus pour refuge que le fragile esquif enduit de bitume et de poix dans lequel est mis Moïse, ou le vrai Divin, sur le fleuve des sciences naturelles, dans cette Egypte où le nom même de Dieu est chose oblitérée ou inconnue. Et cependant c’est au moyen de ce vrai divin dans l’homme qu’il est promis de détruire les erreurs qui s’opposent à la vérité chrétienne (Moïse tuant l’Egyptien qui frappait l’homme Hébreu) 11, 12. Nos 6756 à 6763) et c’est de même, après avoir mangé le pain du prêtre de Madian, abreuvé ses troupeaux comme Moïse que le cri de douleur de l’Eglise peut monter jusqu’à Dieu et être entendu de Lui.

à vous en N.S.J.C.

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Régis de Chazal
42 rue de Rivoli
Paris

Clary – 5 mars/75

Répétition de nos souffrances. Sécheresse.

Envoi des (…?) du Cernéen 26 février au 3 mars, dans lesquels il trouvera des articles de moi “La situation du Pays”, qui lui donneront l’idée de notre état et de ma disposition d’esprit __ misère actuelle, avenir plus sombre. __ ne compte que sur ton travail __ efforts que je fait pour sauver la fortune que je croyais pouvoir léguer à mes enfants etc etc. __

J’attends en Avril John, Edmée, Julie etc __ mais viendront-ils? __ d’après les lettres de Louis et de P: Edmond, John prolongera-t-il un séjour en Europe jusqu’en octobre, dernier terme possible de son congé. __ nous attendons la prochaine malle, dans 8 jours.

Communiquer lettres et journaux que je lui envoie à Mr Harlé.

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

Clary – 1er Avril 1875

Cher frère en N.S.J.C.

Par un intérêt toujours croissant je reçois de vos nouvelles. Merci de toutes celles que contient votre dernière lettre du 12 Février. J’ai vu avec plaisir vos espérances de grand-papa; l’augmentation de votre famille est pour moi aussi un sujet de réjouissance; j’y vois l’agrandissement personnel de notre nouvelle société, sous les auspices du Seigneur, dans la Nouvelle Jérusalem.

Je relisais, il y a un moment, votre lettre du 17 Déc 1874. (…?) dans votre dernière, j’y ai vu des motifs de réjouissance pour moi, et j’attends avec impatience les résultats des plans de travail de Mr Chevrier; de son installation à Paris, avec l’intention de se (…?) presque exclusivement à la propagation de nos doctrines. Ce sont là évidemment, avec ce que vous me dites au sujet de Madame Van Senac(?), et de la rentrée dans vos foyers, de l’ancien assistant à vos réunions Minot etc. Ce sont là évidemment des signes certains d’un progrès de la vie parmi nous, dans le monde.

Il en est à peu près de même ici. Nous devons, il parait, passer constamment dans des alternations de chaud et de froid, de lumière et d’ombre ou de ténèbres. Nous avons eu nombreuse assemblée à notre fête de Pâques, dimanche dernier, près de 70; et à la sainte table, environ 40 demandant le pain du Ciel. J’avais choisi pour préparer “la grande chambre haute, meublée toute prête” (Marc XIV) dans laquelle nous devons célébrer la Pâques, j’avais choisi pour instruction préparatoire l’Exode (prenant pour épitaphe ce que le Seigneur dit, Jean VIII, 12, et à ses disciples Jean VI. 35); Moïse sauvé des eaux et vocation de Moïse, au buisson embrasé qui ne pouvait se consumer, chap II et III d’après les Arcanes Célestes; à quelle heure il nous cri et nous entend (Arc. Cel. 6798 à 6806) enfin ce que représente et signifie tout ce qui concerne Moïse, à sa vocation et à sa préparation pour la délivrance de ses frères, dont il a vu les fardeaux. Vocation et Mission de Moïse, notre espérance et l’avenir de nos destinées dernières d’après Jean V. 46, 47. Je n’ai pas besoin d’ajouter quel a été l’effet produit sur nous par l’explication de ce texte sacré. J’ai cru utile et bon même, de publier notre mode de préparation pour l’acte saint de la Sainte Cène, et depuis deux jours, je suis à corriger, retravailler cette instruction; je finirais, je l’espère ce soir et demain, je l’enverrai à l’impression, et la malle prochaine vous portera des exemplaires. Je crois ce travail, le moins mauvais (disons le mot) de ceux qu’il m’a été accordé de publier. Il sera dans tous les cas approprié à notre état actuel ici. En effet, nous souffrons plus que jamais de la sécheresse; plus d’espoir de coupe cette année, ou du moins d’une récolte très réduite; pas de pluie depuis trois mois, quelques grains suffisant à peine pour empêcher les plantes de mourir; nos rivières, nos ruisseaux, nos puits, tous nos cours d’eau presque à sec. Une voix de désolation s’élève de tous les points de l’île. On s’est mis enfin à faire des prières partout, Eglises Catholiques, Protestante, pagode chinoise, musulmane, hindoue, enfin dans toutes les religiosités, on a prié depuis un mois, et chacun de s’attribuer les mérites de ses (…?), aussitôt qu’un nuage crève sur un coin de l’île. C’est triste et désolant, mais enfin c’est un progrès; on sent au moins, son impuissance dans les grandes calamités de ce monde; c’est l’humiliation de Pharaon et de ses serviteurs en présence des signes faits par Moïse et Aharon en Egypte; espérons que cette humiliation nous mène à l’humilité voulue pour que nous recevions du Seigneur assistance et secours. __ J’ai bien peur cependant que nous soyons pour longtemps encore loin de cet état de réception des bienfaits de la délivrance de la captivité d’Egypte. Nos chrétiens sont encore plus encroûtés que les descendants asiatiques de l’Eglise Nouchique(?). Pour fêter la communion avec Dieu, l’on ne trouve rien de mieux dans notre île que de faire assaut de science musicale; la cathédrale de Port-Louis ayant perdu sa population d’élite réfugiée dans les hauteurs de l’île, à cause de l’acuité des fièvres sur le littoral, les Eglises de campagne sont en lutte pour savoir à qui aura la puissance temporelle (…?) du chant et des cantiques. La palme doit-être dit-on à l’Eglise établie à Curepipe sous l’invocation de Ste Thérèse qui a réussi à réunir le plus de virtuoses et instrumentalistes de la colonie. Pauvre Religiosité Catholique! Bergers stupides qu’il faut évidemment chasser du puits de la terre de Madian où Moïse habite et abreuve les troupeaux du prêtre de Madian. N’est-il pas temps que la loi Divine soit enfin comprise et que la Doctrine de vie, soit la base du culte que demande de nous le Sauveur du monde?

A vous toujours en N.S.J.C.

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris __

St Antoine 29 Avril/75

Bien cher frère en N.S.J.C.

Nous voici depuis 8 jours de retour à St Antoine et nous attendons par la prochaine malle d’Europe nos enfants.

Que puis-je ajouter à ma dernière des premiers jours de ce mois? Seulement que j’ai pu constater, par mes propres yeux tous les dégâts causés sur le littoral par cette immense sécheresse de 5 mois. Mes plantations ne sont pas mortes c’est tout ce que je puis dire, mais nous n’avons pas de coupe à espérer cette année, ou du moins, pas de quoi subvenir à nos frais généraux. C’est triste même. N’était ma confiance en la Providence du Seigneur, j’eusse jeté le manche après la cognée; mais je sais qu’il ne permet jamais un mal sans qu’il doive résulter un bien ultérieur plus grand et plus durable. La dure, la plus dure épreuve que nous ayons éprouvé en cette colonie, ne peut être suivie que d’une amélioration grande dans notre existence. Laquelle? Je ne saurais le dire; mais j’ai foi et espérance en l’avenir; car c’est avoir foi même en Dieu et dans le Sauveur. Ce sentiment intime de mes jours, chez tous est le premier bienfait de la dispensation chrétienne.

J’ai passé le mois dernier à continuer mon étude de la foi Divine; heureusement pour moi ma pensée était toute entière vers ces questions de Rédemption, Régénération, salut, foi et espérance en Dieu dont l’histoire de Moïse est le type scripturaire. J’ai pu éviter ainsi d’avoir mes regards assombris du triste spectacle de notre pauvre colonie se couvrant de ruines.

Après “Moïse sauvé des eaux”, “Moïse au buisson ardent” ou “sa vocation” j’ai étudié Moïse recevant le bâton de Dieu, préparation pour sa mission de délivrance. J’ai achevé avant hier mon travail, destiné à être l’instruction à notre 1ère réunion après Pâques en ville. Il m’a été impossible de le faire imprimer pour cette malle. J’eusse voulu vous l’envoyer en même temps que ma brochure “Moïse sauvé des eaux” et “vocation de Moïse”; car les deux sermons se complètent, du moins forment un ensemble plus facile à embrasser, et à appliquer à notre propre mission chrétienne, mais je dois me contenter de vous faire parvenir trois cents 300 exemplaires de la première brochure par cette malle. __ Je crois que mon travail “Bâton de Moïse” “sa préparation pour sa mission” sera d’un plus puissant intérêt malgré toutes les imperfections de style. J’ai pris pour épigraphe Math. VI. 33. et j’ai divisé mon étude en 6 chapitres.
Ier Que sommes nous? que faut-il faire (sommaire à (…?)) chute de l’homme nécessité de la Régénération. Loi Divine rétablie dans le coeur même de la fille de Pharaon avant Moïse sauvé des eaux par Elle; l’humanité même sauvée avant l’incarnation. Paroles de Jehovah opérant, avant la transcription des faits mosaïques, avant la parole chrétienne etc etc.
II Qu’avons nous fait? coup d’oeil sur “colonisation chrétienne; foyer même du christianisme etc, partout amour de soi et du monde. Chercheurs d’or, adoration du veau d’or, infatuation de la propre intelligence, propre science, propre grandeur humaine etc etc et négation de tout Divin et de tout Spirituel.
III Heure de notre mission. Age de Moïse, 80 ans; vieillesse, sagesse, caducité, espérance, tentation, entre les principes nouveaux qui doivent nous gouverner et les principes anciens qu’il faut abandonner, ou enseigner à nos descendants de se jeter etc. parallèle, entre les vieillards et les générations qui s’éteignent.
IV Heure solennelle, heure de notre vraie mission Bâton de Moïse. Ière lettre de la parole chrétienne. Science des correspondances. Egypte berceau de l’Ere nouvelle, comme elle est le lieu où s’est (…?) l’ancienne puissance spirituelle de l’Eglise d’Asie etc et les 3 signes; prophétie sur notre propre état; quand nous serait mis entre les mains le bâton de Moïse le sens littéral de la Parole etc jusqu’à ce que les eaux du fleuve soient en sang sur le sec, l’aride de notre pauvre pensée chrétienne. Promesses que nous sortirons de cet état. Main lépreux de Moïse guérie etc etc.
V Linceul du Christ, trouvé par Pierre au Sépulcre, dernier mot que le Seigneur adresse à ses nouveaux disciples. Sens littéral profané; linge teint de son sang! __ Nous avons horreur des crimes des Juifs; ce linge pris sous nos regards n’appelle-t-il pas notre repentir; ne viendrons nous pas adorer à ses pieds, comme la femme pécheresse lui donner gloire comme le samaritain, des dix lépreux nettoyés etc etc. Parabole de Math.IX 35 à 38 moisson abondante, mais pas d’ouvriers; la prière est notre arme la plus puissante dans les tribulations grandes au milieu desquelles notre impuissance est manifeste.
VI Prière ___ Esaïe XIV 1, 6, 7
Esaïe XXVII 1, 2, 3
Ezech XXIX 3, 8, 9, 10, 13, 15, 26 Résumé.

Je me suis laissé entraîné à vous donner un aperçu sommaire de la manière dont j’ai envisagé et traité les admirables explications des arcanes célestes sur ce grave et important sujet. Il est certain que c’est la clef qui ouvre le sanctuaire; il faut aller en Egypte la chercher, et nos grands chercheurs de nos origines sociales, les fouilleurs de sépultures, de papyrus, et du langage Hébraïque. Egyptien dont il est évident, sur le point d’arriver aux arcanes célestes. J’ai espoir (quelque incomplet, informe que soit mon travail) qu’il pourra servir à nos savants. C’est navrant de voir l’Europe battre l’air de ses bras pour arriver à rien comme je l’ai vu dans la “Revue des deux mondes” de Février et 1er Mars. “Contes et Romans de l’ancienne Egypte par Mr. Jules Loury qui conclut à ce que l’histoire de Joseph est un conte fantastique imité des deux frères Anepid et Bataon! __ à la manière ajoute Mr. Loury d’un conte de Perrault, et Mr. Renan avec son Apocalypse de 97 __ Il est clair et il est évident que si le Seigneur n’avait pourvu un moyen de nous retirer d’un tel état d’aberration mental sur les choses divines et d’ordre surnaturel, que c’en eut été fait de nous. Il y a parmi nous un grand mouvement vers Madagascar, notre misère est si grande, que nombre d’industriels se réfugient vers ces contrées nouvelles. Nohémar(?) est un endroit très sain, plusieurs créoles s’y sont établis, et y font bien leurs affaires jusqu’à ce que (…?) le poison Malgache fasse passer leur or et leur argent de leur poche dans celle des Malgaches….. ou bien à moins que la doctrine du Seigneur ne s’y implante à la place de celle des Catholiques et des Protestants qui y travaillent à (…?) leur propre gloire. Un camarade de Régis part ces jours-ci pour Nohémar appelé par un de ses parents qui y fait fortune. Charmoy d’Emmerez a été baptisé dans la Nouvelle Eglise. Il suit notre culte, mais il a 17 ans. J’enverrai toujours quelques ouvrages par lui. __ J’ai encore besoin de quelques petits traités, Foi, Charité et de quelques exemplaires de Vrai Religion Chrétienne; ce sont je crois les meilleurs rudiments d’instruction chrétienne, pour ceux qui n’ont pas l’avantage d’avoir un culte établi dans leur pays.

Toujours à vous en N.S.J.C.

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Monsr Régis de Chazal
42 Rue de Rivoli

St Antoine 29 Avril/75

Retour à St Antoine __ enfin de la pluie __ espérance et foi en l’avenir, c’est espérance en Dieu même __ envoi de ma brochure __ Moïse sauvé des eaux, vocation de Moïse. __ annonce du travail nouveau, Bâton de Moïse __ mission (…?) __ etc __

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Memorandum

Par une lettre du 1er avril à Régis dont j’ai omis de faire mention dans ma copie de lettres (…?) en envoi de renouvellement par une lettre de crédit à partir de mai 1875 pour un an __

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Mr Régis de Chazal
42 Rue de Rivoli
Paris

St Antoine 26 mai 1875

Arrivée des enfants __ Lucie souffrante, Claire au Mesnil. __ Fêtes de la Reine, Bal, Régates __ Edmée partie pour le Mesnil. __

Affaires vont mieux __ pluies providentielles du mois de Mai __ 20 pouces à St Antoine__ navire du moins sauvé du naufrage, si la cargaison (la coupe de l’année) est perdue il y a moyen de recommencer une autre cargaison. __

Envoi de ma dernière publication “Bâton de Moïse” __ dont 200 exemplaires envoyés à Mr. Harlé. __

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Mr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris

St Antoine 26 Mai 1875

Arrivée à bon port des enfants. __ Réception des 50 exemplaires, “de l’Esprit et de l’homme” ouvrage du Rd Chaussey Giles __ traduit par made Keller à Paris. __ Heureux de voir que la Providence du Seigneur emploie toujours la femme (l’affection) comme moyen de secours à la France dans ses grandes tribulations: Jeanne d’Arc pour la délivrer de l’étranger à l’heure de l’invasion anglaise __ made Keller, made Volff etc au temps de l’oppression intellectuelle césarienne et ultramontaine pour montrer la nature du combat par lequel la France doit se révéler de ses derniers désastres. __

Envoi par Auguste de 200 exemplaires de mon dernier travail “Bâton de Moïse”. Etrange coïncidence entre cette publication et celle de Rd Chaussey Giles __ évidemment la même pensée nous guidait __ l’influence du nouveau ciel chrétien.

Essai de répandre le traité de Chaussey Giles par la presse. __ Refus de Bernard qui me répond: qu’on pourrait le supposer en passe de devenir un membre de la Nouvelle Eglise.__ qu’il était libre penseur, mais qu’en fait de religion un journaliste doit être de l’avis de tout le monde etc et qu’il n’est rien!. __

Envoi de 200 exemplaires seulement cette demi envoi de caisse ne coûte que $ 5 de frais aux messageries mais avec 100 exemplaires de plus cela monte à $ 10-” triste preuve de la rationalité et de la logique de nos pauvres compatriotes même en industrie. etc pluie torrentielle en mai __ mon navire est sauvé.

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David Gill
Observatory Dun Echt
by Aberdeen

St Antoine 26 mai 1875

Réponse à son bon souvenir du 21 mars au Caire. __

S’il a conservé une bonne impression de son séjour parmi nous, le souvenir du passage de Vénus au soleil et de l’Expédition de Lord Lindsay à Maurice sera évidemment séculaire à St Antoine et à Belmont. etc

Regret de Julie de ne l’avoir connu que par correspondance. __ Félicitations d’avoir trouvé la paix de son foyer et de son bonheur en retrouvant sa femme etc etc.

Pluies (…?) de mai __ Influence évidente que doit avoir eu le transit de Vénus sur notre atmosphère. __ Relation des destinées sidérales avec les destinées humaines. __ Question que résoudra sans doute un jour la science astronomique car ce ne peut être par caprice et par hasard que sans la Providence du Seigneur met en mouvement dans l’immensité tant d’astres et tant de planètes ayant évidemment une influence les uns sur les autres séculairement. __ Influx de l’esprit sur la matière inanimée; réaction évidente de la sphère des objets inanimés sur nous. Action, réaction, solidarité, pondération, équilibre de toutes choses entre les mains du Seigneur, tout cela ne peut être de vains mots seulement. __

Envoi de mes deux dernières brochures brochures à lui et à Lord Lindsay __ Loi Divine de Moïse __ Bâton de Moïse. Mission (…?). __ etc

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Monsr Tanquir Docteur
Messageries Nationales
Aden

St Antoine 26 Mai__/75

Réponse à sa lettre, concernant son fils: je ne le mettrai pas sur le pavé, tant que je n’y aurai pas été jeté moi-même. __

Situation désespérée de la colonie __ mois amélioré par le dernier phénomène atmosphérique de mai __ pluies torrentielles, etc 20 pouces à St Antoine (…?) sous la fécondation des pluies résultant de la visite de Vénus au soleil __ etc etc __

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Messrs Fontaine Smith
Patureau
Port-Louis

St Antoine 3 Juin 1875

Messieurs

Il y a trois jours que je vous ai fait une dernière offre amiable de terminer tous nos différents; et je suis encore sans réponse.

Après ma dernière entrevue, il y a 10 jours, avec votre sieur Fontaine et malgré tous mes justes sujets de mécontentement j’avais espéré que revenu au (…?) de vos obligations envers moi, mon usine serait enfin mise en état de fonctionner pour ma coupe. Mr Fontaine m’avait solennellement déclaré qu’il allait venir faire l’essai de sa (…?), et que mes pompes étaient à ma disposition; qu’il n’avait jamais prétendu qu’elles ne (…?) pas ma propriété. J’envoies chercher pour la 10ème fois ces pompes depuis près de 2 mois et ma charrette revient de nouveau à vide!

Pour en finir je vous ai proposé d’emporter votre Gurin(?), et pour éviter un procès scandaleux, je renonçais à toute réclamation de réparation par vous des vices de votre dernière installation des vides sur ma propriété; vous déclarant que j’allais faire faire à mes frais et par un autre mécanicien plus soucieux des intérêts de ses clients que vous, le travail nécessaire pour remédier aux fautes que vous aviez commises. Il y a trois jours de cela; et je suis encore sans réponse. __

Le temps presse, il faut que le nécessaire soit fait à mon usine; mais il parait que même en faisant ces sacrifices je vais en venir à une mesure légale pour obtenir de vous que mes pompes me soient rendues.

Si je n’étais souffrant aujourd’hui je serais allé en ville pour prendre les mesures légales nécessaires à mes intérêts. Je fais une dernière tentative amiable. Si d’ici Samedi je n’ai point de réponse catégorique et pas plus d’exécution de vos promesses et engagements que par le passé, je vous déclare que (…?) sans faute mes dernières mesures seront prises. Mais je dois vous déclarer en même temps que je ne bornerai plus à la simple réclamation de mes pompes mais je réclamerai les justes dommages et intérêts auxquels j’ai un légitime droit pour toutes les pertes que m’a fait subir votre inqualifiable conduite à mon égard dans toutes mes transactions.

Puisque la justice publique doit décider entre nous, cette justice dira publiquement tout ce dont j’ai souffert et en décidera.

Signé: Ed de Chazal

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Monsr J. Shand
à Henriettes __
Vacoas __

St Antoine 7 Juillet/75

Mon cher M. Shand

Je reçois votre lettre du 2 courant, et je vois au sujet de notre affaire de mon terrain du Vacoas, que nous sommes encore plus loin de nous entendre, à la dernière heure que nous ne l’étions il y a 6 mois. Il est évident que nos intérêts restent diamétralement opposés.

Je désire vendre, j’ai besoin de vendre ce terrain et vous, vous désirez en conserver la location à des conditions qui me sont onéreuses.

Vous faites appel à mes sentiments de justice bien connus dites vous afin de vous laisser jouir des plantations qui sont sur ce terrain, et vous m’offrez en continuation de location pour 2 1/2 ans c’est-à-dire depuis le 31 Juillet (ce mois-ci) jusqu’au 31 Décembre 1877 aux mêmes conditions que par votre ancien contrat soit $ 100 par mois ce qui revient à dire que pour les trois coupes de 1875, 1876 et 1877 vous ne m’offrez que 2 1/2 de rente, me rendant fin de la coupe troisième en Décembre 1877 mon terrain nu sans aucune compensation ni rétribution pour ainsi dire pour une jouissance de trois coupes de plantations à moi appartenant aux termes formels de la lettre comme de l’esprit de notre ancien accord. Evidemment vous n’avez envisagé la question que sous votre point de vue personnel; et il n’y a là aucune justice.

Vous oubliez qu’à l’origine de cette affaire, je n’avais consenti à la minime location de ce terrain que comme numération de l’abandon que m’avaient fait MM. Plasson et Brunon des 25 arpents en propriété et de la maison qui existait dessus pour ma soeur Mad. Moon qui désirait finir ses jours là où elle avait vécu heureuse avec Moon. Certes j’ai plus que largement payé cette concession par la jouissance que je vous ai laissée de nos terres pendant plus de 12 ans au taux de cette location. Aujourd’hui les mêmes motifs de sacrifice de ma part n’existent plus. Mr Plasson a exigé son droit de renouvellement de location aux mêmes conditions, lorsqu’est arrivé le terme de notre premier accord; et j’ai scrupuleusement accompli l’obligation que j’avais consenti. Je ne demande aujourd’hui de la part des propriétaires de Henriettes, que la même scrupuleuse exécution de nos conventions. Telle est la justice comme je la comprends.

Mais certes, il n’est pas juste de me demander de jouir pendant 2 1/2 ans encore, et à des conditions plus onéreuses, encore pour moi, de plantations qui sont et deviennent ma propriété formellement aux termes de notre contrat à l’expiration de nos dernières conventions.

Vous me dites avoir beaucoup réfléchi à cette affaire, depuis notre dernière entrevue, et que vous ne pouvez arriver à d’autres conclusions. Evidemment, je le répète, vous n’avez réfléchi qu’à votre point de vue; et ce n’est pas juste. Si vous avez voulu seulement prendre en considération ce que je vous avais dit de mes intérêts vous auriez pu vous convaincre facilement de la justice de mes prétentions. Ici, même au Mapou, lorsque nous étions sûrs de récolter quand nous avions mis une canne en terre; lorsque comme pour nous aujourd’hui, nos terres autrefois nous rendaient comme pour vous, 3, 4, 5 et 600 livres de sucre à l’arpent nos prix de location des terres à sucre étaient bien autre chose que le prix consenti par moi à MM. Plasson et Brunon; un seul exemple: un terrain de 18 arpents qui fait aujourd’hui parti du domaine de St Antoine a été loué par Mr Chauvet au prix de 132.500 (…?) de sucre, c’est-à-dire 7 ou 8 000 par an; et faut-il ajouter qu’à l’heure de la location, il n’y avait plus de 50.000 (…?) de sucre à faire sur ce terrain. Demandez à Arbuthnot(?) ce qu’a payé dans le temps Frébuchet pour la location de 180 arpents au Terrain Fleurant.

Mais nous n’avons que faire de ce sujet. Je n’ai fait ici mention de ces locations que pour vous donner la preuve de la modération de mes prétentions dans toute cette affaire.

Dans mes sentiments de justice je crois avoir fait vis-à-vis de vous, tout ce qu’il m’était possible de faire. Mon opinion est que la location des terres est une chose mauvaise en ce pays, tant pour l’usurier que pour le propriétaire. Toujours dans mon opinion, une location ou fermage des terres n’est une opération convenable que comme en Hollande, à de très longs termes, 100 ans. Et dans cette opinion, je n’ai jamais loué cette opinion que lorsqu’il m’était impossible de les acheter. Je louais, en attendant l’heure de l’acquisition, je vous l’ai dit, et je crois, que je vous l’ai même prouvé, l’agrandissement de nos opérations sucrières par acquisition est la seule réellement profitable. Et dans cette opinion toujours et toujours avec ces sentiments de justice que vous me reconnaissez, je vous ai fait l’offre de mes termes. Vous n’en voulez pas, n’en parlons donc plus, mais je présume que vous considérez comme de toute justice que je fasse mon affaire par ailleurs. Vous m’y forcez; je vais donc faire appel d’offres pour mon terrain par avis de journaux car la chose presse.

Croyez moi toujours etc

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
Paris __

St Antoine 21 Juillet/75

Accusé réception de sa lettre du 4 Juin __ Je n’ai pas écrit par la dernière malle, à cause de mes pénibles préoccupations d’intérêt matériel. Elles continuent. Hiver plus sec encore que l’été que nous venons de passer. Coupe perdue, ne pouvant faire face à mes frais. Déficit considérable pour la 3e année. Triste perspective pour moi, si un secours ne me vient du ciel. Force et courage que je puise et que je ne peux trouver que dans la Doctrine du Seigneur, au milieu de ces épreuves. __

Excuser mon laconisme.

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Régis de Chazal
42 Rue de Rivoli

St Antoine 21 Juillet/75

Mes préoccupations de l’état désastreux de nos plantations par suite des dernières sécheresses. Mais je ne perds pas courage __ perdu 300 à 350 arpents de cannes, et le reste ne pourra faire face à nos dépenses. Nouveau déficit, nouvelle dette, lourde charge; mais j’ai séparé mes avaries(?) __ Grandes nouvelles plantations réussies jusqu’ici. __ Mon projet de vendre le Vacoas $ 25 000- pour boucher un des trou faits par Poudre d’Or dans la coque de mon navire (…?) (………………………….??), crédit du littoral mort; __ huissiers qu’on (…?) porte; combien désireraient ma ruine à cause de mes principes religieux. Facile de me faire du mal, car ils ont l’argent, la puissance mondaine; on n’a qu’à me refuser l’assistance dont j’ai besoin jusqu’à des jours meilleurs; c’est-à-dire pluie, bénédiction du ciel. Ce ne peut être qu’une épreuve permise par le Seigneur. Ma pensée est accablée par l’idée probable de la misère pour sa mère et ses soeurs, pour eux-mêmes les derniers. Je prie Dieu pour qu’il nous donne l’intelligence de ses préceptes, la force de les mettre en pratique, c’est-à-dire dans le vrai de la vie dans tous les degrés. C’est notre salut.

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Monsieur (…?) Adam
Président
de la Banque Commerciale

St Antoine 25 Août 1875

Mon cher Adam

Il parait que je me suis mal expliqué, ou que vous mal compris au sujet de l’assistance que je réclame de la Banque et dont je vous ai parlé.

Il m’a été dit que la Direction demandait un état “détaillé de ma situation et qu’Elle tient à avoir une hypothèque frappant sur toutes mes propriétés”. Serait-ce pour prendre en mains toutes mes affaires et opérations? Je ne puis, autrement, comprendre que ce soit seulement en vue de garantie de $ 50,000 dont je suis redevable en billets et que je ne puis il est vrai payer avec mes revenus misérables de cette année.

Je n’ai aucune objection à mettre au grand jour ma situation. J’ai été même au devant de tout désir à cet égard. Je croyais avoir tout dit en vous faisant connaître le montant de mes engagements, l’impossibilité dans laquelle je suis d’y faire honneur avec ma coupe désastreuse; et en même temps mes ressources d’avenir, mes espérances presque certaine d’une bonne coupe d’après mes plantations nouvelles bien réussies et d’après la bonne apparence des réponses des plantations coupées ou plutôt rasées en Juillet et qu’on eu pu croire perdues par suite de la dernière sécheresse et d’après leur misérable état.

Je vais donc me répéter par écrit. Ma dette est de $ 75 à 80 000 dont $50 000 à la Banque, et 16 000 à l’Oriental Bank, et $ 12 à $ 15 000 en mains divers. Cette dette provient:
1° des $ 25 000 empruntées en Juillet/73 à la Banque pour parfaire la somme de $ 40 000 que j’ai payée comptant sur la prise de Poudre d’Or achetée $ 100 000 __ Je croyais pouvoir facilement rembourser cet emprunt sur le produit de ma coupe. Il n’en a pas été ainsi, au lieu de 3 millions je n’ai récolté que 1 700 000 livres(?) juste de quoi faire face à mes besoins anciens et nouveaux ces $ 25 000 sont restées en déficit en valeurs nouvelles.
2° $ 25 000 (vingt cinq mille piastres) pour augmentation, amélioration de mon usine dans un but de centralisation de toutes mes opérations agricoles. En 1874 même histoire, plus triste même qu’en 1873. Le coup de vent a fait fondre le sucre de mes cannes en même temps que mes espérances de satisfaire à ces engagements __ plus
3° 12 à $ 15 000 de frais extra: introductions laboureurs pour mise en valeur de ma nouvelle acquisition etc etc.

Une seule coupe devait suffire pour faire face à toutes ces éventualités … mais 1875 est encore plus ou aussi désastreuse dans ses résultats agricoles que 1874. Ma coupe ne peut suffire qu’à mes dépenses courantes.

Dans ces circonstances j’ai voulu battre monnaie par hypothèques sur quelques unes de mes propriétés foncières en dehors de mes propriétés sucrières pour faire face aux engagements que mes revenus laissaient en souffrance. Mais le crédit hypothécaire colonial est encore plus mal côté que le crédit de place. Je possède plus de $75 à 80 000 de bien foncier en dehors de St Antoine et de ses annexes. Impossible de faire un emprunt. J’ai vendu $ 25 000 de terres aux Vacoas. Je n’ai eu qu’un contrat très bon dans un porte-feuille de capitalité, mais presque nul comme argent pour moi qui ne suis qu’un industriel aux abois.

J’avais pensé que la Banque à qui j’avais, dans le temps rendu service de faire rentrer dans ses fonds par le contrat hypothécaire de Belmont, qu’elle m’avait vendu entièrement à crédit pour $ 52 000; j’avais pensé dis-je, que la Banque mon plus fort créancier, consentirait à m’accorder termes et délais, au moyen d’un contrat sur ce même Belmont, ou sur toute autre de mes propriétés; mais je l’avoue, j’étais loin de m’attendre à ce qu’elle me demandât une hypothèque frappant sur toutes mes propriétés pour les $ 50 000 que je lui dois. C’est évidemment inadmissible, ce serait non pas m’aider mais me couler à fond. Je n’en suis pas à me couper moi-même la gorge de peur d’être décapité, une seule coupe suffit pour me libérer. La Banque n’a que faire de demander en garantie 8 ou 10 fois la valeur de sa créance, pour des billets que ma simple signature met au premier rang des valeurs fiduciaires de la colonie. Je vaux certes (industriellement et matériellement parlant) à l’heure actuelle, autant et même plus que par le passé. J’ai perdu il est vrai 200 à trois cents mille piastres dans ces trois dernières années néfastes agricoles mais ma perte a été une perte de revenus et non de capitaux. La somme que je dois se trouve dans la plus-value de ce “Poudre d’Or” même, cause de mon embarras monétaire actuel, et dans la plus-value de mon usine augmentée et améliorée. Poudre d’Or ne produisait que 300,000 livres(?) de sucre. Elle a en perspective une coupe presque certaine d’un million à 1 200 000 en 1876; (450 arpents en plantations nouvelles par moi, dont 210 à 220 vierges, en excellent état de culture). Et mon usine qui ne pouvait manufacturer que 2 à 3 millions est en état de suffire aux 3 à 4 millions auxquels s’élèvent, ou qui me sont en perspectives d’après mes nouvelles acquisitions de terre. Une seule bonne coupe, une saison pluvieuse!!. __

Je souffre surtout du discrédit tombé sur nos propriétés du littoral c’est incontestable. Mais il n’en est pas moins vrai qu’une assimilation n’est pas possible entre mes propriétés et les propriétés limitrophes. __ Sans contredit aussi, la détermination de plusieurs de mes voisins de fermer leurs usines, d’abandonner toute culture, surtout la décision prise par des hommes tel que Mr Curie et Mr Leclézio, sans contredit une semblable détermination ne peut avoir qu’une grande influence sur l’appréciation que la Banque est tenue de faire du crédit à accorder aux planteurs de nos régions; mais cette appréciation ne peut être que modifiée après un plus mur examen. Mes propriétés ne sont pas dans les mêmes conditions d’existence que celles de mes voisins. Je ne plante depuis nombres d’années que sur assolements. La canne trouve dans ma terre la puissance nécessaire de résistance contre les intempéries des saisons. Je crois à l’influence des arbres pour protéger la plante nourricière de l’homme; car la science moderne nous démontre “que les arbres absorbent les rayons caloriques du soleil, et en déchargent la terre. Mes propriétés se couvrent d’arbres de jour en jour. J’en suis même aux assolements forestiers. Mes voisins n’ont jamais voulu entendre parler ni d’assolement ni de plantations d’arbres. La conséquence de nos principes si différents en agriculture, devait être inévitable. J’étais dans le vrai, l’expérience le prouve. Chez mes voisins les effets des sécheresses sont ressentis dans leur maximum d’intensité. Leurs champs sont presque entièrement dévastés. De là l’abandon de leur culture. On ne voit de tous côtés, chez eux, que la terre dénudée, brûlée ou brûlante et aride sous un soleil torrifiant. Mes plantations ont souffert sans doute, et beaucoup souffert, mais enfin elles ne sont pas détruites. Les repousses des cannes échappées à la destruction solaire sont, je vous l’ai dit, luxuriante de végétation, pleines d’avenir, sous l’influence des dernières pluies exceptionnelles il est vrai dans cette saison. Mais enfin, tel est l’état réel des choses. Sans métaphore, je puis dire que St Antoine et ses annexes présentent presque l’image d’un oasis au milieu d’un désert. Je vous l’ai dit: venez voir!

Il est vrai qu’en outre des arbres j’ai de l’eau. J’irrigue, j’arrose une partie de mes terres. Autre point essentiel de différence entre les propriétés voisines et les miennes. Je n’ai pu encore tirer le parti voulu de ces ressources de l’eau qui est à ma portée; mais j’y arrive graduellement. Pendant que je vous payais Belmont, j’ai mis pour plus de $ 40 000 à

$ 50.000 de travaux hydrauliques; pompes, machines, tuyaux, bassins, endiguements, canaux maçonnés etc etc. J’avais porté l’eau sur plus de 350 à 400 arpents; mais lorsqu’est survenu la période des sécheresses tous ces travaux sont restés presqu’improductifs. Les faibles ressources de Belmont n’ont pu servir qu’à un nombre restreint de plantations. Déboires aussi au début de Poudre d’Or, non à cause du manque d’eau, mais à cause des moyens incomplets ou défectueux d’irrigation établis par mes prédécesseurs. Pompes défectueuses, manque de canaux maçonnés, de bassins etc. immense perte d’eau absorbée dans son parcours, et dans l’intensité des sécheresses, par une terre altérée sous un soleil torrifiant. J’ai déjà porté remède à plusieurs de ces défectuosités. Malheureusement, cette année, je n’ai pu jouir que tardivement un Juin, des avantages de la nouvelle forte installation faite par moi à Poudre d’Or. Mais je travaille incessamment à toutes ces améliorations. Il est trop long d’en faire le détail, et ce serait sans doute fastidieux pour vous. Un seul et dernier mot qu’il est important d’ajouter ici: Tout cela demande du temps et de l’argent! __ M’en donnerez-vous?

Il ne s’agit que d’une dette flottante qu’une seule année de revenus moyens peut entièrement éteindre. Je vous ai dit que j’avais de réussies et d’assurées 420 à 430 arpents de plantations vierges nouvelles pour 1876.
Ajoutez-y les 250 environ de rasées en Juillet et dont la repousse est très belle, et en outre de celles qui me restent à couper, 8 à 900 arpents dont plusieurs peuvent rivaliser de beauté avec toutes celles de l’île (par irrigation) et vous aurez un total de plus de 1 400 arpents de cannes pour 1876. Avec un rendement moyen de 2 à 25 000 livres(?) par arpent, cela fait plus de 3 millions. En admettant même une nouvelle avarie de sécheresse (ce qui n’est pas probable) sécheresse dont je suis, de jour en jour, plus à même de combattre les effets désastreux en supposant même au misérable rendement moyen de 1 500 livres(?) par arpent, ce serait encore plus de 2 millions, c’est-à-dire, suffisants pour faire face à mes engagements qui pourraient s’élever au début de 1876 au delà de 60 à 70 000. __

Et enfin pour piédestal ou garanties en dernier ressort (à Poudre d’Or et au Mapou seulement) 4 propriétés sucrières offrant un total de plus de 3 000 trois mille arpents des meilleures terres sans contredit de la colonie, dont la moitié en bon état de culture et la moitié en assolements; plus une usine en état de manipuler 4 à 5 millions de sucre.

J’ai vidé mon sac. Si la Direction demande d’autres détails, un état notarié de mes possessions, il me faut plus de temps; car il faudrait faire la note des titres et contrats de près de 7 à $ 800 000 de toutes mes acquisitions. Depuis 42 ans je n’ai fait qu’acheter des terres. St Antoine ne se composait que de 300 arpents; il trône aujourd’hui au milieu de

3 000 arpents. Il y a plus de 150 à 200 contrats à voir pour mes immeubles seulement. Quant à mes biens mobiliers, ma foi je crois que le chiffre atteindrait le montant de ma dette (…?), même si je la passais à l’encan.

Il me reste à vous prier de m’excuser de tout l’ennui que je vous cause en vous entretenant de mes affaires personnelles. Cette lettre est déjà bien longue. Le fait est qu’il eut fallu plutôt présenter un mémoire à la Banque, car la question qui m’intéresse ici est presque une question d’intérêt général. Il s’agit du crédit agricole; élément fondamental de notre prospérité coloniale et c’est une question qui demanderait une sérieuse élaboration. Ce qu’il y a de plus clair pour moi c’est que je n’ai que $ 5 000 en Banque; un reste de contrat

$ 17 000 que je négocierai Dieu sait quand; une centaine de milliers de sucre qu’on ne trouve pas à vendre; et qu’il me faut payer ce mois à $ 12 000 de billets, puis pourvoir à 5 ou $ 6 000 de frais courants et qu’il en doit être ainsi jusqu’à la fin de l’année; car par dessus le marché, nous voilà forcés de retarder encore notre coupe; il pleut sans interruption depuis plusieurs jours; les cannes se mettent à pousser, quand ce serait l’heure de les manipuler! C’est à n’y plus rien comprendre dans les lois mêmes de la nature tout comme dans les affaires des hommes.

Croyez moi sincèrement.

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Monsieur le Dr Tanquier
Messageries nationales
Aden __

St Antoine 19 août/75

Mon cher Dr Tanquier

Comment vous annoncer le triste événement survenu à votre fils? La plume me tombe presque des mains. Philippe est à l’heure actuel sous les verrous de la Justice(?). Il a tué un Indien ou a été cause de sa mort par des coups ou par (…?) sur l’homme pendant le travail aux champs. L’Indien ne remplissait pas sa besogne convenablement, un mouvement de colère s’est emparé du jeune homme, il l’a frappé du poing, trop rudement il parait; l’homme est tombé près de roches énormes, s’est mis à vomir, une heure ou deux environ après, il a cessé d’exister. Cela a eu lieu il y a à peu près un mois, le (…?); aussitôt événement, Philippe est venu lui-même m’annoncer le fatal événement. Je tiens ces détails de lui-même; à mes yeux, c’était évidemment un meurtre involontaire; j’ai été de suite en faire moi-même la déclaration à la station de police du quartier. Tous, moi le premier, nous avons conseillé à Philippe de se constituer prisonnier. Mais au bout de 3 à 4 jours, avant même aucune enquête commencée, je ne sais par quelle inspiration, le malheureux jeune homme s’est évadé, sans doute par les bruits qui courent, s’empareraient de cet événement pour (…?) les injustes accusations des mauvais traitements envers les engagés indiens dans la colonie; que l’on lui infligerait une condamnation à plusieurs années de galères, comme preuve de justice est toujours donnée (…?) (…?) population d’ouvriers Indiens engagés etc etc. __ Bref pendant quinze jours, toute la police du pays sur pied n’a pu le trouver. Il échappait. Il était caché à bord d’un navire en partance “Les deux Indes”(?) je crois. Une dénonciation d’un matelot m’a-t-on dit l’a fait découvrir; et il est depuis entre les mains de la justice humaine. __ A-t-il tué, l’homme s’est-il brisé quelque viscère en tombant sur les roches; cet homme était faible; nous avons des centaines de cas, depuis nos fièvres, que le moindre coup donné sur un des viscères d’un fiévreux cause rupture d’un organe et par suite la mort. Lui sera-t-il infligé une peine seulement disciplinaire comme ayant causé instantanément la mort. Sera-t-il victime de l’esprit de parti. Anti-Esclavagiste qui poursuit dans le libre travail ses étranges idées de philanthropie envers la race noire; quelle sera enfin l’issue de l’affaire? Dieu le sait; j’ai confiance en la Providence du Seigneur de toutes nos fautes et de toutes nos erreurs. Philippe est un bon jeune homme, un peu colère, un peu empesté, n’ayant pas (…?) des idées assez saines sur la vie et sur nos (…?) en ce monde; mais ce n’est point un criminel; il n’avait aucune intention de tuer, pas même sans doute de faire aucun mal; mais il est d’une force (…?) et incapable d’apprécier les coups sortis de sa main. En fin mon cher ami, voilà où en sont les choses. Je n’ai pas revu Philippe depuis l’heure où il s’était constitué prisonnier, on m’a conseillé l’abstention de tout sentiment de sympathie dans son propre intérêt. __ Je suis appelé aujourd’hui devant le juge d’instruction pour témoignage sans doute de ce que je sais. A mon retour je vous reparlerai de Philippe à qui j’espère enfin pouvoir dire quelques mots, quand ce ne serait que de consolation et de résignation. Je voudrais vous voir arriver; vous, sans doute vous pourrez quelque chose envers la Justice Humaine, en faveur de votre fils, à cause de sa jeunesse.

Le coeur brisé
à vous de toute mon âme

P.-S. Je reviens de l’enquête, Philippe est renvoyé aux assises, devant un Jury! __

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Monsr Aug. Harlé
40 Rue de Bruxelles
et
Régis de Chazal
42 Rue de Rivoli
Paris __

St Antoine 18 Août/75

à Mr Harlé, court aperçu de mes ennuis de toutes (…?) __ affaires allant de mal en pis; affaire Tanquier.

à Régis __ plus de détails sur mes affaires, le discrédit général; Résumé de mon mémoire à la Banque; espérance que St Antoine sera plus favorisé quant au faible crédit qu’on accorde aux propriétés du littoral etc etc. __

affaire Tanquier, avec détails. Mon espérance que jamais douleur pareille à celle de Tanquier père ne sera mon lot. __ J’ai enseigné la Loi de Dieu, la Doctrine du Seigneur à tous les miens, ils ont un moyen de résister, à mettre un frein à toutes les passions, surtout à cette colère qui dirige trop souvent notre bras, et cause la mort du prochain etc etc. Conseils.

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Monsr Régis de Chazal
42 Rue de Rivoli
Paris

Septembre 1875

Triste état de mes affaires. __ Créanciers refusent de remettre le paiement de leurs billets à la coupe prochaine; peut-être ira-t-on à la saisie de toutes mes propriétés! __ Arrangement possible cependant demain, avec l’assistance ou le bon vouloir des Banques. Coupe nulle; impossibilité de faire face à mes engagements. Mais espérance d’avenir pour la coupe prochaine. Pluies fréquentes et continues depuis 2 mois __ plantations luxuriantes. Ne pas compter sur moi, mais sur son propre travail et sa propre industrie; je ne sais s’il me sera donné de sauver un morceau de pain pour ma femme et ses filles après 40 ans de dur labeur, et d’honnête industrie. Mais j’ai confiance dans la Providence du Seigneur, car je ne suis mû que par un sentiment, le sentiment du devoir envers Dieu et le prochain. Etre honnête, devoir envers Dieu; remplir mes obligations et payer mes dettes, devoir envers le prochain. Je puis remplir tous mes engagements si on m’en donne le temps.

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Monsieur Edmond Chevrier
Bourg (Ain)
France

15 Sept/75

Accusé réception de sa lettre du 23 Juillet et des deux exemplaires “notice sur Swedenborg” publiée par lui. __ Remerciements, aussi des 40 à 50 exemplaires qu’il annonce devoir envoyer à notre société.

Je trouve son travail remarquable, le félicite de sa détermination de se livrer à la propagation de nos doctrines, en renonçant aux jouissances que pourraient lui donner ses succès politiques. Son dessein d’exposer dans un ouvrage et de résumer les doctrines renfermées dans les ouvrages de Swedenborg sera, sans nul doute, d’une grande utilité. On a besoin de ces travaux préparatoires; peu de personne se décide à l’étude ardue et difficile de Swedenborg. Il faut pour le public préparer la nourriture spirituelle tout comme on a besoin de préparer notre nourriture matérielle etc. etc.

Je lui recommande Régis, et j’espère que notre correspondance sera suivie. La plus douce jouissance ici-bas, est celle de nos pensées quand elles ont pour but le ciel et quand elles nous sont dictées du ciel.

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Mr le Dr Tanquier
Messageries nationales

15 Sept/75

L’affaire de Philippe a été renvoyée au 22. __ Les jurés n’ont pu s’entendre. Je les envois les (…?) du Cernéen qui rendent compte des débats.

Nous espérons que Philippe en sera quitte pour une condamnation correctionnelle de quelques mois de détention pour coups et blessures. __

La question d’assassinat a été écartée aussi bien que celle des coups avec intention de donner la mort.

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Monsieur Loïs Raoul
Port-Louis

St Antoine, 29 Sept/75

J’ai laissé passer 24 heures de réflexion sur les dernières propositions qui m’ont été faites par écrit hier, et ma détermination est la même.

Il m’est impossible d’accepter ces propositions; en voici la raison:
La 1ère proposition me donne un an de délai, sous la condition que ma femme abandonne ses droits sur mes créanciers chirographaires(?) qui prendraient une hypothèque sur tous mes biens!
La 2nde proposition prend tout ce que j’ai de disponible en dehors de St Antoine, au prix qu’on pourra (à bref délai) et prend hypothèque sur tout le reste; à moi de marcher et de payer d’ici un an toute cette somme.

Je suis littéralement laissé sur la route, pieds et poings liés, et l’on me dit, marchez, sauvez vous.

Dans un cas comme dans l’autre, tout moyen de travailler et par conséquent de payer, m’est enlevé; le délai d’une année qui m’est accordé, n’aura pour effet que d’assurer ma ruine complète et d’enlever à ma femme le dernier morceau de pain, qu’elle pourra donner à ses enfants. Je ne puis y consentir. Je ne puis dans l’état actuel des choses, exiger de ma femme un semblable sacrifice, qui peut-être n’aurait aucun résultat avantageux pour moi car l’avenir n’est pas à nous; je puis concevoir de la coupe prochaine, à l’heure actuelle, des espérances qui peuvent ne pas se réaliser. Il m’est impossible en présence de ces éventualités de m’engager à payer dans un an une somme aussi forte, surtout lorsque évidemment je n’ai à attendre aucune concession, aucune pitié de mes créanciers actuels.

Le malheur qui me frappe, frappe la colonie entière, il n’est pas juste de faire peser, sans aucune considération quelconque de la part des créanciers, toute la charge de cette catastrophe sur les débiteurs seuls ou industriels du pays.

J’espérais avec le temps pouvoir me libérer entièrement. Les conditions qui me sont imposées me forcent à y renoncer.

Je dois me contenter de ce que ne peuvent pas prendre mes impitoyables créanciers; je suis tenu de sauver le dernier morceau de pain qu’ils laissent ç ma famille.

Qu’ils vendent donc à la barre et à l’encan tout ce que je possède; et qu’ils payent ma femme. Je me résigne au sort qui m’est fait, je mourrai leur débiteur!

Etrange histoire sera la mienne; plus étrange encore l’acharnement ou l’implacabilité de ces messieurs envers moi. Depuis le premier jour je n’ai pu échapper à leur étreinte. La banque me défendait de payer mes premiers billets et exigeait que la même mesure fut prise pour tous; et M.M. Elias et Sandapa me déclaraient que même si je payais quoique ce soit des deux petits billets Déglas et Brouard, ils exigeraient de moi même paiements!

Tout ce que je demande, en sortant de St Antoine est un asile pour ma femme. John m’avait dit qu’il y avait un projet pour cette campagne. Mes gendres voulaient en payer ma portion et prendre hypothèque pour moitié ou en laissant tout le prix à mes créanciers. Je propose qu’au lieu de cette hypothèque, ma femme exerce ses droits pour cette moitié. Est-ce faisable? Est-ce possible?

Il lui resterait toujours assez pour vivre avec ce que lui paieraient les acquéreurs de

St Antoine et de ses autres propriétés.

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Monsieur Loïs Raoul
notaire
Port-Louis __

St Antoine 30 Sept/75

Mon cher Raoul

La dernière proposition qui m’a été faite hier au soir est la même que celle à laquelle il m’a été impossible de me soumettre. La seule différence qu’on m’a fait savoir, c’est que c’est toi et M. Seffroy qui serez chargé de réaliser dans le plus bref délai mes biens hors St Antoine. Mais il n’est pas moins vrai, qu’après mon adhésion à cette proposition, vous n’aurez pas plus droit que moi-même à résister à la pression inévitable de vendre à tout prix.

En outre, en prenant le contrat Plasson ou la moitié, je reste toujours dans l’impossibilité de faire mes frais jusqu’à l’époque fixé, Mars.

Mon crédit a été totalement détruit par ces messieurs. Je ne puis marcher que l’argent à la main, et on m’ôte toute ressource de faire de l’argent. Si je tiens bien à essayer de me libérer, il faut que je sacrifie l’Hypothèque Légale de ma femme, c’est-à-dire que moi-même je commence la ruine de la famille et que je mette ma femme et mes filles dans la rue. Que ce soit à l’heure actuelle ou dans six mois au moyen d’une saisie ou au moyen de cette proposition le résultat est le même pour moi. Ma ruine est consommée. L’oeuvre de destruction est accomplie.

Je l’ai dit et je le répète, l’Hypothèque légale de ma femme est la sauvegarde de la famille. Je ne puis la sacrifier. Il y aurait lâcheté de ma part à céder aux propositions qui me sont faites.

Personne n’a le droit de disposer des droits réservés à la femme par la loi chrétienne, lorsqu’il y a danger de ruine pour la famille par l’abandon des droits de l’épouse et de la mère; or il y a évidemment danger dans la position qui m’est faite ou à laquelle veulent me réduire Mess. Ellias et Deglas. Je refuse. Que ces messieurs vendent à la barre ou à l’encan tout ce que j’ai et tout ce que je possède. __ Ma femme doit conserver intact ses droits et elle les fera valoir comme il sera jugé le plus convenable pour les intérêts de sa famille. Et certes ce ne sera pas en se rendant acquéreur de St Antoine et en se constituant comme moi débiteur.

Quant à moi je suis ruiné matériellement, comme je suis ruiné de crédit par mes impitoyables créanciers, mais ce qu’ils ne pourront ni ruiner ni atteindre ce sera mon crédit moral et ma dignité. L’histoire de Maurice enregistrera cet acte d’incroyable rigueur envers un débiteur reconnu solvable et honnête mais sacrifié par le malheur commun colonial. Mon histoire sera du moins une leçon pour ceux qui contractent des engagements. Dieu veuille qu’elle ne porte pas le dernier coup à la prospérité du pays, en détruisant à tout jamais la base du crédit colonial, sans lequel personne ne peut rien ici.

Je ne puis me permettre de faire aucune proposition. Je suis à la merci de Mess. Ellias et Deglas. Je ne puis que défendre le dernier morceau de pain de la famille au moyen des droits de ma femme. Je suis déterminé à ne jamais abandonner cette arme mise dans ma main par le Législateur Suprême et le Sauveur qui nous dit: Voici je viens à vous je ne vous laisserai pas orphelins, c’est-à-dire à la merci de l’injustice et de l’oppression, tant que nous avons confiance en la divine Providence.

Je puis payer si on me donnait le temps ou si on me laisse les moyens de travailler. Mon plus grand intérêt est de m’acquitter de mes dettes. Je crois pouvoir y parvenir. Il n’y a aucun péril pour mes créanciers à attendre. Mais il y a un grand danger pour eux comme pour moi dans la mesure des rigueurs continues à mon égard. Il y a nécessité absolue que l’incertitude de mes affaires cesse. Je ne puis même faire usage des sucres que les Banques avaient laissé à ma disposition pour payer les gages de mes laboureurs. Demain peut-être la discipline et la débandade vont se mettre dans mes ateliers. Il ne sera peut-être pas permis même de récolter ce qui me reste dans les champs, à moins de grands sacrifices. Il me faudrait de l’argent ce soir pour payer mes hommes, c’est le dernier jour d’après la loi; et Mr Deglas a saisi les sucres que j’ai en ville. Je ne puis envoyer pour être vendus ceux que j’ai en magasins. La position n’est plus tenable. Il faut que ceux qui me poursuivent arrivent à une solution. C’est à l’heure actuelle, plus dans leur intérêt que dans le mien.

Je l’ai dit: Je considère ma ruine consommée. Ma famille se retirera de la débâcle avec le petit avoir de ma femme. Je n’ai plus que faire de St Antoine du moment que tout crédit m’est enlevé, et que toute ressource m’est ôtée pour atteindre cette heure qui m’est assignée comme l’époque où il sera décidé si la culture à St Antoine doit être continuée ou non et si l’on peut m’accorder une assistance pécuniaire quelconque.

Je termine mon cher Raoul en disant de nouveau que je suis résigné au sort qui m’a été fait, le premier moment de trouble et de honte est passé! Les huissiers ont envahi ma demeure! Toute ma famille sait que les créanciers ont le droit de tout saisir et de tout vendre, en me laissant que le lit et le matelas du débiteur insolvable ainsi que l’instrument de travail nécessaire pour gagner de nouveau sa vie. Je sortirai de St Antoine avec pioche sur l’épaule. J’y suis résigné. Mes filles mineures savent même qu’on peut saisir les meubles qui leur appartiennent personnellement même par don venant des mains d’autres que les miennes. Mon dernier enfant demandait ces jours-ci si on allait saisir aussi ses lapins et ses oiseaux! __ Mes inflexibles créanciers doivent être satisfaits, ma souffrance a été complète. Ces messieurs déclarent hautement que nul crédit ne peut m’être accordé; qu’on donnerai même St Antoine sous condition d’être cultivé en cannes et qu’on le refuserait… C’est en présence de la position qui m’est faite qu’on me demande le sacrifice de la fortune de ma femme!… C’est un suicide! __ Jamais je ne consentirai à cet acte de lâcheté!

Moi je crois pouvoir payer, je crois que si notre terre devient infertile, c’est de notre faute, je crois qu’on peut toujours remédier à ses fautes. Je suis convaincu d’être à même dans un an de prouver qu’il en est ainsi personnellement pour St Antoine, avec du temps de m’acquitter de mes dettes.

Mais je suis traité de fou et d’imbécile pour vouloir tenter semblable chose, pour croire à la possibilité de me libérer envers mes créanciers autrement (…?) que par la ruine de ma famille. __ Je ne puis consentir.

Crois moi etc

P.-S. Je désire que cette lettre soit communiquée au plus tôt à mes créanciers.
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A Mrs P.E. de Chazal
Loïs Raoul et John Rouillard

Octobre 1875

Mon cher Edmond

Je marche de déceptions en déceptions de difficultés en difficultés.

Je suis parti avant hier avec une note de Perron de son estimation avec Rodolphe de ce qui me restait de sucre! 250 000.

J’ai fait alors mes offres comptant sur $ 15 000 de sucre et 15 000 de Plasson pour attendre Mars.

Il m’a été impossible de puis 1 1/2 mois de m’occuper moi-même de l’usine et de tout cela 1° crise de goutte et 2° depuis ce temps en route et occupé de mes affaires en ville.

Hier au soir je demande de nouveau ce chiffre et voilà la réponse. Voilà l’estimation d’après ce qui a été coupé de 65 arpents à Poudre d’Or dont 30 irrigués __ de 50 à 60 à Belmont dont 35 irrigués et de environ 100 à 120 arpents à St Antoine et Petit Village. __ Reste

40 000 à faire à Poudre d’Or d’où environ 30 à 40 000 en sucrerie, et le reste saisi en ville en tout environ 18 000 à 20 000 c’est-à-dire $ 10 000! __

Comment prendre les engagements d’aller jusqu’en Mars avec ces ressources.

Un seul moyen me reste. Renvoyer immédiatement 300 hommes et ne garder que le nécessaire pour entretenir ces champs qui sont ma dernière ressource. Positivement si le ciel me vient en aide il y aurait au moins une coupe de 2 à 3 millions en perspective pour 1876. __ Il s’agit d’attendre jusqu’en Janvier pour certitude. __ Voilà où je suis! Je dépens de mes créanciers entièrement. S’ils consentaient à attendre cette heure pour savoir s’il m’est possible de m’acquitter envers eux par mon travail, ce serait ma seule espérance. Sinon ne vaudrait-il pas mieux en finir une bonne fois? Mon Rocher fera autant et peut-être plus que tout St Antoine avec Poudre d’Or! C’est à n’y rien comprendre dans les voies de la Providence. Depuis 3 à 4 jours on coupe ce que j’avais droit d’appeler mes bonnes cannes irriguées de Poudre d’Or et de Belmont…. Cela ne rend rien! De là la dernière déception pour moi.

Je n’irai pas en ville aujourd’hui, je vais tâcher de me rendre compte par moi-même. Si ma présence était nécessaire en ville, envoies-moi un télégramme. J’irai de suite. J’ai un cheval de relais chez Evenor.

Ma dernière espérance est sur l’espérance même de ma coupe de 1876. Les champs ont la plus belle apparence. La vue de ces champs, de mes travaux, de mes espérances, cette vue pourrait seule dans mon opinion, amener mes créanciers à prendre en considération une position, et peut-être à apporter un changement dans leurs idées et dans les mesures qu’ils veulent prendre.

Pourrai-je obtenir de Geoffroy et d’Ellias de venir voir? Il y a un fait indéniable, personne n’a plus d’intérêt que moi à sauver leurs créances, et personne aussi autre que moi ne pourrait y parvenir, si je croyais à l’inutilité de mes efforts, ne serait-ce pas alors l’heure pour eux de prendre la dernière détermination qu’ils veulent prendre aujourd’hui?
L’expropriation

A vous de coeur.

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Monsieur John Rouillard

St Antoine 5 Sept/75

Mon cher John

J’ai beau penser et réfléchir, je ne vois aucun moyen de me tirer de presse; je ne sais pas à quoi me servirait d’envoyer à mes créanciers chirographaires(?) la Circulaire que tu m’as conseillé hier au soir de leur écrire. Ce serait pour leur dire: “Je ne puis marcher jusqu’en Mars (heure fixée par quelques uns d’entreux) avec les faibles ressources qui me sont laissées. __ Faites ce qui vous semble bon!” Ne sont-ils pas décidés à saisir et à tout faire vendre.

Puis-je leur faire une proposition quelconque? Dans quel but d’espérance d’une coupe en 1876. Cette espérance même m’abandonne. Il y a des carreaux de petites cannes vierges où les poux commencent à faire leur dégat, taches jaunes, placards se flétrissant. Qu’ai-je à faire? Sinon me soumettre aux décrets de la Providence qui m’a envoyé cette terrible épreuve. J’étais riche et je jouissais d’un grand crédit il n’y a qu’un an!

A l’heure actuelle je suis ruiné; sans crédit aucun; sans moyen quelconque de travailler à chercher à me libérer. Cela ne m’empêche pas d’avoir confiance dans la Providence en celui qui a sauvé le monde (Jean XVI. 33), et qui ne peut vouloir que celui qui vit selon ses préceptes meurre de faim, lui et sa famille, dans un pays chrétien dans lequel il a donné des preuves incontestables de probité et de courageuse, énergique(?) industrie.

Je ne puis écrire à mes créanciers; dis leur ce que tu voudras; dis leur la vérité; qu’ils agissent envers moi comme ils voudront. La justice humaine est en leur faveur; qu’ils usent de leur droit. Je n’ai rien à dire. Je me soumets.

Le reste est entre les mains de Celui qui donne les royaumes à qui Il lui plait (Daniel IV. 17).
Auguste te dira toute ma pensée. S’il y avait moyen de travailler lui et moi nous userions nos dernières forces à nous libérer. Mais on m’enlève toutes ressources.

Je l’ai écrit. Je sortirai de St Antoine la pioche sur l’épaule. Je le ferai à l’heure définitive. J’ai été énergique à l’heure de la prospérité. Je ne le serai pas moins dans l’adversité.

E de C

 


EXTRAITS

du

CERNEEN

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Extraits des articles écrits par Edmond de CHAZAL et parus dans Le Cernéen, quotidien de l’île Maurice. Ces articles ont parus entre le 25 Février et le 3 Mars 1875.

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Port-Louis, 25 Février 1875

La SITUATION

de la

COLONIE

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Après un long silence, M. Edmond de Chazal a repris la plume; il lui appartenait de dissiper toutes les illusions que peuvent entretenir encore quelques esprits sur la situation où se trouve la colonie, et de montrer du doigt les périls qui menacent la propriété foncière. L’opportunité d’un pareil travail ne saurait échapper à personne.

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Clary, Mesnil, 23 Février 1875

Monsieur,

Nous traversons , sans contredit, à l’heure actuelle, la plus terrible épreuve qu’ai subie notre pauvre petite colonie depuis 40 ans. Est-ce la dernière épreuve, ou nous faut-il de plus dures leçons pour nous ramener dans la voie réelle du bien-être et de la prospérité? La vie sociale industrielle et même matérielle semble atteinte dans ses sources vives; comme un corps épuisé par la souffrance, notre industrie sucrière, notre unique moyen de bien-être, semble arrivée aux dernières convulsions d’une longue agonie.

Ne nous est-il donc pas possible d’échapper à la ruine totale dont nous sommes menacés? La barque coloniale va-t-elle définitivement sombrer? Et ne nous reste-t-il plus qu’à lever les yeux au ciel et à attendre avec résignation la fin de nos jours? Je ne le pense pas; et, quelles que soient les difficultés contre lesquelles nous avons à lutter, je crois que nous pouvons sortir de l’abîme creusé sous nos pas. Le désespoir n’a jamais servi à rien. Coupables sont ceux qui se tiennent à l’écart pendant un coup de vent, lorsque la coopération de tout l’équipage est nécessaire; car souvent du plus infime marin peut sortir le salut de tous, soit par un conseil de vieille expérience, soit par un acte d’énergique dévouement. Qu’il me soit donc permis, Monsieur, d’élever ma voix au milieu du dernier orage qui est venu fondre sur notre malheureuse colonie, et de dire quels sont, dans mon humble opinion, les vrais moyens de sauvetage de notre existence industrielle, agricole, je dirai coloniale.

Est-il nécessaire de faire le tableau de nos souffrances passées, et du sombre avenir qui nous semble réservé? Ne nous suffit-il pas des résultats de nos dernières récoltes et des derniers errements de notre administration coloniale pour éclairer notre conscience à tous, gouvernés et gouvernants? Sécheresse, fièvres, manque d’argent, ou, en d’autres termes, insalubrité, infertilité, misère, ne sont-ce pas là les conséquences de notre ambition irrationnelles, ou du déboisement et de l’inintelligente administration de la Colonie? Je dis inintelligente: car, si nous sommes coupables comme membre de notre corps social, le Gouvernement n’est-il pas encore plus coupable que nous? Que peuvent en effet, les membres lorsque la tête, qui doit tout diriger, est pour ainsi dire frappée de cécité ou de mauvais vouloir, sinon se mouvoir à l’aventure, ou le plus souvent en opposition directe au bien-être de tout le corps? Et n’est-ce pas en deux mots l’histoire de notre colonie et de son gouvernement?

Depuis plus de 12 à 15 ans, on s’aperçoit, on se plaint des effets désastreux du déboisement; de beaux projets de loi sont sur la table du Conseil Législatif, et le déboisement continue sur une échelle plus formidable que jamais; rien n’est fait pour remédier au mal.

La sécheresse va en augmentant de jour en jour; les conditions hygrométriques de l’air, base je dirai fondamentale de toute existence, soit animale ou végétative, ces conditions s’altèrent de plus en plus.

L’infertilité du sol augmente, en dépit de tous les efforts de la science agricole.

L’insalubrité atteint les régions élevées de la Colonie, dernier refuge de ceux qui ne peuvent fuir cette île appelée et devenue de nos jours, l’île de la DESOLATION, de PERLE qu’elle était de l’Océan Indien lorsque la Grande-Bretagne en a pris possession.

On croit pouvoir échapper, soit pour la vie industrielle, soit pour la vie matérielle, aux effets désastreux d’une atmosphère devenue trop brûlante sur les fertiles plaines du littoral; on quitte la plaine; on monte sur les montagnes: vain espoir, la mort ou l’impuissance industrielle monte par degrés, – à mesure que se continue le déboisement, – des extrémités inférieures de l’Ile vers les régions les plus élevées. Le sommet, – le coeur de l’île, l’origine des sources, – ne pourra plus bientôt recevoir ni pluie ni même les rosées du Ciel qui forment dans les montagnes ces cours d’eau, qui, comme les artères pour le sang dans le corps humain, portent la vie dans les champs destinés à subvenir à nos moyens d’existence.

On a cru que les engrais chimiques ou concentrés pourraient remédier au mal, rétablir la fertilité du sol. N’est-il pas temps de voir que l’engrais n’a d’efficacité qu’au moyen de l’humidité? que l’engrais ne peut jamais donner à la plante la faculté de résistance qui lui est nécessaire contre les intempéries des saisons? que la véritable faculté de résistance vient pour la plante de la qualité même intrinsèque de la terre, et que la terre ne peut recouvrer cette qualité, – lorsqu’elle l’a perdue par l’insatiable ambition de l’homme, – qu’au moyen de l’arbre, de l’élément ligneux, de l’assolement forestier?

On croit aussi porter remède à l’aridité des sécheresses, par l’irrigation; il est question de vastes endiguements des sources élevées de la colonie. Mais, pour que ces réservoirs puissent être d’une véritable utilité, faut-il au moins que les sources soient abondantes et constamment entretenues par les eaux du ciel; et n’est-il pas évident que les pluies deviennent de jour en jour moins abondantes, moins continues sur les hauteurs de l’île, à mesure que se développe le déboisement? N’est-il pas évident que, l’arbre manque sur la terre, la nuée se détourne du sol dénué, désert, surchauffé par le soleil, se dissipe dans l’air ou va porter ailleurs les trésors qu’elle renferme dans son sein? Ne constatons-nous pas chaque jour ce triste phénomène? Ne voyons-nous pas des masses de nuages amoncelés les uns sur les autres au point de croire à une inondation prochaine; ne voyons-nous pas ces nuages s’élever, se dissiper à peine parvenues vers le centre de l’île, ou tournoyer un moment au-dessus de nos têtes et aller enfin se fondre sur la haute mer? Il y a eu des planteurs (qui le croirait? ARBROPHOBES) qui ont voulu se servir de ce phénomène comme argument contre le reboisement: voyez, disent-ils, voilà la pluie qui tombe en mer, et il n’y a pas d’arbres! Et cependant c’est ce phénomène qui pourrait être donné (quant à ce qui nous concerne) comme la preuve convaincante de la nécessité d’un prompt reboisement.

En effet, ce qui détermine la solution du nuage en eau, nous dit la science moderne, c’est la fraîcheur que rencontre le nuage en approchant le globe de la terre; or, cette fraîcheur est principalement due pour la terre à la couverture du sol par les arbres, dont une des principales fonctions dans l’économie générale de la vie (comme je le disais il y a quelques années dans votre journal même) est d’absorber les rayons caloriques du soleil et d’en décharger la terre. Que l’arbre soit indispensable à la terre, soit pour la conservation des conditions hygrométriques ou d’humidité de l’air et de la terre, soit pour la régularisation de l’électricité atmosphérique, ou enfin pour la solution en pluie des nuages qui parcourent notre globe (évidemment par un hasard ou à l’aventure, mais d’après des lois de Divine Providence), c’est un fait que la science moderne a enregistré sous toutes les formes*, historique, géographique, physique et chimique. Nous savons déjà dans quel but existent ces étranges courants au fond des mers du Gulf Stream.

* Voir: la REVUE de la SOCIETE GEOGRAPHIQUE de LONDRES; un article du Ct. Wilson, je crois, dans lequel sont accumulées toutes les preuves historiques les plus positives, des temps passés et modernes, sur les résultats désastreux du déboisement dans tous les pays.

2° Un article de la REVUE des DEUX MONDES, au sujet des inondations de la Loire, dans lequel le savant Français démontre la cause de ces inondations et prouve la nécessité du reboisement des montagnes, et conclue en disant que “la terre ne saurait se passer de l’élément ligneux pour la régularisation des eaux pluviales, etc”;

3° Un autre article de la même REVUE, -“Voyage géologique aux ACORES, rendues complètement stériles par suite du déboisement, et ayant recouvré leur fertilité par le reboisement”.

La republication dans vos colonnes de plusieurs passages de ces travaux scientifiques serait, je crois, d’une grande utilité pour notre colonie.

La cyclonomie enseigne au marin à éviter ces immenses agglomérations de nuages qui portent dans leurs flancs les éclairs, la foudre, l’eau et le vent; mais nous ignorons encore dans quel but et par quelles causes existent les vents de tempête et les inondations désastreuses. Sommes loin encore du bienfait de savoir comment tourner à notre profit les trésors que renferme la nuée qui parcours notre globe? Ne nous aura-t-il été accordé que d’éviter les désastres de la foudre et de la tempête? La science nous le dira sans doute, prochainement; à l’heure actuelle, du moins, nous savons que pour être à l’abri des sécheresses, pour assainir l’air et régulariser les conditions d’humidité de l’air et de la terre, il nous faut la terre couverte d’arbres dans un certain degré. Nous savons que l’assolement forestier est le véritable moyen de rendre à la terre ses qualités premières de fertilité pour la plante nourricière de l’homme. Nous savons enfin par notre propre triste expérience, qu’une terre dénudée et privée d’arbres n’est plus qu’une terre de désolation. Mais nous savons aussi qu’il nous est donné de pouvoir toujours réparer nos fautes lorsque nous les avons reconnues, et rentrer ainsi, par les voies de la science et de la sagesse, dans la vie de bien-être dont nous nous étions séparés en méconnaissant les lois immuables de cette Divine Providence dont nous retrouvons toujours la sagesse infinie dans les secrets des lois de la nature soumise à notre contrôle.

Dans moins de trois à quatre années, si nous le voulions, nous pourrions atténuer, sinon faire disparaître les maux dont nous souffrons. Nous pourrions bientôt avoir salubrité, fertilité, abondance, au lieu de fièvres, stérilité, misère. Mettons-nous résolument à l’oeuvre. C’est facile: plantons, plantons des arbres, on couvre les terres stériles; par ce moyen, il y aura suffisamment de courants d’air frais sur l’île pour déterminer l’approche et la fusion des nuages que la Providence Divine nous envoie incessamment des extrémités de la terre. N’attendons pas notre salut des lois de reboisement qui sont depuis 15 ans en fabrique à notre Conseil Législatif!…

D’ailleurs, j’en ai peur: la politique coloniale à notre égard semble être la réalisation de l’opinion jadis exprimée par un de nos fonctionnaires qui disait: “que l’importance agricole et commerciale de Maurice était en raison inverse de son importance militaire comme station navale.” Notre pauvre colonie semble n’avoir plus même cette importance militaire aux yeux de notre mère-patrie, si nous en jugeons par le peu de souci que semble avoir eu de nos destinées le bureau Colonial, depuis ces dernières années. Il peut y avoir, il est vrai, une excuse pour cet oubli des devoirs de la Métropole envers notre si petite colonie: la politique en général n’a eu égard jusqu’ici qu’aux intérêts matériels, aux profits immédiats que les Gouvernements peuvent retirer d’un pays, d’un peuple ou même d’une opinion. Mais nous sommes parvenus à l’heure où chacun peut voir ou comprendre que ce n’est pas à cela seulement que se bornent les devoirs se ceux qui sont à la tête des nations chrétiennes; et il appartient aux peuples qui souffrent de rappeler à ceux qui sont au pouvoir que les nations n’ont pas été créées pour les profits des gouvernements, mais les gouvernements pour le bien-être des peuples.

Quant à nous, dans cette île éloignée, perdue, pour ainsi dire, dans l’immense Empire Colonial Britannique, nous n’avons qu’un moyen de réussir dans nos réclamations: c’est de faire appel, par la presse, aux sentiments de justice et d’équité dont à juste titre est fier le peuple anglais; sentiments dont la manifestation est presque toujours certaine et prompte toutes les fois que la connaissance d’un intérêt Britannique méconnu peut parvenir jusqu’au Parlement; or, quel intérêt plus grand de nos jours pour une nation éclairée, que celui de sa vraie gloire, la gloire d’une saine et sage administration de toute justice à l’ombre du drapeau.

Que cette justice est souvent méconnue à notre égard, les tristes conditions mêmes de notre existence actuelle en sont pour ainsi dire le vivant témoignage: c’est à qui veut fuir l’île de la DESOLATION; personne n’y trouve plus sécurité ni pour la vie, ni pour l’industrie, ni pour le commerce ou l’agriculture! Qu’il me soit permis de citer un dernier exemple du peu de souci qu’a l’administration coloniale de nos intérêts les plus vifs.

Edmond de CHAZAL.

Port-Louis, 2 Mars 1875

La SITUATION

de la

COLONIE

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III

Clary, Mesnil, 1er Mars 1875.

Monsieur,

LE CRI D’ALARME JETE PAR MOI, comme dit M. Bonnefin, n’a encore eu pour résultat jusqu’ici que de m’attirer la VERTE SEMONCE qu’il m’adresse dans votre numéro de ce jour.

M. Bonnefin se trompe; je ne suis pas au nombre des opposants, comme il le donne à entendre, contre les endiguements projetés sur les hauteurs de l’Ile. Ce que j’en ai dit est au contraire en leur faveur. En effet, je connais et apprécie plus que tout autre peut-être les bienfaits qui peuvent résulter des lacs, des rivières, des vastes surfaces liquides dont l’influence est si grande pour l’état hygrométrique d’un pays, pour la solution en pluie des nuées qui circulent incessamment autour de notre globe. J’ai fait des endiguements, de l’irrigation au moyen de ces endiguements, sur une petite échelle, il est vrai, suffisamment pour apprécier les avantages des endiguements, de l’irrigation; mais aussi pour en connaître les côtés défectueux. Le Docteur Coppland, astronome de Lord Linsay, me disait que l’irrigation sur une grande échelle pourrait même suppléer au manque d’arbres dans la Colonie; mais pour irriguer faut-il au moins des sources abondantes. Pour faire un civet, il faut un lièvre dans la marmite; la terre est notre marmite; mais l’eau, notre lièvre, court encore; c’est la nuée qui folâtre incessamment sur nos têtes, comme pour nous narguer; comment l’attraper, le mettre dans notre marmite? Je ne connais qu’un seul moyen: la plantation des arbres!

M. Bonnefin cite des résultats obtenus par les cours d’eau amenés par M. de Lesseps sur l’Isthme de Suez, et qui, en remplissant de nouveau les anciens lits desséchés de mers disparues, ont rendu salubrité et fertilité à ces contrées désolées. M. Bonnefin a raison quant aux résultats de l’eau dans le désert; mais ce qu’il en dit ne prouve rien quant aux endiguements. Il oublie que les cours d’eau amenés au désert par M. de Lesseps viennent non d’endiguements, mais surtout du Nil, alimenté lui-même par les espèces de mers intérieures d’eau douce au centre de l’Afrique; lequel centre est encore couvert de forêts immenses, presqu’impénétrables; ce qui n’existe nullement pour le centre de notre Ile. Ce que j’ai dit au sujet de la nécessité du reboisement de la colonie a donc toujours sa raison d’être. Ce reboisement serait donc le complément, je dirai indispensable, de la grande oeuvre des endiguements projetés. Ce que j’ai dit à ce sujet n’est donc pas comme l’insinue maladroitement à mon avis M. Bonnefin, “une objection qui de prime abord parait défier toute argumentation… de la part de ceux qui, malheureusement réussissent à dominer l’esprit public!” Allusion évidente à mon dernier article sur ce sujet (*).

(*) Si, pour notre part, nous avons bien compris M. Bonnefin, nous croyons qu’il a présenté l’endiguement comme une opération parallèle au reboisement, mais qu’il n’a pas élevé drapeau contre drapeau.
R. du C.

Il ne me convient pas, il ne peut me convenir d’entrer dans une polémique sur ce grave et douloureux sujet de nos souffrances présentes et à venir. J’ai signalé ce que je crois être les deux coups les plus immédiats de ces souffrances: SECHERESSE, USURE! J’ai fait appel à mes concitoyens pour se venir en aide à eux-mêmes dans les limites qui leur sont permises; j’ai fait appel à la commisération de ceux de qui nous dépendons; je me suis souvenu de ce cri de désespoir: “Maître, ne te souviens-tu point que nous périssions”; cri proféré par les premiers disciples de la vérité, et de la civilisation chrétienne, au milieu de la tempête qui menaçait d’engloutir leur barque, appel entendu du suprême auteur et conservateur de toutes choses. Imitant leur exemple, j’ai adressé à ceux qui ont entre les mains nos destinées sociales et industrielles, j’ai proféré le cri de douleur dont est rempli mon âme à la vue des désastres qui sont le résultat surtout de la fatale politique coloniale de notre dernière administration; et j’attends avec résignation que ce cri puisse être entendu de l’administration à nouveau de nos affaires.

Que M. Bonnefin se rassure: je n’ai point parlé, je n’ai nulle intention de parler contre les endiguements projetés à la Mare aux Vacoas; j’ai peut-être un intérêt plus direct que beaucoup d’autres à leur prompt réalisation. Je voudrais au contraire en assurer l’utilité par le reboisement de ces plaines incultes et dénudées, plus tristes à contempler, pour moi du moins, que les déserts de l’Egypte. Si M. Bonnefin voulait fouiller dans le passé, il verrait que le déboisement a été la cause des désolations dans l’Asie comme dans tous les pays connus, de même qu’il est ici le commencement de nos misères.

J’ai mis en note, dans un de mes derniers articles, de consulter le travail ou le rapport fait à la Société Géographique de Londres par le Colonel Wilson (je crois) sur les funestes résultats du déboisement dans tous les pays, sous toutes les latitudes, d’après les faits historiques connus de toutes les générations qui ont passé sur notre terre; M. Bonnefin pourrait se convaincre que là où disparaissent les arbres, les pluies disparaissent aussi; les cours d’eau n’existent plus; même les fleuves et les lacs navigables disparaissent aussi, ne laissant de leur existence que les preuves irrécusables de la stupidité ou de la folie de ceux qui ont fait disparaître les forêts, soit pour se procurer par l’incendie des pâturages comme les sauvages de l’Afrique, soit par une ambition désordonnée de culture, comme chez les peuples entrés dans un certain degré de civilisation.

M. Bonnefin termine sa mercuriale en exprimant le désir: “que les bras vainement employés à cultiver nos sols frappés de stérilité, soient envoyés aux endiguements”. Bientôt, je le crains, forcément ses voeux seront exaucés, bientôt on pourra disposer de tous nos ateliers ruraux et industriels, si les choses continuent en l’état; les endiguements pourront leur fournir les moyens d’existence; mais la main d’oeuvre employée aux endiguements nous sera-t-elle plus profitable? J’en doute. En chemin de fer, ces jours derniers, j’entendais un riche planteur, (du Grand-Port je crois) préconiser ouvertement l’abandon de toute culture. Il disait avoir déclaré à un de nos Inspecteurs d’immigrants que l’administration d’une propriété était devenue presque impossible, dans les nouvelles conditions d’existence faite à l’industrie sucrière par la dernière politique coloniale; que les ateliers étaient désorganisés, la main d’oeuvre ineffective, la discipline tellement relâchée que le seul moyen d’échapper aux soucis, voire même aux dangers d’une administration rurale, serait de se libérer de tout engagement envers les Indiens, et de remplacer sur les propriétés les laboureurs par des troupeaux. Leur produit au moins, concluait-il, pourrait subvenir aux besoins de nos familles, tandis qu’à l’heure actuelle la culture ne nous menait qu’à la ruine! C’est un triste remède que vous nous proposez là, lui répondait un autre voyageur; ignorez vous donc que nous aussi, éleveurs de troupeaux, nous ne savons plus comment subvenir à nos moyens d’existence? Nous n’avons plus d’herbe pour nos bestiaux, nos boeufs meurent littéralement de faim et de soif!

J’ai, depuis, appris, en effet, que des propriétaires dont le principal revenu est la location des pâturages, que ces propriétaires ont été forcés de renvoyer à des planteurs sucriers leurs boeufs de charrois, faute d’herbe dans leurs champs! d’autres font casser, ramasser et transporter dans leurs parcs des branches de bois noir pour pouvoir soutenir la misérable existence de leurs bestiaux!

L’indiscipline des ateliers est telle, la difficulté du paiement des gages si grande, que les entrepreneurs eux-mêmes renoncent à tout engagement envers les Tyka-Bandes! On prend des indiens à la journée quand une entreprise se présente; on paie 32 c. à 25 c. par homme, il en résulte que la main d’oeuvre pour le planteur ( qui ne veut pas voir l’abîme creusé sous ses pas par les Tyka-Bandes) il en résulte que sa journée de travail lui revient à 50 c. et

60 c.! Et quel travail!

L’irrigation au moyen d’endiguement ne sera guère plus un remède contre la sécheresse, que les Tyka-Bandes contre le manque de bras, tant que notre colonie ne sera pas dans des conditions voulues ou normales d’existence agricole et sociale. L’irrigation ne peut avoir de résultats avantageux réel qu’avec la condition que la plante trouve dans l’air comme dans la terre la quantité d’humidité nécessaire à son développement. Le vrai de la loi atmosphérique est que l’état hygrométrique voulu pour la vie végétative, comme pour l’abondance des sources, ne peut être obtenu qu’au moyen de l’arbre. L’endiguement des eaux pluviales surabondantes, comme en 1868 et en 1874, ne peut avoir que des avantages très limités. Je n’en veux pour exemple que la surabondance d’eau tombée en Mars dernier. La sécheresse survenant après le coup de vent, l’évaporation de ces eaux a été rapide. Les mares, les rivières, tous les cours d’eau, privés de protection contre les rayons solaires, ne sont plus, pour ainsi dire, que des lits presque desséchés. Encore 15 ou 20 jour de sécheresse, et l’on ne saura plus où et comment se procurer l’eau nécessaire aux premiers besoins de la vie. A quoi donc pourront servir nos endiguements, tant que vous laisserez les plaines à l’entoure dans le dénuement le plus complet de l’élément essentiel à la conservation de l’humidité de l’air et de la terre?

Faites donc de la culture et de l’irrigation avec des endiguements des sources épuisées, avec de l’argent à 25 pour cent d’intérêt annuel, et aux prix actuel de la main d’oeuvre pour vos irrigueurs et vos laboureurs sous la présente discipline!

Je le répète: la sécheresse et l’usure, voilà les véritables fléaux qui minent par la base notre prospérité coloniale. Je vais sans doute avoir aussi bientôt sur mes épaules les marchands d’argent. Peu importe! Dût ma voix rencontrer que de sourdes oreilles parmi les membres de notre conseil Législatif et de notre conseil Exécutif, je répéterai mon cri de souffrance, en en appelant à leur commisération, c’est à dire, à leur conscience:

Maîtres du pays, ne vous souciez-vous donc point que nous périssions tous? Devons-nous être décimés, ruinés les uns après les autres? Pitié pour toi, ô mon pays, perle jadis de la couronne coloniale Britannique, clef des Indes! ton sort sera-t-il d’être abandonné par ceux-là mêmes pour qui tu fus un sujet de gloire? Le dernier mot de tes annales historiques sera-t-il: “Elle fut abandonnée par l’Angleterre après avoir été possession Hollandaise et Française aux beaux jours de sa naissance dans le monde civilisé!” Ne seras-tu bientôt plus qu’un désert où la vie sera impossible, inhabitable même pour les sauvages, ou pour la chouette et la chauve souris? Maîtres, pitié pour Maurice! ne vous souciez-vous donc pas que nous périssions tous?

Votre bien dévoué,

Edmond de CHAZAL.